Vladimir Poutine © Reuters

À quatre mois de l’élection présidentielle, comment Poutine manipule le jeu

Le Vif

A quelques mois de l’élection présidentielle en Russie, le maître du Kremlin manipule le jeu politique comme jamais. Du grand art.

Au printemps dernier, une rumeur a parcouru Moscou : et si Vladimir Poutine, au pouvoir depuis dix-huit ans, ne se représentait pas ? Pendant quelques jours, les spéculations sur les noms de possibles successeurs sont allées bon train. Puis, la réalité a repris ses droits : le président de la fédération de Russie – 146,5 millions d’âmes – serait bel et bien candidat pour un nouveau mandat de six ans. A quatre mois du scrutin du 18 mars prochain, tout se met donc en place pour l’élection présidentielle de Vladimir Poutine.

Oui, vous avez bien lu : l’élection présidentielle  » de Vladimir Poutine « . Car le résultat ne réserve aucun suspense. Non seulement la popularité du chef de l’Etat demeure considérable (de 65 à 80 % selon les estimations) mais, surtout, en l’absence du militant anticorruption nationaliste Alexeï Navalny, dont la candidature devrait être invalidée, aucun candidat sérieux ne pointe à l’horizon. Pourtant, la machine d’Etat consacre un soin méticuleux aux préparatifs électoraux car le régime cherche à parer de légalité tous ses agissements. Comme à chaque présidentielle, le casting des candidats est en apparence semblable à celui de n’importe quelle démocratie.  » En russe, nous appelons cela la politicheskaya technologia, explique Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie/NEI à l’Institut français des relations internationales (Ifri). C’est une science complexe qui vise à donner l’impression d’une offre politique diversifiée, mais sans toucher aux fondamentaux du régime. Et cela, en ménageant la situation économique, qui, malgré les sanctions internationales, se stabilise, et même s’améliore doucement.  » Un vrai numéro d’équilibriste.

Le président Vladimir Poutine (au centre), entouré de ses concurrents à la présidentielle. De g. à dr. : Vladimir Jirinovski, Grigori Yavlinski, Ekaterina Gordon, Guennadi Ziouganov, Ksenia Sobtchak, Elena Berkova et Anfisa Chekhova.
Le président Vladimir Poutine (au centre), entouré de ses concurrents à la présidentielle. De g. à dr. : Vladimir Jirinovski, Grigori Yavlinski, Ekaterina Gordon, Guennadi Ziouganov, Ksenia Sobtchak, Elena Berkova et Anfisa Chekhova.© E. CHESNOKOVA/SPUTNIK/AFP – S. KARPUKHIN/REUTERS – WIKIPEDIA COMMONS – G. DUKOR/REUTERS – C. GAILLE/PICTURE ALLIANCE/AFP – E. CH

Renouveler le paysage politique n’est toutefois pas aisé lorsque les principaux candidats d’opposition ressemblent de plus en plus aux  » vieux du Muppet Show « , ces marionnettes qui critiquaient le spectacle sans jamais rien proposer de neuf. Ainsi de l’éternel candidat communiste Guennadi Ziouganov. A 73 ans, il se présente à la présidentielle pour la énième fois depuis 1996, tout en s’éloignant chaque fois davantage de l’orthodoxie partisane. Admirateur de Staline, dont il fleurit la tombe chaque année, le candidat communiste circule en BMW haut de gamme, fréquente l’église et émarge à 10 000 euros par mois.

Autre cheval de retour : l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski, 71 ans, dont la xénophobie cible les ressortissants du Caucase du Nord. Lui qui était déjà candidat contre Eltsine en 1991 ! Enfin, Grigori Yavlinski, âgé de 65 ans, comme Poutine. Membre de l’intelligentsia et critique habituel du régime, il met sa crédibilité au service des électeurs à chaque présidentielle depuis 1996 (il avait recueilli 7 % des voix), mais avec la certitude qu’il n’a aucune chance de l’emporter. Un rôle de figuration qu’il maîtrise à la perfection. Pour la jeunesse russe née après la fin de l’Union soviétique, ce bal des vétérans a quelque chose de désespérant.

Donner l’impression d’une offre politique diversifiée, sans toucher aux fondamentaux

Par contraste avec cette vieille garde, la précandidature de l’indépendante Ksenia Sobtchak est authentiquement rafraîchissante. Personnalité volcanique des médias et animatrice du programme de téléréalité Dom-2 ( » La Maison-2 « ) – des candidats construisaient une villa que seul le vainqueur remportait après s’être montré le plus séduisant -, la fille du défunt maire de Saint-Pétersbourg Anatoli Sobtchak a grandi dans le cercle du pouvoir. Vladimir Poutine fut en effet le collaborateur de son père, puis son protecteur. En 1997, il aide l’édile, cerné par une enquête, à fuir la Russie.

Selon une rumeur persistante, démentie par l’intéressée, Ksenia Sobtchak, 36 ans, serait d’ailleurs la filleule du président.  » A Moscou, il est difficile de trouver quelqu’un de mieux introduit qu’elle dans tous les milieux, avec un pied dans les médias, un autre dans les cercles du pouvoir, note Tatiana Kastouéva-Jean. Et qu’elle soit avérée ou non, la rumeur sur sa filiation avec le président n’a jamais nui à sa carrière.  »

Pour Elena Berkova, ex-star du porno, l'éducation sexuelle est une priorité.
Pour Elena Berkova, ex-star du porno, l’éducation sexuelle est une priorité.© Capture d’écran.

Quoi qu’il en soit, en 2011-2012, lors des grandes manifestations anti-Poutine, la  » Paris Hilton russe  » fait volte-face en appuyant la contestation. Le mois dernier, en lançant sa précampagne, l’incontrôlable Ksenia Sobtchak – 5 millions de followers sur Instagram et 1,6 million sur Twitter – réclame la libération de prisonniers politiques, puis déclare que l’annexion de la Crimée en 2014 viole le droit international. Un quasi-crime de lèse-majesté.

 » Il est difficile de déterminer si sa candidature est spontanée ou téléguidée par le Kremlin, raisonne encore l’experte en  » technologie politique  » russe Tatiana Kastouéva-Jean. Dans le second cas, il s’agirait, pour le régime, de démontrer l’existence d’un pluralisme politique tout en neutralisant le mécontentement des supporteurs d’Alexeï Navalny au moyen d’une offre alternative : Ksenia Sobtchak « , explique-t-elle.

Seule certitude : selon l’institut de sondages indépendant Levada, seuls 1 % des électeurs seraient prêts à voter pour elle. Qui plus est, trois autres célébrités et précandidates déclarées sont susceptibles de lui voler la vedette : la journaliste de télévision Ekaterina Gordon, 37 ans, qui veut défendre les droits des femmes et des enfants ; le mannequin et animatrice de télé Anfisa Chekhova, 39 ans, qui a annoncé sa participation à la course électorale sur Instagram ; et surtout l’ex-star du porno Elena Berkova. Agée de 32 ans, elle a proposé, dans la foulée de l’affaire Weinstein, une solution radicale pour régler la question du harcèlement sexuel : la peine de mort.

Autre proposition de l’interprète du film Les étudiantes préfèrent les Vikings (2008) : rendre l’éducation sexuelle obligatoire à l’école, avec un examen en fin d’année scolaire.  » Souvent, les jeunes ignorent tout des normes légales en matières de sexe, des règles d’hygiène et je ne parle même pas du plaisir « , explique-t-elle sur Instagram, où elle apparaît en lingerie sexy et portant des lunettes.

Pour les familiers de la  » technologie politique à la russe « , cette candidature vise à discréditer celle de Ksenia Sobtchak en la noyant parmi des personnalités grotesques pour mieux lui rappeler son appartenance à l’univers du show-business. Personne, en effet, n’a oublié qu’en 2009 l’actrice porno figurait au nombre des candidates du programme de téléréalité Dom-2 animé par Ksenia Sobtchak. Et, pendant ce temps-là, Vladimir peut tranquillement cabotiner :  » Je n’ai même pas encore décidé si je serai candidat « , a-t-il déclaré récemment. Qui le croit ?

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