Aloïs Wulput, le dernier soldat belge passé par les armes, le 3 juin 1918. Fusillé à Oostduinkerke pour l'assassinat d'un caporal. © Kenniscentrum In Flanders Field, Ieper

Où est le grand pardon pour les fusillés  » pour l’exemple  » ?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Abandon de poste ou insubordination ont mené douze soldats belges au poteau d’exécution en 14-18. Le gouvernement fédéral promettait de réexaminer leur cas. Les célébrations du centenaire n’ont pas accouché des excuses réclamées par certains descendants.

Le centenaire de la Grande Guerre s’est clôturé à l’heure dite, le 11 novembre dernier, date anniversaire de l’Armistice signé en 1918. Sans fausse note, sous une pluie d’hommages et une cascade de moments intenses de recueillement. Rien oublié dans le flot des commémorations ? Peut-être bien que si. Un geste fort, des excuses officielles pour le sort réservé à une poignée de soldats belges : ceux que l’on appelle les fusillés  » pour l’exemple « , parce qu’ils furent passés par les armes pour manquement à leur devoir, sur décision d’une justice militaire rendue dans des circonstances aussi discutables que toujours discutées.

Raison jugée suffisante pour qu’à la veille d’entrer de plain-pied dans quatre années de centenaire, certains de leurs descendants unissent leurs voix pour réclamer du gouvernement fédéral un pardon solennel. L’appel, lancé au nord du pays, ne laisse pas insensible Elio Di Rupo (PS). Le Premier ministre d’alors s’y engage : l’affaire sera tirée au clair. Une enquête sur les enquêtes de jadis est confiée à l’Ecole royale militaire, sous la houlette du titulaire de sa chaire de droit, Stanislas Horvat. La main tendue s’accompagne d’une utile recommandation : il conviendra d’opérer avec retenue et sérénité.

Mine de rien, on marche sur des oeufs. La mouvance nationaliste flamande est en embuscade, l’oreille toujours dressée dès qu’il est possible d’attribuer à la Belgique un mauvais rôle et d’enrichir sa galerie de martyrs. D’obscurs soldats flamands injustement tombés sous des balles belges, sur injonction d’un commandement militaire belge et sur décision d’une justice militaire belge sommaire et expéditive, tout cela au nom d’une guerre absurde : quel beau trophée à décrocher pour couronner le centenaire en version flamandisée. La N-VA, encore dans l’opposition, met gentiment la pression en relayant à la Chambre le combat des descendants. Et déjà, un sénateur ex-Vlaams Belang, Jurgen Ceder, se projette une guerre plus loin :  » Une telle réouverture de dossiers ne pourrait-elle être possible pour des faits commis durant d’autres guerres mondiales ?  »

Un rapport de report en report

La feuille de route est toute tracée, le vieux contentieux semble devoir être rondement éclairci.  » La publication des conclusions s’insérera dans le cadre des célébrations du centenaire de la Première Guerre. L’étude scientifique avance bien, elle pourrait être achevée d’ici six semaines à deux mois « , cadre Pieter De Crem (CD&V), ministre de la Défense, le 21 janvier… 2014. Mais rien en vue au retour de la belle saison. Un verdict est ensuite annoncé pour juin 2015, puis pour le printemps 2016. Raté, encore raté, toujours raté.

Entre-temps, Charles Michel (MR), à la tête d’un gouvernement avec la N-VA à bord, n’a de cesse d’exhorter à prendre patience et à garder son calme : inutile de flairer une quelconque volonté  » d’étouffer  » le dossier. Il ne faut y voir qu’une saine temporisation liée à des problèmes d’accès aux sources et au souci de ne rien laisser au hasard dans l’étude des faits. C’est que, insiste le Premier, le droit à l’erreur n’est pas permis dans une matière aussi complexe où se mêlent aspects historiques, juridiques et affectifs.

Au coeur des investigations : un noyau de douze soldats belges, fusillés pour abandon de poste (5), insubordination (4), assassinat d’un supérieur (2), homicide sur une fiancée (1). Au centre des interrogations : les neuf exécutions antérieures au printemps 1915, avant que la répression ne s’adoucisse sur intervention d’Albert Ier, et qui furent fatales à quatre Flamands, quatre Bruxellois et un Wallon.

Les oubliés du centenaire

Alors, ce rapport ? Il a fini par être bouclé puis validé l’été dernier par un comité scientifique consultatif associé aux commémorations du centenaire. Lequel laisse au gouvernement l’entier embarras du choix : un mea culpa général, des excuses ciblées sur certains fusillés, une porte ouverte à une demande de révision de condamnation introduite à la Cour de cassation par les descendants ou par le ministre de la Justice. Ou alors un refus poli de contester les sentences judiciaires et de faire amende honorable.

Il appartenait à la suédoise, collégialement, de faire atterrir politiquement le dossier.  » J’examinerai cette difficile question sans tabous « , prétendait Charles Michel. Et sans s’enfermer dans un calendrier. Sans cocher une date proche du 11 novembre, fenêtre de tir idéale avant que le rideau ne tombe sur un centenaire riche en temps forts. Au diable, le timing annoncé par Pieter De Crem : les fusillés  » pour l’exemple  » passent sous les radars et restent les oubliés de l’histoire. Pas un parlementaire ne se signale alors pour remuer le dossier, plus de descendants pour se manifester, une N-VA aphone sur le sujet. Rien qu’une indifférence générale, propice à un enterrement dans la plus grande discrétion. Et aujourd’hui, rien qu’un  » no comment  » des services du Premier ministre aux questions du Vif/L’Express. Terrain miné :  » Ce dossier est tellement délicat « , confie un de ses acteurs.

Bon pour un fond de tiroir, le  » rapport Horvat  » ? Epaisse d’une centaine de pages, la minutieuse reconstitution des procès et des exécutions rendrait plutôt justice à la justice militaire : il est admis que les conseils de guerre ont agi avec sévérité mais dans des conditions chaotiques qui relèvent de circonstances atténuantes. L’étude tordrait au passage le cou au mythe tenace du soldat flamand envoyé à la mort sous des ordres formulés en français qu’il ne pouvait pas comprendre. Pas de flagrantes bavures, pas de quoi donner matière à justifier un pardon officiel. Tout au plus à suggérer aux communes d’où étaient originaires les soldats exécutés de faire figurer le nom du défunt à l’arrière d’un monument aux morts.

Portée sur la place publique, cette relecture historico-judiciaire aurait fait des déçus : les descendants éconduits, les parlementaires flamands qui ont épousé leur combat. Et puis les ministres N-VA de la suédoise, contraints de chagriner l’arrière-ban nationaliste flamand. Autant s’épargner une polémique qui aurait fait tache à l’heure de communier une dernière fois dans le recueillement. Quelle excuse invoquer à présent pour éviter de devoir ou non s’excuser ? S’abriter sous le régime des affaires courantes pour renvoyer le brûlot aux calendes grecques. A moins que la Chambre se décide à réclamer du Premier ministre qu’il honore enfin sa promesse :  » Je n’ai aucune objection à ce que le rapport final soit transmis au Parlement « . Avant l’heure, c’était pas l’heure. Viendra-t-elle un jour ?

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