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La sinistre et incroyable histoire de El Negro, l’Africain empaillé

Muriel Lefevre

De son vivant, il aurait été un chef de guerre africain. Il a été empaillé il y a près de 190 ans comme un vulgaire animal et est resté exposé jusqu’en 2000 dans un musée de Barcelone avant d’être enterré au Botswana.

Selon les seules sources disponibles, mais pas entièrement fiables, ce chef guerrier africain serait mort en 1830. La terre n’aura pas le temps de se tasser qu’il aurait été déterré dans la nuit par deux naturalistes français, les frères Verreaux. Deux hommes qui étaient à la fois aventuriers, explorateurs, scientifiques et commerçants. Des hommes sans scrupules, puisqu’ils vont s’emparer du corps pour l’empailler comme un animal. La dépouille sera préparée selon les règles de la taxidermie. Le corps va subir le même sort que celui d’un animal que l’on empaille. On retire la peau pour la traiter chimiquement, on enlève ensuite muscles, viscères et cerveau. On fabrique une armature sur la base des grands os que l’ont rempli de paille. Ce n’est qu’ensuite que l’on replace la peau qui est enduite de cirage.

On ne sait pas ce que va devenir l’Africain empaillé entre 1830 et 1888, date où il sera vendu à un vétérinaire et notable catalan, Francisco Darder. L’homme va le baptiser El Negro, le Noir, en espagnol. Il est aussi le directeur du zoo de la ville et il intégra l’Africain empaillé dans sa collection d’histoire naturelle. En 1916, est ouvert à Banyoles, en Catalogne, un musée qui abrite l’essentiel de sa collection et où figure, à une place de choix, l’homme empaillé. Selon les écrits du vétérinaire détaillant sa collection, l’homme empaillé est connu comme « Le Bechuana », qui est le nom d’une ethnie à laquelle il attribue le corps. Darder n’hésite pas à vanter le caractère exceptionnel de cette pièce et l’audace « du préparateur français Edouard Verreaux » dit El Pais.

Cette version est néanmoins sujette à caution, car Jules Verreaux est décède en 1873, trois ans après son frère. Or Darder n’a alors que 22 ans. Si l’histoire sur la création de l’homme empaillé est telle que racontée par Darder, elle n’est vraisemblablement pas de première main. Il est par contre avéré que Darder se rend en 1880 à Paris pour faire l’acquisition d’animaux exotiques. La célèbre maison Verreaux est alors dirigée par la veuve d’Édouard qui lui a probablement raconté cette histoire.

La sinistre et incroyable histoire de El Negro, l'Africain empaillé
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Pendant 80 ans, il reste visible aux yeux de tous sans choquer grand monde

Une fois installé dans le musée, et pendant de longues décennies, « El Negro » fera partie du décor, plus grand monde ne s’étonnant de sa présence. Pour les habitués, il ne dénotait pas forcément entre les foetus ou les momies andines. Mais tout change lorsqu’Alphonse Arcelin visite le musée. Ce médecin d’origine haïtienne dénonce à partir de 1991 ce qu’il catalogue « d’acte raciste de la pire espèce. »

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Il presse dès lors la municipalité de Banyoles de retirer le corps. Barcelone accueillant en 1992 certaines compétitions olympiques, le combat d’Arcelin va trouver une caisse de résonnance mondiale. Le gouvernement du Botswana s’empare de l’affaire et réclame le corps pour l’enterrer sur son territoire. L’intention est louable, sauf, qu’à la lumière des documents existants, on ne pouvait déterminer précisément l’endroit où l’homme avait vécu. Ceci établit, l’option du Botswana semblait néanmoins peu probable puisque presque aucun Européen n’avait pénétré aussi profondément sur le continent africain en 1830. L’hypothèse la plus répandue était qu’il venait d’une zone appartenant aujourd’hui à l’Afrique du Sud. Un pays déjà meurtri par l’apartheid et qui n’avait nul besoin d’un scandale de ce genre. On va donc promptement mettre l’affaire en sourdine.

Les choses en seraient probablement restées là si Arcelin n’était pas de nature tenace. Il continue son combat et l’affaire de l’homme empaillé remonte jusqu’à l’ONU. En 1996, le chef du gouvernement espagnol, José María Aznar, décide, dans la précipitation et par souci d’éviter une crise internationale, de renvoyer le corps à Gaborone au Botswana pour y être inhumé. Détails aussi glauques que surréalistes: pour rendre cela possible, il faudra décataloguer « El Negro » en tant que pièce de musée et le classer comme « reste humain ». On va aussi le « démonter » et lui enlever paille, lance et bouclier. Sa peau devenue dure s’émiettait. Pour cette raison, et à cause d’un traitement au cirage, il sera décidé de la garder en Espagne, au Musée d’Anthropologie de Madrid. Ne seront donc, in fine, renvoyés que le crâne et certains os de bras et de jambes de l’homme empaillé. Des restes que l’on va enterrer en octobre 2000 à Gaborone, la capitale du Botswana.

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