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Allokataplixis : Le don de touristes de s’étonner de petites choses

Stefanie Van den Broeck Journaliste Knack

On dirait une maladie tropicale, mais en réalité c’est un cadeau tropical: l’allokataplixis ou l’art des touristes de s’étonner de petites choses et d’inspirer la population locale dans ce sens.

En tant qu’ancienne habitante d’une ville historique, cela m’est souvent arrivé. Marcher dans le froid glacé le nez enfoui dans une écharpe et manquer de se faire bousculer par un groupe de Japonais / Chinois /Américains/ Russes (biffer la mention inutile). Avant de céder à un sentiment d’agencement, mieux vaut jeter un coup d’oeil en direction de toutes ces caméras, parapluies, et perches à selfie. Alors, on réalise ce qu’on oublie souvent : que ces tours sont incroyablement vieilles et belles, que ces pavés sont peu pratiques, mais féériques, que les cafés sont conviviaux et la bière délicieuse, mais que tout le monde se plaint à propos de la météo et les bus qui ne sont jamais à l’heure.

C’est un phénomène connu qui porte désormais un nom: l’allokataplixis, un contradiction de l’ancien grec allo (autre) et katapliktiko (s’étonner). Liam Heneghan, professeur en sciences de l’environnement à l’Université DePaul à Chicago a lancé le nouveau mot dans le magazine numérique Aeon. Chaque année, l’homme emmène ses étudiants en voyage d’étude en Irlande, son pays natal. Chaque fois, il est frappé de les voir s’étonner de petites choses : l’odeur saline qui flotte à Dublin, l’omniprésence de moutons, à quel point l’herbe est verte et le beurre jaune, les signes de croix que font les personnes âgées quand leur bus passe devant une église… Cependant, il note aussi que cela ne va pas que dans un sens : les touristes peuvent transmettre cet étonnement à la population locale. Un jour, il se promenait le long d’un marais avec ses étudiants. Charmé par leur étonnement, un Irlandais qui passait par là décide d’emprunter le fifre d’un étudiant et de siffler quelques chansons traditionnelles, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. C’est là un échantillon pur d’allokataplixis: un cadeau que les voyageurs font aux endroits qu’ils visitent.

C’est très reconnaissable, confirme Carla Borgmans, chargée de voyages de groupe pour l’organisation Joker. « Moi-même, je préfère voir des choses quotidiennes à l’étranger : des écoles, des magasins, des hôpitaux. Quand j’emmène des gens, j’essaie aussi d’éveiller leur intérêt pour la vie quotidienne. Quand nous partons en voyage, les participants ont surtout hâte de voir les lieux spectaculaires, tels que le Machu Picchu. Mais ce sont les simples rencontres humaines qui les marquent le plus. Je me rappelle très bien qu’on jour nous sommes passés à cheval devant une usine de tuiles à Cuba. Je trouvais une bonne idée d’aller jeter un coup d’oeil. Les gens de l’usine étaient tellement contents de voir notre intérêt qu’ils nous ont montré tout le processus de production. S’en est suivi une discussion passionnante sur les tuiles ici et là-bas, et les fumeurs belges et cubains ont fumé leur cigarette ensemble… C’est ainsi que se créent de véritables contacts, et un émerveillement mutuel. »

Johan Leyssen, fondateur de l’organisation de voyage De Prins van Hola Pola, a souvent assisté à des moments d’allokataplixis. « Nous organisons des voyages de groupe pour les familles avec enfants, avec justement cet objectif-là : ouvrir le regard des parents et des enfants et établir un véritable contact avec la population locale. » Cependant, il n’est pas toujours facile de convaincre la population locale de cette vision, constate Leyssen. « Les guides locaux veulent surtout montrer les sites touristiques et ne comprennent absolument pas qu’on ait envie de visiter un simple marché ou une école. C’est pourquoi nos partenaires idéaux sont ceux qui sont dans un mariage mixte : un Belge marié avec une Marocaine, par exemple. Eux se trouvent en permanence dans cette zone de tension. »

En Belgique aussi, Leyssen a déjà vécu l’allokataplixis. « Quand notre contact sénégalais était en Belgique, nous l’avons emmené sur la Grand-Place à Bruxelles. Soudain, il a pris une photo en tournant le dos à l’hôtel de ville. Apparemment, il avait vu une grille en fer forgé que son frère au Sénégal pourrait copier. Quand nous lui avons demandé ce qu’il voulait faire, il a répondu qu’il souhaitait voir un garage et un supermarché. Nous étions effectivement étonnés. »

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