Emmanuel Macron a lancé sa campagne européenne le 17 avril au Parlement européen, mais il n'a pas dévoilé sa stratégie. © FREDERICK FLORIN/BELGAIMAGE

À un an des élections, où en sont les tractations qui doivent conduire à une recomposition politique du Parlement européen ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Eclairage sur ces grandes manoeuvres, alors qu’Emmanuel Macron tarde à sortir du bois.

Enjeu majeur des élections européennes du printemps prochain – en Belgique, on votera le 26 mai 2019 -, la réorganisation de l’échiquier politique se prépare en coulisses. Enorme assemblage hétérogène, le Parti populaire européen (PPE), qui compte dans ses rangs des ultraconservateurs flirtant avec l’extrême droite et des chrétiens démocrates bon teint, va-t-il se fragmenter ? Les socialistes et sociaux-démocrates, en crise profonde dans toute l’Union, vont-ils s’effondrer ? Les forces populistes et eurosceptiques, appelées à se restructurer après le départ des eurodéputés britanniques, vont-elles parvenir à se fédérer ? Surtout, pourquoi Emmanuel Macron, qui rêve de faire bouger les lignes au Parlement européen, tarde-t-il à abattre son jeu ?

A un an du scrutin, la tectonique des plaques européennes reste un processus opaque. Mais nos sources confirment que les grandes manoeuvres ont discrètement commencé. Les couloirs des institutions européennes bruissent de supputations sur la recomposition des familles politiques. Le suspense tient aux clivages internes qui fragilisent les groupes et aux interrogations sur la stratégie du président français. Son discours séduit les députés europhiles, qu’ils soient progressistes ou de droite, mais il n’est pas parvenu à faire passer l’idée d’un mouvement européen sur le modèle d’En marche. Il devrait donc annoncer son ralliement à l’une des grandes chapelles politiques de la maison Europe.

Les Allemands maîtres du jeu

Guy Verhofstadt, chef de file des eurodéputés libéraux, est snobé par le
Guy Verhofstadt, chef de file des eurodéputés libéraux, est snobé par le  » président jupitérien « .© BELGAIMAGE

Si les élections européennes vont changer profondément la donne politique, c’est aussi parce que les Britanniques ne vont, en principe, pas se rendre aux urnes. Selon le calendrier prévisionnel des négociations du Brexit, la sortie du Royaume-Uni sera effective le 29 mars 2019, deux mois avant le scrutin. Le départ des eurodéputés britanniques va libérer 73 sièges sur les 751 de l’assemblée. Une proposition a été adoptée en février dernier par le Parlement européen en vue de répartir 27 anciens sièges britanniques entre 14 pays de l’Union, actuellement sous- représentés en raison des évolutions démographiques. La France et l’Espagne gagnent 5 sièges, l’Italie et les Pays-Bas, 3, tandis que la Belgique (21 élus) n’aura pas un eurodéputé en plus. Les 46 autres sièges disponibles constitueront une réserve en cas d’élargissement, à moins que la taille du Parlement soit réduite, option défendue notamment par la N-VA. Les nouvelles règles doivent encore être validées par les Etats membres (en juin, à l’unanimité).

En revanche, les eurodéputés ont rejeté l’idée, chère à Emmanuel Macron – et soutenue par les libéraux belges Guy Verhofstadt et Didier Reynders -, d’utiliser les sièges laissés vacants pour faire élire des députés inscrits sur des listes  » transnationales « .  » Pas question de lui faire ce cadeau « , glisse un élu du PPE, la première famille de l’assemblée (211 sièges). Les Allemands de la CDU-CSU, maîtres du jeu au PPE, ont convaincu la quasi-totalité du groupe de torpiller la proposition de l’Elysée, et n’ont pas hésité pour cela à s’allier avec les eurosceptiques.  » Plus que Merkel, Macron incarne aujourd’hui la relance et le fédéralisme européens, reconnaît l’eurodéputé PS Marc Tarabella. Mais il est isolé.  »

Un orgueil déplacé ?

Marc Tarabella (PS) :
Marc Tarabella (PS) :  » Macron incarne la relance européenne, mais il est handicapé par son isolement. « © DIRK WAEM/BELGAIMAGE

Dans un premier temps, le président français a cru qu’il parviendrait à dynamiter la mécanique des groupes européens et pourrait en constituer un à sa main. Aujourd’hui, il réalise qu’il devra se résoudre à faire siéger les élus de La République En marche dans une famille existante, quitte à lui donner un nouveau nom.  » Sa méconnaissance de la rigidité des groupes européens révèle un orgueil déplacé, ironise l’eurodéputé Ecolo Philippe Lamberts. Sauf surprise, qui serait un tremblement de terre, le PPE n’éclatera pas !  » Certes, cet agrégat est composite. Son aile centriste, représentée par les Nordiques, les Belges et certains élus français du parti Les Républicains (LR), a des états d’âme face à la dérive droitière imprimée par Manfred Weber, chef de file allemand du PPE. Le malaise tient surtout à la présence, au sein du groupe, du Fidesz, le parti national-conservateur et xénophobe du Premier ministre hongrois Viktor Orban.  » Toutefois, il y a un intérêt certain à faire partie de la famille numériquement la plus importante et la plus influente sur les nominations et les politiques communes, poursuit Lamberts. Les divergences de vues internes sont compensées par une forte résilience.  »

Un assistant parlementaire PPE confirme :  » Sur le traité Ceta, les dossiers du glyphosate ou du diesel, un élu comme le CDH Claude Rolin vote contre la ligne du PPE, son propre groupe. Car il n’y a pas de discipline de vote, mais de simples  »indications de vote », non contraignantes. Au niveau européen se créent ainsi des majorités alternatives, alliances de clans d’horizons divers. Les rebelles du PPE collaborent souvent avec le MoDem français, l’une des composantes du groupe libéral.  »

Un groupe libéral élargi

Philippe Lamberts (Ecolo) :
Philippe Lamberts (Ecolo) :  » Sa méconnaissance des rigidités des groupes politiques révèle un orgueil déplacé. « © DIRK WAEM/BELGAIMAGE

Si la désagrégation du PPE est une chimère macronienne, celle du groupe des Socialistes et démocrates (S&D),deuxième force de l’hémicycle actuel, semble tout aussi improbable. Dans presque toute l’Europe, les partis sociaux-démocrates et socialistes sont en perte de vitesse et doivent parfois se battre pour leur survie politique, mais les plus gros contingents nationaux du S&D (le SPD allemand, le PSOE espagnol et le PS français) ne feront pas défection. Même Benoît Hamon, qui a quitté le PS français pour lancer sa propre formation, Génération.s, laisse ses deux eurodéputés siéger sur les bancs socialistes. Le groupe verra néanmoins fondre ses effectifs (189 sièges) au lendemain des élections, d’autant qu’il perdra les 20 élus britanniques du Parti travailliste.

Emmanuel Macron n’a, dès lors, d’autre choix que d’inclure ses futurs élus dans le groupe libéral ADLE, son allié naturel, nous assurent plusieurs eurodéputés. Il est proche du Premier ministre MR Charles Michel et de son homologue luxembourgeois Xavier Bettel, dont les partis sont tous deux affiliés au quatrième groupe du Parlement (69 sièges). Chef de file de l’ADLE, Guy Verhofstadt n’a pas fait mystère de son soutien au fondateur du mouvement En marche. Pour autant, le  » président jupitérien  » le snobe depuis des mois, au grand dam du  » Grand Bleu « . Verhofstadt n’a toujours pas reçu de demande officielle d’adhésion. Formellement, les macronistes ne sont liés à aucune famille européenne. En revanche, Ciudadanos, le parti de centre-droit espagnol favori des sondages, a rejoint l’ADLE dès juin 2016.

Luigi Di Maio (5 Etoiles) et Matteo Salvini (Ligue), alliés au sein du nouveau gouvernement italien.
Luigi Di Maio (5 Etoiles) et Matteo Salvini (Ligue), alliés au sein du nouveau gouvernement italien.© TIZIANA FABI/BELGAIMAGE

Quels Italiens choisir ?

 » Maillon faible  » de la famille socialiste, le Parti démocrate (PD), formation de centre-gauche défaite aux législatives italiennes de mars, pourrait, lui aussi, venir renforcer l’ADLE. Matteo Renzi, ex-leader du PD, n’a-t-il pas été décrit comme le frère jumeau italien de Macron ?  » Une  »macronisation » du Parti démocrate provoquera une fracture entre son aile gauche et son aile droite « , prédit le socialiste Marc Tarabella.  » De plus, le PD constate avec amertume que Macron ne ferme pas la porte à une alliance avec un parti italien concurrent, le Mouvement 5 étoiles, devenu la première formation du pays « , relève Philippe Lamberts.

En Italie, le parti populiste antisystème vient de conclure un programme commun de gouvernement avec la Ligue, formation d’extrême droite. Ce qui rend, en principe, le M5S  » Macron-incompatible « .  » Toutefois, les eurodéputés 5 étoiles votent souvent avec le camp progressiste, confie un élu belge. Les parlementaires socialistes, verts et centristes entretiennent d’excellentes relations avec eux.  » Verhofstadt leur a même déroulé le tapis rouge en janvier 2017, mais la moitié du groupe des libéraux européens a rejeté le projet d’alliance. Selon la presse italienne, M5S envisage un rapprochement avec le futur groupe européen de Macron. Le démenti formel de l’association l’Europe en marche, au nom des  » valeurs incompatibles « , n’a pas été confirmé par l’Elysée, qui aurait imposé aux macronistes le silence sur le sujet. Reste que le futur groupe libéral élargi ne peut accueillir à la fois le Parti démocrate et le Mouvement 5 étoiles.

La cohérence ou la taille ?

 » Macron est confronté à un dilemme, admet un élu libéral : soit il privilégie la cohésion de son futur groupe européen, soit il mise sur sa taille et cherche à ratisser large, recette qui a fait le succès du PPE depuis la présidence de Wilfried Martens.  » Selon nos sources, il n’est pas exclu de voir les libéralo-centristes dépasser le seuil d’une centaine d’élus à l’issue des élections de mai 2019. Ils pourraient ravir aux socialistes la place de deuxième force du Parlement.

Aujourd’hui déjà, la cohérence idéologique de l’ALDE pose question : y siègent les élus du Parti libéral-démocrate (FDP), formation eurosceptique allemande qui exclut toute idée de créer un budget de la zone euro et a refusé d’entrer dans le gouvernement Merkel par crainte d’être  » normalisée  » sur les questions européennes. L’ALDE compte aussi en son sein le VVD, le parti libéral du Premier ministre néerlandais Mark Rutte. Grand admirateur de la Ligue hanséatique du Moyen Age, Rutte a signé avec sept pays du Nord une lettre dans laquelle il rejette définitivement toutes les propositions du président français sur la zone euro : budget et parlement de la zone, ministre des Finances européen…

À un an des élections, où en sont les tractations qui doivent conduire à une recomposition politique du Parlement européen ?
© BELGAIMAGE

Une union des europhobes ?

La recomposition politique concerne aussi les formations antieuropéennes. Le groupe des conservateurs eurosceptiques (ECR), troisième famille européenne (71 élus), est sans doute appelé à disparaître après le départ des conservateurs britanniques, qui ont fondé et piloté cette formation. La N-VA y siège au côté du Parti droit et justice (PiS), la formation ultraconservatrice et antieuropéenne au pouvoir en Pologne. L’ECR compte aussi des partis d’extrême droite comme le Folkeparti danois, le parti des Vrais Finlandais et Alternative für Deutschland (AfD). Bart De Wever vient d’attaquer avec virulence le projet européen, prenant ses distances avec la position du Premier ministre Charles Michel. Il n’est pas exclu que les nationalistes flamands demandent leur réintégration au PPE, où ils siégeaient au temps du cartel CD&V-N-VA.

Tout aussi incertain est l’avenir du groupe des souverainistes et europhobes (ELDD), qui devrait perdre ses deux poids lourds : l’UKIP – en plein désarroi depuis la victoire du Brexit qu’il a défendu au référendum de juin 2016 – quittera le Parlement européen à la fin de la législature et le Mouvement 5 étoiles cherche, on l’a vu, à rejoindre une famille politique plus fréquentable.  » Une dissolution des groupes ECR et ELDD pourrait conduire à la création d’une fédération populiste antieuropéenne « , craint un élu europhile. A condition que ces partis extrémistes accordent leurs violons, ce qui a rarement été le cas.

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