Mélanie Geelkens

2 ans de #MeToo: « Une sacrée paire de hashtags »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Mouille-t-il son pantalon à l’idée d’être reconnu ? Ou Clément n’est-il même pas au courant que sa douce prose a été répandue sur les réseaux sociaux ? « Sale négresse », « je t’encule à sec », « les filles comme toi c’est fait pour servir »… Strophes choisies.

Clément-le-Blanc n’aime apparemment pas la Noire. Fallait pas la matcher sur Tinder, joli coeur. T’étais pas là pour draguer ? Une photo, un prénom, peut-être faux : confortable anonymat d’un site de rencontres pour gerber impunément sa haine. Ou pas. Ou plus. Les captures d’écran du poète ont été diffusées sur  » t’as joui ? « , un compte féministe Instagram aux 474 000 abonnés. En mode  » tremble, chéri, on va tout faire pour t’identifier « .

Le voilà, l’effet #MeToo. Depuis deux ans qu’on les balance, les porcs passent de moins en moins inaperçus. Le 15 octobre 2017, l’actrice américaine Alyssa Milano exhumait ce hashtag, en pleine affaire Weinstein, pour inciter les femmes à affirmer  » qu’elles aussi « . Violées abusées harcelées dégradées dévalorisées discriminées. Mais plus invisibles. Plus silencieuses. Ce petit mot-dièse et sa version francophile porcine se sont glissés comme deux cailloux sous la grosse semelle patriarcale. Dérangeants. De ces picotements difficiles à nier, qui finissent par donner envie de changer de godasses.

Tout est toujours pareil. #MeToo et #BalanceTonPorc n’ont engendré aucune parité. Ni salariale, ni politique, ni ménagère, ni professionnelle, ni culturelle, ni sportive… Tout est pourtant différent. Symboliquement.  » On a gagné la bataille des idées, aime répéter Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique. Un comportement de macho, de gros lourd (sans parler de raciste, hein, Clément !), il y a trois ans, ça passait. Plus aujourd’hui.  » Hashtags en forme de nouvelles grilles de lecture du monde, d’où plus personne n’oserait exclure le féminin. Mais où personne, encore, ne lui donne sa juste place, son égale moitié. Ça, ce sera la guerre à remporter.

Les armes sont dorénavant des hashtags, le champ de bataille est devenu numérique. Blogs, pages Facebook, comptes Instagram… #MeToo et #BalanceTonPorc, ce sont aussi ces victoires-là : le féminisme s’affiche sans complexe, se revendique, se distille dans les mentalités. Des filles qui l’ouvrent, c’est devenu (presque) normal. Et qu’on écoute, en plus ! Des dizaines de milliers de followers et d’abonnés. Où va le monde, mon bon monsieur. Des meufs qui ont compris qu’elles ne devaient pas attendre la parité, mais la provoquer. Pas que des Blanches (désolée, Clément) en tailleur-talons aiguilles, qui bossent dans la finance et veulent prouver qu’elles en ont, elles aussi, tout autant qu’eux. Féminisme à la sauce années 1990. Mais désormais des filles dans toute leur diversité, dans toute leur normalité. La force de l’ère post-#MeToo, selon la philosophe Florence Caeymaex. Celle  » d’avoir pu reconnecter le féminisme à toutes ses dimensions : culturelle, identitaire, économique et sociale.  »

Mais ces nouvelles guerrières, à force de conquérir leur part de parole publique, commencent à déplaire. Voilà ce qui arrive, lorsqu’on s’aventure sur un terrain historiquement phallocentré. Les masculinistes (hommes comme femmes) font de la résistance.  » Au fond d’eux, ils ont compris que le monde changeait, que le combat était perdu d’avance, nous confiait récemment le réalisateur Patric Jean. Ils essaient juste de gagner du temps.  » Si ça peut leur faire plaisir… C’est même parfois marrant, comme d’entendre à la radio de la bouche d’un journaliste (promis, ce n’était pas Clément)  » qu’avant #MeToo, on avait établi des relations apaisées entre les hommes et les femmes. C’était génial.  » Hashtag LOL.

C’est pas gagné

2 ans de #MeToo:
© NANA

Qui a peur de la grande méchante vulve ? Au moins cinq personnes en Belgique, et plus de quatre cents en France, apparemment. Des téléspectateurs choqués au point de se plaindre au CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) après avoir visionné la publicité de Nana. Un fabricant de serviettes hygiéniques qui a eu l’idée complètement dingue de parler du sexe féminin dans son spot. Quelle audace, vraiment ! Même pas version jambes écartées-origine du monde, mais au détour d’une demi-nectarine, un coquillage, un cupcake, un porte-monnaie… Il paraît que ça pourrait être choquant, pour les enfants. Faudrait quand même pas qu’ils sachent d’où ils proviennent. Il paraît aussi que c’est dégradant pour l’image de la femme. Faudrait quand même pas qu’elles apprennent qu’elles ont un vagin. Bizarrement, les cinq plaintes déposées devant le CSA belge l’ont été par… des femmes. Choquées, sans doute, d’avoir vu à quoi ressemblait une vulve.

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victimes ont été accueillies (entre octobre 2017 et juillet 2019) dans les trois centres de prise en charge des violences sexuelles, qui ont ouvert leurs portes il y a pile deux ans. 902 au CHU Saint-Pierre à Bruxelles, 517 à l’UZ Gand et 412 au CHU de Liège. 90 % de femmes, 25 % de mineures. Au départ, les responsables de ce projet pilote tablaient sur… 500 dossiers par an. Une  » pointe de l’iceberg  » – puisque très peu de personnes violées portent plainte – plus imposante qu’ils ne le pensaient, alors que ces structures restent peu connues, du grand public comme du monde policier. Les trois centres estiment qu’ils pourraient à l’avenir prendre en charge environ 3 000 victimes par an, encouragées par la libération de la parole des femmes et les campagnes de sensibilisation. Pour autant que les financements (essentiellement publics) se maintiennent. Qui les supprimerait, vu l’ampleur de leur  » succès  » ?

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