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Les secrets macabres de Bruegel

Muriel Lefevre

L’imagerie moderne a permis de révéler des détails jusqu’ici inconnus dans les oeuvres du maître flamand.

Tout le monde connaît Bruegel, ne serait-ce que par des reproductions sur des calendriers ou des boîtes à biscuits. Mais peu savent que les tableaux cachaient quelques secrets.

Dans le cadre de son exposition historique consacrée à Bruegel, lire encadré, Le Kunsthistorisches Museum de Vienne (KHM) a lancé, dès 2012, une expertise technique approfondie de ses tableaux, à l’aide de rayons X et d’infrarouges notamment. Une démarche qu’aucune collection n’avait effectuée de façon systématique auparavant concernant Bruegel. Cette nouvelle technologie d’imagerie a notamment permis de séparer les différentes couches du tableau et de voir le cheminent du processus créatif. Et, surprise, lorsqu’on a étudié plus en profondeur « Le Combat de Carnaval et Carême » que Pieter Bruegel l’Ancien a peint en 1559, des cadavres, jusque-là invisibles, sont apparus dit le New York Times.

Parmi les 200 personnages représentés sur le tableau, l’imagerie moderne fait apparaître un cadavre à l’intérieur d’un chariot qu’une vieille femme traîne derrière elle et un autre par terre, le visage tourné vers le spectateur, et couché à côté près d’un enfant malade. Mais lorsque l’on regarde le tableau à l’oeil nu, rien de tout cela n’est perceptible. Le chariot est noyé sous de la peinture brune et le corps sur le sol est masqué par un drap blanc.

Les secrets macabres de Bruegel
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Des détails à foison

Bruegel est connu pour ses tableaux qui regorgent de détails et qui semblent de prime à bord chaotiques. Il nous fait découvrir, avec force de détails étonnamment réalistes, un univers comique, violent et parfois laid des gens ordinaires à l’époque de l’Inquisition espagnole au XVIe siècle. Ce qui rend Bruegel si fascinant c’est qu' »il parvient à représenter des détails d’une précision stupéfiante tout en les combinant à une profondeur de champ littéralement cinématographique », souligne Manfred Sellink, directeur du Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers et co-commissaire de l’exposition du KHM.

Célébré de son vivant déjà et à l’origine d’une longue dynastie d’artistes, Pieter Bruegel l’Ancien n’a cependant pas toujours eu la cote. « Au 18e siècle, la majeure partie de son oeuvre avait été remisée et il n’a véritablement été redécouvert qu’au début du 20e siècle », rappelle l’historienne de l’art Alice Hoppe-Harnoncourt. Hormis cette parenthèse, « chaque génération a essayé de percer les mystères de Bruegel, mais aucune n’y est véritablement parvenue tant son oeuvre est riche », relève Sabine Pénot, conservatrice de peintures néerlandaises et hollandaises au KHM et autre co-commissaire de l’exposition. « Au final, au-delà de son aspect parfois ludique, il renvoie chacun à soi-même. »

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Sa femme devait brûler ses dessins

Sur son lit de mort, Bruegel avait demandé à sa femme de brûler ses dessins de peur « qu’ils soient trop caustiques ou dérisoires ». Avait-il des regrets ou peur que sa femme ait des ennuis ? Nul ne connait la réponse. Il existe en effet un éternel débat autour du degré de causticité de Bruegel envers les autorités de l’époque. Bruegel lui-même apportait des changements à ses propres compositions et ce sont autant d’indices sur ses motivations. Comme d’autres maîtres du XVIe siècle, il élaborait minutieusement, couche par couche, ses tableaux sur des panneaux de bois. Il commençait par une surface de base de couleur claire faite de craie et de colle animale, sur laquelle il esquissait sa composition avant, dans un second temps de peindre le tableau avec de la peinture l’huile. En analysant les différentes couches, on constate qu’il existe des différences notables. Par exemple, toujours dans « Le Combat de Carnaval et Carême », une croix, symbole de l’église, a été recouverte de deux poissons dans sa version définitive.

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« Cela pourrait être interprété de différentes façons. » Ron Spronk, professeur d’histoire de l’art à la Queen’s University de Kingston en Ontario,et un des curateurs de l’exposition a dit : « Il y a encore beaucoup de débats sur la signification des tableaux. La question de ce que Bruegel essayait vraiment de transmettre n’est pas résolue. Il n’est pas clair si le peintre était un anthropologue en avance sur son temps qui voulait nous montrer des images de paysans dans leur vie quotidienne ou s’il essayait simplement de nous faire rire. »

En ce qui concerne les cadavres qui ont disparu sous les dernières couches, Sabine Pénot, précise que Bruegel n’avait pas fait ces changements lui-même, mais personne ne sait exactement qui l’a fait, ni quand. Une des pistes pourrait être au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Mme Pénot compare ces changements à ceux qui ont été notés précédemment dans « Massacre des Innocents » de Bruegel, qui se trouve actuellement dans la collection royale britannique. Ce tableau décrivant un massacre d’enfants est considéré aujourd’hui comme l’une des critiques les plus virulentes de Bruegel sur les atrocités commises par l’Inquisition espagnole aux Pays-Bas. Mais certains ont dû penser que la violence qu’il dépeignait était trop difficile à supporter et, à un moment donné, soit au XVIIe ou au XVIIIe siècle, dit Pénot, quelqu’un a remplacé toutes les images d’enfants morts par des images d’animaux de ferme. Ce qui en a fait le tableau qu’on peut le voir aujourd’hui. Selon Pénot, les chercheurs avaient découvert que  » la plupart de ses peintures ont subi une modification. Soit les panneaux ont été coupés, soit ils ont été partiellement repeints ou les détails ont été changés. Ces changements ont été effectués à l’époque de Bruegel ou à des époques ultérieures. »

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Partir soi-même à la recherche des détails

Sur InsideBruegel.net, 12 tableaux du musée de Vienne sont disponibles en ligne. Il est possible de zoomer sur les oeuvres et de percevoir des détails pratiquement invisibles à l’oeil nu. « Ce site n’est pas dédié uniquement aux spécialistes. Si c’est un outil très utile pour la conservation, il peut aussi vous permettre de faire des découvertes », selon Mme Pénot. Une fouille qui risque bien de se révéler aussi addictive que chronophage.

Une expo exceptionnelle

A l’occasion du 450e anniversaire de la mort du peintre est rassemblée au Kunst Historisches Museum, à Vienne, jusqu’au 13 janvier quasi toute l’oeuvre de Pieter Bruegel (1525-1569). On peut y admirer 30 tableaux sur les 40 qui restent, mais aussi 60 dessins et gravures. C’est la plus grande exposition jamais consacrée au maître flamand du 16e siècle. Une rétrospective unique, qui n’arrive qu’une seule fois dans une vie comme le dit le slogan de l’exposition, pour lequel la réservation est obligatoire. « Avoir réussi à réunir autant d’oeuvres relève du miracle. C’est aussi le fruit de six ans de travail » d’une équipe comprenant les meilleurs spécialistes internationaux de Bruegel, souligne Mme Pénot. C’est sans doute la dernière fois qu’autant d’oeuvres du maître seront rassemblées, car ces tableaux sur bois sont extraordinairement fragiles. Les transporter est donc risqué et les frais d’assurances astronomiques. Parmi les clous de l’exposition figurent également l' »Adoration des rois mages dans la neige » du musée de Winterthur, qui a nécessité une loi spéciale pour pouvoir sortir de Suisse, ou « Le port de Naples », récemment authentifié comme étant bien de Pieter Brugel l’Ancien après restauration à Rome.

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