L'espace habitat de l'exposition, avec chenets en céramique et chaudron. © O.R.

Les Celtes d’Ardenne sortent de l’ombre avec une nouvelle scénographie au musée de Libramont

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les Celtes sont attestés en Ardenne belge du Ve au IIe siècle avant notre ère. Quelles traces y ont-ils laissé? Quel était leur mode de vie, au-delà des clichés? Le point sur les découvertes, au moment où Libramont inaugure son Musée des Celtes rénové.

Le monde celtique ne se limite pas aux extrémités nord et ouest des îles britanniques et à la Bretagne, où ses langues et sa culture ont survécu jusqu’à nos jours. Originaires d’Europe centrale, les Celtes migrent vers l’Ouest et connaissent leur expansion maximale pendant la période de La Tène, ou second âge du Fer (de 450 avant J.-C. à la conquête romaine). Ils sont attestés en Ardenne belge du Ve au IIe siècle avant notre ère. Le coeur des hauts plateaux schisteux ardennais, qui n’avait guère attiré les populations préhistoriques, est colonisé par des populations celtes qui y ont laissé de nombreuses sépultures. « Les objets retrouvés lors de fouilles, surtout de la vaisselle, des bijoux, des outils, des armes, des accessoires vestimentaires, des pièces de harnais de chevaux et de chars à deux roues, témoignent du savoir-faire et de la vie quotidienne des Celtes ardennais », signale Florence Zenner, conservatrice du Musée des Celtes de Libramont, qui rouvre ses portes après un an et demi de fermeture pour cause de déménagement et de création d’une nouvelle scénographie (lire l’encadré ci-dessous).

Un musée new look

« Bienvenue en terre celte. » Ecrite sur un mur en caractères XXL, la phrase accueille le visiteur du Musée des Celtes de Libramont, entièrement rénové. Fermé depuis mars 2020, il a rouvert ses portes et sera inauguré officiellement ce 26 novembre. Le musée a quitté l’ancien presbytère de la place communale, promise à un réaménagement de grande ampleur. Il est logé provisoirement à un jet de pierre de là, au 1er étage du bâtiment de la Halle aux foires. Cette installation « transitoire » pourrait durer de trois à cinq ans, nous soufflent les responsables des lieux, qui ignorent encore où sera hébergé définitivement le musée. Ce déménagement était l’occasion de repenser la scénographie. La nouvelle présentation, qui intègre des écrans vidéo, des modules à manipuler, des objets à réaliser, et propose aussi des contes à écouter, vise à sensibiliser tous les publics – écoliers et familles, touristes francophones et néerlandophones (textes explicatifs bilingues) – aux aspects les plus divers de la vie quotidienne des Celtes: l’habillement, les bijoux, les outils, les armes… Un intérieur d’habitat évoque les soins du corps et la cuisine. Un char grandeur nature illustre les déplacements vers les lieux de commerce et de pratique funéraire. Sont également abordés les mythes et les dieux (Taranis, Cernunnos, Lug, Epona…). Au total, quelque trois cents pièces sont exposées, une sélection du produit des fouilles menées sur des sites ardennais. Elle est complétée par d’autres objets prêtés par le musée archéologique d’Arlon, le musée gallo-romain de Tongres et le musée de Saint-Vith: des pièces de monnaie, des balles de fronde, un rasoir, une fibule, un bracelet décoré. Certains de ces objets, dont une phalère en bronze ajouré dessinée au compas, laissent entrevoir une civilisation inventive, opulente et largement ouverte aux influences extérieures.

Réalisation de vos propres fibules.
Réalisation de vos propres fibules.© MUSÉE DES CELTES

Musée des Celtes, 1er étage de la Halle aux foires, place communale, à Libramont.

Deux groupes en Ardenne

« Les Celtes de l’Ardenne belge se distinguent par leurs coutumes funéraires, spécifie Florence Zenner. Ils pratiquent l’inhumation des défunts sous des tertres de terre, alors que partout ailleurs on incinère les morts. » La plupart des vestiges de la civilisation celte ardennaise proviennent de découvertes faites dans ces tertres, appelés « tombelles » par les archéologues. Plus de cent septante sites ont été fouillés en Ardenne, sur les six cents tertres recensés. Deux groupes de tombelles datés de la période de La Tène ont été identifiés par l’archéologue Anne Cahen-Delhaye. Le groupe septentrional, qui s’apparente à la culture du Hunsrück-Eifel (Allemagne occidentale et cantons de l’est belges), est centré sur les communes de Gouvy, Houffalize et Crombach. Dans cette région traversée par l’Ourthe, la plupart des tumulus ne couvrent qu’une seule sépulture et le mobilier funéraire est pauvre, limité souvent à un vase en céramique.

Chez les Celtes, on se lave, on se rase et on se coupe les cheveux.

Les « tombes à char »

Les tombes du groupe méridional, dispersées entre Bertrix et Bastogne, avec Libramont et Neufchâteau pour principaux centres, sont plus grandes, en général collectives, et leur mobilier est plus abondant: on y trouve des chars, des accessoires de prestige. Ces « tombes à char » révèlent l’existence d’une société hiérarchisée, au sein de laquelle les élites tenaient à être inhumées avec leurs richesses, symboles de leur pouvoir. Des sépultures du même genre se retrouvent dans les bassins français de l’Aisne et de la Marne (Champagne). « Ces dernières années, on a découvert des tombes entre la zone nord Gouvy-Houffalize et la zone sud Libramont-Neufchâteau, ce qui donne à penser que les deux groupes celtes ardennais n’étaient pas aussi distincts qu’on l’imaginait », remarque la conservatrice du musée.

Le phénomène des tombelles ardennaises disparaît dès le IIe siècle avant notre ère, période où la présence celte n’est plus visible en Ardenne qu’à travers quelques occupations fortifiées. En Gaule et sur un territoire qui s’étend jusqu’à la Bohème, c’est le début de l’âge d’or des oppidums, sites fortifiés et urbanisés, où se développent activités artisanales et commerciales, et qui constituent des centres de pouvoir pour la classe aristocratique, militaire et religieuse. De grands sanctuaires font leur apparition, enclos sacrés où l’on expose de nombreuses dépouilles humaines.

Carnyx en bronze inspiré d'un modèle français.
Carnyx en bronze inspiré d’un modèle français.© MUSÉE DES CELTES

L’héritage des Celtes

La guerre des Gaules menée par Jules César et la conquête romaine (-58 à -51) amorcent la fin de l’âge du Fer et de la culture celtique. Mais l’héritage celte perdure au sein des populations régionales, restées fidèles aux traditions anciennes malgré la romanisation. La langue celtique, déclinée en dialectes locaux, reste vivante au sud de la Belgique, à travers des noms de lieux et de rivières: Ardenne (ar’den désigne un espace sombre, comme la forêt, ard-enna signifie « lieu élevé » et Arduinna est une déesse celte), Lesse ( lecia, eau coulant sur une pierre plate), Ourthe (urd, rivière caillouteuse ou courant rapide)… « Les Celtes n’ont laissé aucun écrit dans leur langue, indique Lyse Walraet, archéologue-animatrice du musée de Libramont. Ils privilégiaient la transmission orale. Des inscriptions celtes sur des poteries, des notes et des recensements empruntent les alphabets grec ou romain. »

Pièces de Sainte-Marie - Chevigny.
Pièces de Sainte-Marie – Chevigny.© PROVINCE DE LUXEMBOURG, MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE D’ARLON – PHOTO MATHIAS BRIQUEMONT

Pas des barbares hirsutes

Les Celtes vivent dans des fermes isolées ou se regroupent en petits villages. Leurs bâtiments sont souvent de forme rectangulaire. En Ardenne, ils sont établis en fonds de vallée, à proximité des points d’eau, alors que les nécropoles sont aménagées sur des points culminants. Pline l’Ancien, écrivain romain du Ier siècle, attribue aux Celtes l’invention du matelas et du couchage rembourré, alors qu’on couchait sur la paille dans le monde méditerranéen. « Chez les Celtes, on se lave, on se rase et on se coupe les cheveux, poursuit Lyse Walraet. Ce n’étaient pas des barbares hirsutes, image véhiculée à travers les siècles, mais des êtres raffinés. Nous avons dans nos collections un nécessaire de toilette trouvé dans une tombe. »

Parures et bijoux

Le tissage et l’usage de la laine et du lin sont attestés. Quelques lambeaux de tissus, en contact avec des objets en métal, dont l’oxydation a pénétré les fibres et la trame, ont été conservés dans les tombelles ardennaises. Les hommes portent une tunique et des braies, tenue complétée souvent par une cape fermée par une fibule. Les femmes sont vêtues d’une courte tunique, d’une jupe ou d’une robe. Elles portent parfois un voile sur les épaules ou la tête. Selon le genre, la mode, les moyens et le statut social, des accessoires complètent la panoplie habituelle: torque, bracelets, fibules, brassards en métal… Les femmes portent des boucles d’oreilles, des colliers de perles, des épingles et des anneaux dans les cheveux. Les parures et bijoux, aux motifs parfois très élaborés, sont incrustés d’émail, de pâte de verre, d’ambre ou de corail. L‘ambre vient de la mer Baltique, le corail de la Méditerranée et le verre de Syrie-Palestine ou d’Egypte. En Ardenne, on a trouvé aussi des bracelets en lignite et en sapropélite.

Plaque ajourée en bronze, élément de parure pour chevaux, Léglise - Gohimont, Ve siècle avant notre ère.
Plaque ajourée en bronze, élément de parure pour chevaux, Léglise – Gohimont, Ve siècle avant notre ère.© Musée des Celtes

Le cliché du sanglier

La majorité des Celtes sont des fermiers et des paysans, même si l’Ardenne belge est peu propice à l’agriculture. L’essor de l’élevage (vaches, cochons, chèvres, moutons…) a fait de la chasse une activité secondaire, plutôt réservée à l’aristocratie. Elle représente à peine 5% de l’alimentation carnée. Le chevreuil, le cerf et sans doute le lièvre sont les gibiers de prédilection des Celtes, loin devant le sanglier. Les découvertes archéologiques balaient ainsi l’idée reçue, popularisée par les aventures d’Astérix et d’Obélix, de tribus passant le plus clair de leur temps à faire la guerre, à se quereller et à chasser le sanglier. Elles démontrent aussi que les Celtes, peuple prospère et commerçant, ont atteint un haut degré de civilisation sur les plans technique et économique. Leur culture rivalisait avec celle des Romains, considérés à tort comme les premiers civilisateurs de nos régions.

Char celtique reconstitué.
Char celtique reconstitué.© O.R.

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