Gérald Papy

« A Tunis se joue l’avenir du monde arabe »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La Libye, la Syrie et le Yémen ayant sombré dans la guerre civile, l’Egypte ayant transité d’une dictature militaire à une autre, la Tunisie reste le seul théâtre des  » printemps arabes  » où l’ancrage durable d’une démocratie est encore envisageable aujourd’hui. Le premier tour des deuxièmes élections présidentielles au suffrage universel organisées depuis la chute du potentat Zine el Abidine ben Ali en 2011 laisse toutefois perplexe sur son implantation.

La faible participation au scrutin (45 % contre près de 63 % en 2014), la défiance exprimée à l’égard des dirigeants de partis de gouvernement et la prime accordée aux candidats hors système, dont le  » Berlusconi de Tunis  » Nabil Karoui classé deuxième avec 15,6 % malgré son emprisonnement, sont autant de caractéristiques de la jeune démocratie tunisienne qui la rapprochent étrangement plus de certaines vieilles démocraties fatiguées d’Europe occidentale. Cet apprentissage express du désenchantement démocratique surprend d’autant plus qu’il est aussi, voire surtout, le fait des jeunes qui furent, en Tunisie comme dans ses autres foyers, les principaux acteurs de la révolte arabe.

Le processus électoral tunisien depuis 2011 offre cependant la consolation d’avoir contenu l’influence islamiste, donc extrémiste, et donc potentiellement contre-démocratique, que l’Egypte, par exemple, n’a pas pu juguler autrement que par… un coup d’Etat. Avéré en regard du score du candidat du parti islamiste Ennahda (Abdelfattah Mourou, arrive en 3e position avec quelque 13 % des suffrages), ce satisfecit doit pourtant être tempéré par le constat que le programme du candidat hors parti arrivé en tête (avec 18,4 % des voix), le juriste Kaïs Saïed, a de furieux accents conservateurs, voire radicaux, que ne renieraient pas les héritiers du leader islamiste historique Rached Ghannouchi.

L’endiguement des islamistes d’Ennahda est un échec pour le Qatar, prompt à sponsoriser toutes les émanations locales des Frères musulmans, et corollairement un succès pour son rival en propagation d’un islam radical, l’Arabie saoudite. Un motif de satisfaction pourtant bien cosmétique au moment où le royaume leader de l’islam sunnite est fragilisé comme il l’a rarement été par un arc d’opposition chiite allant de l’Iran au Yémen en passant par l’Irak. L’attaque, par drone ou par missile, qu’ont subie le samedi 14 septembre les installations pétrolières de Abqaiq et de Khurais, est inquiétante au moins à deux titres. Elle prouve, malgré sa richesse intrinsèque et le soutien extérieur de la première puissance mondiale, l’extrême vulnérabilité de l’Etat saoudien. Elle met aussi en exergue son impuissance face à un ennemi iranien qui se délecte d’utiliser ses supplétifs, tantôt les rebelles houtistes du Yémen tantôt les milices chiites irakiennes, pour le déstabiliser. En incapacité de soutenir un conflit avec le géant perse, l’Arabie saoudite en est réduite à s’en remettre à l’Amérique et à Donald Trump. Or, le locataire de la Maison-Blanche n’a pas limogé son conseiller va-t-en-guerre John Bolton pour s’aventurer dans une guerre incertaine en période de précampagne pour sa réélection.

Le royaume wahhabite n’a humé que de très loin le souffle de la révolution arabe au début des années 2010. Son prince héritier, Mohammed ben Salmane, a semblé vouloir un temps en traduire quelques revendications au bénéfice de son peuple mais il a déçu. Depuis, il ne cesse d’enfoncer son pays dans une spirale mortifère. Pour nourrir l’espoir d’un avenir plus radieux, la jeunesse arabe a encore intérêt à porter son regard vers Tunis plutôt que vers Riyad.

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