Unité de traitement du Covid-19 mise en place par MSF à l'hôpital Saint-Joseph de Kinshasa. © MSF/FRANCK NGONGA

60 ans d’indépendance du Congo: un anniversaire sans fanfare à Kinshasa

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Pas de célébration à Kinshasa des 60 ans du Congo indépendant. La situation sanitaire sur le front du Covid-19 se dégrade dans le pays, l’économie plonge et le climat politique est de plus en plus pesant.

Il y a dix ans, le roi Albert II et la reine Paola, invités par le président Joseph Kabila, effectuaient une visite officielle de quatre jours à Kinshasa pour célébrer le 50e anniversaire de l’indépendance du Congo. C’était le premier déplacement d’un chef d’Etat belge au Congo depuis vingt-cinq ans. En février dernier, lors de la visite en RDC de la Première ministre Sophie Wilmès, venue resserrer les liens entre les deux pays, le successeur du  » raïs « , Félix Tshisekedi, a invité le roi Philippe aux festivités qui devaient marquer, ce 30 juin, les 60 ans de l’indépendance de l’ancienne colonie belge. Mais la pandémie de Covid-19 a vite balayé l’idée.

Aujourd’hui, plus question de défilé, fanfares et lampions à Kinshasa : vu les crises sanitaire et socio-économique, la commémoration se déroulera  » dans la méditation « , a prévenu le gouvernement. Le président a demandé aux ministres de réserver le budget prévu pour les cérémonies au personnel soignant exposé au virus et aux militaires, en guise de primes. Toutefois, le montant de cette enveloppe n’a pas été précisé, et nos sources à Kinshasa s’interrogent sur sa traçabilité.

 » Au Congo, les préoccupations sont ailleurs  »

Contraste saisissant : alors que le 60e anniversaire de l’indépendance du Congo est éclipsé, dans la capitale congolaise, par le coronavirus, il est marqué, à Bruxelles, par le débat sur le passé colonial. Il a resurgi sur fond de manifestations antiracistes et d’actes de vandalisme ciblant des statues de Léopold II, le souverain fondateur du Congo. A l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance, le Roi Philippe a par ailleurs exprimé ses « regrets » pour les « actes de cruauté » au Congo.

Longtemps restée sourde aux revendications d’activistes de la diaspora d’origine congolaise, qui réclamaient une  » décolonisation de l’espace public « , la classe politique belge a décidé d’entreprendre un travail de mémoire sur la colonisation. Toutes les formations représentées au Parlement – à l’exception du Vlaams Belang – ont souscrit à l’initiative de mettre en place, sans doute en septembre, une commission spéciale chargée d’examiner tous les aspects de la colonisation du Congo et de l’administration du Rwanda et du Burundi. Des experts en baliseront, pendant l’été, les travaux.

Quelle traçabilité pour le budget des cérémonies, affecté aux soignants et aux militaires ?

 » Ici, à Kinshasa, certains ont entendu parler des dégradations de statues de Léopold II en Belgique et des débats belges sur les abus commis au temps de la colonisation du Congo, mais cela n’agite pas l’opinion, raconte un expatrié belge. Pour la population, c’est de l’histoire ancienne, et les préoccupations sont ailleurs : elles s’appellent pauvreté, crise alimentaire, pénurie de médicaments… A ces maux s’ajoutent les tueries qui ravagent l’Est du pays et les retentissantes affaires de corruption qui secouent le sommet de l’Etat.  » Vital Kamerhe, l’ex-directeur de cabinet et allié politique de Félix Tshisekedi, a été condamné, le 20 juin, à vingt ans de travaux forcés et dix ans d’inéligibilité pour détournement de plus de 50 millions de dollars d’argent public et pour corruption. Entre-temps, un nouveau pensionnaire a rejoint la prison centrale de Makala : le directeur financier de la maison civile du président, Célestin Mwambi, suspecté d’avoir subtilisé plus de deux millions de dollars. Mwambi aurait déclaré avoir remis la somme à Mgr Gérard Mulumba, l’oncle de Tshisekedi et chef de sa maison civile, via le directeur de cabinet de l’évêque émérite, Jonas Shamuana Mabenga. Souci : depuis lors, ces deux proches du président ont succombé, l’un en avril, l’autre en mai, au Covid-19 !

Le pic de la pandémie en juillet-août

Autre contraste entre l’ex-colonie belge et l’ancienne métropole : au moment même où, en Belgique, les services de soins intensifs se vident et les admissions et décès de contaminés sont au plus bas, la situation sanitaire sur le front du Covid-19 se dégrade en RDC. Selon certains experts, le pic épidémique de la pandémie de coronavirus serait atteint en juillet-août, alors que le Congo manque d’équipements sanitaires et d’infrastructures pour accueillir les patients.  » La situation n’est pas rassurante, confie un diplomate européen en poste dans la capitale congolaise : le virus se propage beaucoup à Kinshasa. Le quartier de la Gombe, épicentre de l’épidémie et siège des institutions, des ambassades et des banques, reste sous confinement, mais ailleurs la vie est normale et les règles de distanciation sociale ne sont pas respectées.  » Selon MSF, qui a envoyé sur place des équipes mobiles pour soutenir une cinquantaine de structures de santé, la ville de douze millions d’habitants comptabilise plus de 90 % des cas détectés dans le pays.

Félix Tshisekedi et son allié politique Vital Kamerhe (à g.) avant la chute du tout-puissant chef de cabinet du président, condamné à 20 ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics et pour corruption.
Félix Tshisekedi et son allié politique Vital Kamerhe (à g.) avant la chute du tout-puissant chef de cabinet du président, condamné à 20 ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics et pour corruption.© ISOPIX

La pandémie s’étend néanmoins progressivement sur tout le territoire : onze des 26 provinces sont désormais touchées. Près de 5 000 personnes ont été confirmées porteuses du virus en trois mois, un chiffre sans doute sous- estimé au vu des capacités de tests limitées.  » Au début de l’intervention, la majorité des patients reçus souffraient de formes bénignes du virus, explique Karel Janssens, chef de mission de MSF en RDC. Mais, depuis la mi-mai, nous recevons de plus en plus de patients dans un état grave, à placer sous oxygéno- thérapie « . Pour autant, le taux de mortalité du Covid-19 reste faible jusqu’à présent au Congo : environ 130 décès ont été officiellement comptabilisés depuis l’apparition de la pandémie, le 10 mars dernier.

L’opération anticorruption se poursuit, mais les protégés de Kabila restent intouchables.

Morts en série à la présidence

Parmi ces morts figurent des conseillers du président Tshisekedi, des professeurs d’université et autres notoriétés. Les décès en série dans l’entourage du chef de l’Etat ont alimenté, sur les réseaux sociaux, des rumeurs d’empoisonnement, que le porte-parole de la présidence a dû démentir. Est ainsi décédé officiellement du Covid-19, outre Mgr Gérard Mulumba et Jonas Shamuana Mabenga, responsables de la maison civile de Tshisekedi, le professeur Jacques Ilunga, chargé de mission du président. Ballotté pendant une semaine d’un hôpital à l’autre, ce proche du chef de l’Etat a été enterré sans avoir été autopsié, malgré la demande de sa mère, pour qui son fils souffrait plutôt de la malaria. Autres décès dans l’entourage de Tshisekedi : l’avocat Joseph Mukendi, conseiller juridique du président et activiste des droits de l’homme, Charles Kilosho, directeur adjoint de la communication présidentielle, Jean-Pierre Wetshi, ancien conseiller à la présidence en charge de l’identification, et un certain Kabasele, membre de la garde rapprochée du chef de l’Etat. Toutefois, le décès qui secoue le plus l’opinion est celui, survenu dans la nuit du 26 mai, du juge Raphaël Yanyi Ovungu, qui présidait les débats du procès Kamerhe. Agé de 51 ans, le haut magistrat était en parfaite santé, selon ses proches. La police congolaise a d’abord parlé de crise cardiaque, mais l’autopsie a révélé un traumatisme crânien provenant de coups reçus sur la tête et la présence de substances toxiques à doses non létales. Une enquête pour meurtre a été ouverte.

 » Jusqu’ici, le président n’apparaît pas déstabilisé ou affaibli par ces disparitions et les affaires de corruption qui touchent les siens, estime un journaliste kinois. Avec la chute de Vital Kamerhe, il a, certes, perdu un allié politique, mais les opérations « mains propres » donnent de lui une image de rigueur, d’autant qu’il affiche sa volonté d’instaurer « un véritable Etat de droit ». Mais les hommes que protège Joseph Kabila, eux, restent intouchables, et l’ancien président voit son successeur perdre un à un ses proches conseillers, décimés par le virus ou inculpés par la justice. Kabila dispose en outre de la majorité au Parlement, plus de vingt gouverneurs de province sont ses alliés, et son principal souci est de gagner les prochaines présidentielles.  » Pendant ce temps, la déstabilisation dans l’Est du pays se poursuit, avec, selon plusieurs témoignages, des infiltrations rwandaises. De plus, l’économie congolaise est affectée par la déprime du secteur minier et la chute de la demande mondiale de minerais. Les sites miniers où les opérations ont été suspendues l’an dernier n’ont pas repris leurs activités. Les recettes fiscales s’effondrent et le pays est soutenu à bout de bras par la Banque mondiale et le FMI. Les mesures de confinement pèsent sur les agriculteurs, qui ont du mal à écouler leurs produits. Les experts estiment que la pandémie va paupériser plus de 2,5 millions de Congolais.

La piste Tshisekedi face au Covid-19

La progression de la pandémie en RDC et les décès en série dans son entourage ont rendu Félix Tshisekedi très préoccupé par le coronavirus. Début mai, il a fait revenir au Congo, en jet Falcon, Jérôme Munyangi, un scientifique de 33 ans connu pour ses recherches sur l’Artemisia annua, plante aux propriétés antipaludiques. Le jeune chercheur avait quitté précipitamment la RDC en mars 2019 et avait obtenu l’asile en France. Il s’était dit  » persécuté « , au Congo, par la mafia des faux médicaments, et cela pour avoir fait la promotion d’une tisane à base d’artémisia, alternative traditionnelle et locale aux médicaments antimalaria.

Arrêté à deux reprises au début de l’an dernier après la diffusion, sur France 24, du reportage Malaria business, du réalisateur belge Bernard Crutzen, il avait choisi l’exil. Et le voilà de retour au pays, réhabilité, reçu par le chef de l’Etat avec tous les honneurs, logé et bénéficiant d’une protection spéciale. Munyangi a rejoint la task-force anti-Covid-19 de la présidence, avec pour mission de vérifier si l’Artemisia annua peut être l’un des traitements possibles contre le coronavirus, ce que l’OMS a fini par admettre le mois dernier. Pour mener un essai clinique à large échelle, il faut deux millions d’euros, estime l’association française La Maison de l’artemisia, qui a lancé une opération de financement participatif en vue de pousser la recherche du jeune docteur.

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