Vladimir Poutine © Reuters

A l’approche des élections présidentielles, la Russie reprend en main l’agence statistiques du pays

Le Vif

Le thermomètre de l’économie russe est-il déréglé? C’est ce que semble penser le gouvernement, décidé à reprendre en main l’agence des statistiques. Au risque d’entamer la crédibilité d’indicateurs scrutés à la loupe à l’approche de la présidentielle.

La crise, profonde ou modérée? La reprise, atone ou dynamique? Toutes ces questions sont essentielles au moment où la Russie semble émerger de deux ans de récession provoquée notamment par l’effondrement des cours du pétrole et par les sanctions imposées par les Occidentaux sur fond de crise ukrainienne.

Pour y répondre, l’agence fédérale des statistiques Rosstat et ses 23.000 employés compilent sur tout le territoire des chiffres en tout genre: espérance de vie, prix, production des usines, ventes des commerces… Ils traduisent en tableaux et graphiques l’état de la société et ses dynamiques.

Depuis plusieurs mois, un changement des modes de calculs, harmonisés avec les standards européens, entraîne une certaine confusion autour des rapports de cette administration, publiés en retard ou corrigés de manière radicale. Et analystes et pouvoir s’affolent. « Il s’agit d’une année préélectorale » avant la présidentielle de mars 2018, « les chiffres seront scrutés à la loupe », souligne à l’AFP l’économiste Igor Nikolaïev, de l’institut FBK Grant Thornton. « Si les principaux indicateurs sociaux-économiques sont mauvais, cela ressemblera à un non respect des promesses (de Vladimir Poutine lors de son retour au Kremlin en 2012, ndlr). Alors que si la croissance atteint 2%, on pourra dire: les sanctions nous ont gênés mais maintenant tout les indicateurs sont au vert ».

Dans un premier temps, les surprises ont été bonnes. Rosstat a révisé à la hausse la production industrielle et évalué la contraction du produit intérieur brut, jauge de la richesse nationale, à seulement 2,8% en 2015 contre 3,7% auparavant. Puis celle pour 2016 à -0,2%, faisant passer le gouvernement, avec son estimation de -0,6%, pour un oiseau de mauvais augure.

C’est toute la narration de la crise qui change: l’économie russe a montré une résistance inattendue au double choc subi grâce à une industrie dopée par le rouble faible et des petites entreprises dynamiques, en dépit d’un pouvoir d’achat des ménages en berne. Le gouvernement peut déclarer la récession terminée et annoncer une croissance autour de 2% pour 2017.

Des chiffres biaisés ?

Mais en mars, la publication, en retard de plusieurs jours et un samedi soir, de chiffres montrant une rechute de la production industrielle pousse le jeune ministre de l’Economie à sortir de ses gonds.

Maxime Orechkine qualifie de « raté » le passage aux nouvelles normes statistiques et dit s’attendre à des « révisions significatives » de ces chiffres.

Dans la foulée, les médias économiques russes révèlent que Rosstat va passer de la tutelle du Premier ministre à celle du ministère de l’Economie. D’où un soupçon immédiat de reprise en main par les experts du ministère, qui auraient intérêt à des chiffres plus optimistes.

Les statistiques économiques sont essentielles pour bâtir politiques publiques et budgets. En Grèce, leur manipulation récurrente a conduit à l’éclatement de la crise de la dette.

Elles constituent aussi un outil très puissant de propagande: bien des Russes gardent en mémoire les déclarations triomphantes des autorités soviétiques concernant les dépassements des plans de production.

Dans un rapport de 2013, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) saluait pourtant « le haut niveau de professionnalisme » et les progrès réalisés par Rosstat, notant simplement quelques pistes d’amélioration suivies en partie depuis.

Pour l’ancien vice-ministre de l’Economie Alexeï Vedev, interrogé par l’agence TASS, les difficultés actuelles liées au changement de méthodologie peuvent s’expliquer par l’inertie d’un personnel relativement âgé, et un changement de tutelle ne résoudra pas le problème. « Notre responsabilité ne changera pas avec notre statut », a assuré au quotidien Vedomosti le patron de Rosstat Alexandre Sourinov, soulignant que la loi garantissait « l’indépendance professionnelle ».

Nombre d’experts restent sceptiques. « L’agence des statistiques doit être la plus indépendante possible », approuve l’économiste Igor Nikolaïev. « Vu les critiques du ministère de l’Economie, je n’ai aucun doute sur le fait qu’un changement de tutelle aura des conséquences sur l’activité de Rosstat (…) et cela affectera la fiabilité des statistiques ».

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