Gand, le 11 novembre 1918. Les tramways arborent les drapeaux des alliés. © AGR, COLLECTIONS PHOTOGRAPHIQUES 1914-1918

Pourquoi le 11 novembre était plus une capitulation qu’un armistice

Le Vif

11 novembre 1918. Il y a 103 ans, l’armistice était signé, mettant fin à un terrible conflit dont les conséquences vont peser à très long terme. Pour des millions d’hommes et de femmes, c’est la fin d’une tragédie sanglante. Mais la date du 11 novembre n’a pas la netteté qu’on lui attribue souvent: la fin de la guerre a été variable, selon les lieux et les circonstances.

L’armistice est le résultat d’un mois de négociations, entamées dès le 5 octobre 1918. Le nouveau chancelier Max de Bade, cousin du Kaiser, adresse au président Wilson une note lui demandant de  » prendre en main le rétablissement de la paix « . La situation, en effet, est de plus en plus dramatique : l’empire ottoman a signé un armistice avec les puissances de l’Entente dès le 30 octobre 1918 et l’Autriche-Hongrie, le 3 novembre. L’Allemagne est donc isolée et incapable de redresser militairement la situation. Ludendorff estime avec justesse qu’il faut demander au plus vite l’armistice afin d’éviter la capitulation de l’armée allemande, l’invasion du pays et une révolution comme en Russie.

Selon les lieux, il existe un décalage plus ou moins important entre la libération, la fin de la guerre et l’évacuation des troupes ennemies.

Les alliés engagent alors un débat sur les conditions de l’armistice. Tandis que les clauses militaires rencontrent un accord relativement facile, les discussions sur les clauses politiques sont beaucoup plus vives. Les 14 points énoncés par Wilson en janvier 1918 servent de base aux négociations de paix. Les alliés en acceptent tous les principes généraux, même si les interprétations divergent sur bien des aspects. En effet, alors que le point 8 n’évoque que la  » restauration des régions envahies « , Clemenceau obtient que l’on mentionne explicitement une  » réparation des dommages « , l’un des grands enjeux des relations internationales dans les années 1920 et 1930.

Durant la première semaine de novembre, la situation de l’Allemagne se détériore rapidement. Le 7 novembre, une commission d’armistice dirigée par un civil, Mathias Erzberger, secrétaire d’Etat issu du Zentrum (parti du centre), se présente devant les lignes françaises. Un grand drapeau blanc a été hissé à l’arrière de la voiture. Une trompette qui accompagne la délégation fait entendre de brefs appels. Après un voyage de plusieurs heures, les quatre parlementaires allemands sont conduits jusqu’à la clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne, où les discussions commencent le 8 novembre au matin, dans le train du maréchal Foch. Les conditions d’armistice sont lues aux délégués allemands. En fait, les conditions exposées ne sont pas celles d’un armistice, mais bien d’une capitulation. Les Allemands sont atterrés.

Scène de liesse, à Mons, le 11 novembre 1918.
Scène de liesse, à Mons, le 11 novembre 1918.© ARCHIVES PHOTOGRAPHIQUES D’ANDRÉ FAEHRES

SOUDAIN, UN ÉNORME SILENCE

Le 9 novembre, après l’abdication de Guillaume II et le remplacement de Max de Bade par le socialiste Friedrich Ebert, les négociateurs sont invités à déclarer qu’ils sont bien les délégués du nouveau gouvernement allemand et que ce dernier exécutera les conditions de l’armistice. Erzberger signe la convention d’armistice le 11 novembre à 5h15 du matin, sans arriver à obtenir la moindre concession de la part des alliés. Les hostilités sont suspendues le 11 novembre 1918 à 11 heures du matin.

Sur le front belge, comme sur les fronts alliés, peu avant l’heure tant espérée, l’annonce de l’armistice ne provoque aucune émotion. Les hommes restent attentifs aux tâches à accomplir, les canons continuent leur oeuvre mortelle, le bruit de la guerre persiste. Au fond, personne ne réalise vraiment ce qui est en train de se passer. Le temps s’écoule lentement, les minutes s’étirent et l’angoisse croît. 11 heures. Soudain, c’est le silence, un énorme silence qui bouleverse. Les hommes se regardent avec stupeur. La guerre est finie. Alors éclate la joie, on chante, on danse, on rit. Les heures maintenant filent. La pluie indiffère tout un chacun. Ce n’est plus seulement la fin de la guerre, c’est aussi la victoire. L’émotion est telle que beaucoup se mettent à pleurer. Les soldats pleurent de joie, mais ils pleurent aussi les camarades disparus. Très vite, ils rejoignent les villes et villages libérés et partagent avec les civils ces moments de bruyante allégresse. Car pour les civils, ce n’est pas le silence qui marque les esprits, mais bien le bruit des cloches et l’enthousiasme des foules qui annoncent la fin du conflit et l’arrivée des premiers soldats belges ou alliés.

Comme beaucoup d’autres, Arthur Pasquier, un soldat wallon dont le régiment se trouve à proximité de Gand, note dans son carnet à la date du 11 novembre :  » Les participants nous encouragent, remplis d’émotions, et nous répondons à cet enthousiasme. (…) Les trams électriques roulent, la lumière électrique brille. Un beau spectacle. Il pleut depuis ce matin, mais personne n’y prête attention. On lit la joie sur les visages des femmes et des soldats. « 

Le général Weygand, l'amiral anglais Wemyss et le maréchal Foch après la signature de l'armistice.
Le général Weygand, l’amiral anglais Wemyss et le maréchal Foch après la signature de l’armistice.© BELGAIMAGE/ANN RONAN PICTURE LIBRARY

UN ARMISTICE, DES LIBÉRATIONS

Un peu partout, on chante la Brabançonne et la Marseillaise, les populations arborent fièrement des cocardes tricolores, le drapeau national est hissé sur les façades et des bals sont spontanément organisés ; un peu partout aussi, on brise des carreaux et les traîtres sont molestés. Les soldats belges sont portés en héros et acclamés par les foules. La joie collective qui s’exprime est toutefois teintée d’angoisses et de larmes pour bien des familles : il y a les morts, bien sûr, mais il y a aussi ceux qui ne sont pas encore revenus d’exil, de déportation ou simplement du front. Lorsque sonne l’armistice, l’armée belge est aux portes de Gand, tandis que les Canadiens libèrent Mons. Le reste du territoire belge est encore occupé par l’ennemi.

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En fait, selon les lieux, il existe un décalage plus ou moins important entre la libération, la fin de la guerre et l’évacuation des troupes ennemies. Ainsi, les souverains arrivent à Bruges dès le 25 octobre et à Gand le 13 novembre. En revanche, Bruxelles voit les derniers soldats allemands quitter la ville le 15 novembre, la ville de Liège n’est totalement évacuée par l’occupant que le 23 novembre. Autrement dit, dans ces deux villes, il y a quelques jours de flottement qui apparaissent comme une sorte d’espace hors temps assez confus : plus tout à fait la guerre, mais pas encore la paix.

Finalement, c’est la Joyeuse Rentrée du roi à Bruxelles, le 22 novembre, qui marque symboliquement la fin de la guerre pour le peuple belge. Cette cérémonie est particulièrement grandiose. Pour accueillir son Roi-Soldat, la capitale du royaume s’est mise en fête. Des monuments en stucs ont été construits à la hâte, les drapeaux flottent aux fenêtres des maisons et la foule emplit les rues. Les troupes belges et alliées qui défilent sont acclamées, tandis que la présence de la famille royale suscite des scènes délirantes d’enthousiasme.

On peut aujourd'hui visiter la réplique du wagon où fut signé l'armistice, à Compiègne.
On peut aujourd’hui visiter la réplique du wagon où fut signé l’armistice, à Compiègne.© BELGAIMAGE / HEMIS

LE 11 NOVEMBRE ET NON LE 4 AOÛT

On le voit, le 11 novembre n’a pas la netteté qu’on lui prête trop souvent. D’ailleurs, en 1919, le Parlement choisit le 4 août, plutôt que le 11 novembre, comme date nationale de commémoration de la Grande Guerre. Ce jour devait évoquer l’immense et magnifique élan de patriotisme qui a soulevé l’ensemble de la population belge au moment de l’agression allemande. Elle devait également rappeler aux alliés la place spécifique de la Belgique  » héroïque et martyre  » au sein de la Grande Guerre, au moment où l’on négociait la paix à Paris. Mais, cinq ans plus tard, le 4 août symbolisait avant tout le début d’une longue épreuve faite de misères, de souffrances et de deuil, et non le patriotisme victorieux du 11 novembre dont on préférait spontanément se souvenir. L’écart entre les voeux des parlementaires et la perception populaire est tel que, dès 1922, le Parlement revient sur sa décision pour se rallier à la volonté générale : désormais, le 11 novembre, déjà célébré par les alliés, sera jour férié en Belgique aussi.

« La grande joie envahit les âmes par vagues »

Dix ans après l’armistice, dans Le Soir du 3 octobre 1928, Albert Devèze, qui a combattu sur l’Yser puis est devenu ministre de la Défense nationale, se souvient :

 » L’aube approche. Les cyclistes parviennent aux unités prêtes à l’action. Ils apportent la nouvelle que la progression est décommandée, que l’armistice commence à 11 heures. Point d’émotion expansive ni des chefs ni de la troupe. (…) On est surpris, attentif à la tâche qui reste à faire, résigné à la bonne ou à la mauvaise fortune. Au fond, personne ne réalise encore ce qui arrive. Et le canon, ce canon que l’on entend depuis quatre ans nuit et jour, le canon tonne toujours, lointain et proche, en roulement ininterrompu. Il continuera durant cette matinée qui semble si longue, pendant ces heures qui passent avec une lenteur angoissante (…). Onze heures. L’armistice. Brusquement, un énorme silence, un silence qui émeut, qui bouleverse. On se regarde avec une sorte de stupeur. Puis c’est enfin la joie, la grande joie qui envahit les âmes par vagues, qui fait qu’on rit, qu’on chante, qu’on s’étreint, qu’il semble qu’une vie nouvelle fait battre les coeurs et se gonfler les poitrines ! Les minutes maintenant passent, volent. Et, tout à coup, à midi juste, éclate une fanfare. Au son de la marche Entre Sambre et Meuse, l’infanterie, massée en colonnes, franchit l’Escaut devant Semmersacke. Cette fois, ce n’est pas seulement l’Armistice. C’est la Victoire. Et l’on ne sait plus si on rit encore, ou si l’on pleure déjà. « 

Un discours du Trône resté dans les mémoires

Palais de la nation, 22 novembre 1918. Le roi Albert prononce son fameux discours du Trône, dans lequel il commence par se présenter en tant que Roi-Soldat, c’est-à-dire en tant que chef de l’armée :  » Messieurs, je vous apporte le salut de l’armée ! Nous arrivons de l’Yser, mes soldats et moi, à travers nos villages et nos campagnes libérés. Et me voici devant les représentants du pays.  » Dans la première partie, il rend d’abord hommage à son armée et aux soldats morts au champ d’honneur, mais aussi aux civils morts pour la patrie devant le peloton d’exécution, en déportation ou lors des massacres d’août 1914. A chaque paragraphe, l’assemblée applaudit et se lève.

Dans une seconde partie, le roi expose le programme gouvernemental, dont l’octroi du suffrage universel pur et simple pour les hommes de 21 ans (et les veuves de guerre) est l’élément le plus important :  » L’égalité dans la souffrance et dans l’endurance a créé des droits égaux à l’expression des aspirations publiques.  » A cette phrase, l’assemblée se lève pour acclamer longuement le souverain. Des applaudissements ponctuent encore diverses réformes comme la loi des huit heures ou l’abandon de la neutralité. Toutefois, lorsqu’il se met à évoquer l’université de Gand, c’est le silence. Quand il condamne publiquement les activistes flamands, toute l’assemblée se lève pour applaudir.

Enfin, le roi termine par un appel à l’unité et à la reconstruction du pays :  » A l’oeuvre donc, messieurs ! Que Dieu vous soit en aide pour faire de la Belgique une patrie de plus en plus unie, de plus en plus digne d’être chérie par ses enfants.  » Solennellement, donc, la plus prestigieuse autorité du pays affirmait l’héroïsme et le martyre de la Belgique, reconnaissait les deuils et les ruines, et proclamait sa foi en l’avenir national. Ainsi, la Première Guerre mondiale se terminait pour les Belges dans une joie patriotique mêlée de tristesse. Car au moment où la joie explose, les souvenirs des épreuves subies remontent dans les mémoires et les morts font sentir leur absence.

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