Napoléon exhortant ses troupes avant la bataille d'Augsbourg. © GETTY IMAGES

La défaite de Waterloo causée par la santé défaillante de Napoléon?

Johan Op de Beeck
Johan Op de Beeck Écrivain et spécialiste de Napoléon

Jeune général, Napoléon semblait insensible à la fatigue et aux privations mais, progressivement, l’immensité de ses charges a exigé un lourd tribut physique et psychique. Ce qui est certain, c’est qu’il souffrait de problèmes de vessie chroniques et qu’à Waterloo, des hémorroïdes l’ont empêché de monter à cheval pour motiver ses soldats.

Dans ses jeunes années, Napoléon ne donne pas l’impression d’être très robuste. Le fils d’un général allemand le décrit en ces termes :  » Bonaparte était plutôt délicat et même maigre ; il avait un visage émacié mais un profil très prononcé. Il avait l’air sérieux et énergique. Ses cheveux noirs, non poudrés, lui recouvraient ses épaules et étaient rassemblés en une queue-de-cheval qui lui descendait jusqu’au milieu du dos.  » A la même époque, le général von Graffenried von Gerzensee écrit :  » Bonaparte portait un simple manteau, un pantalon très ajusté orné de galons dorés et des bottes qui lui couvraient les mollets. Il toussait souvent comme s’il souffrait de phtisie et avait la cage thoracique assez creusée. Il avait une voix douce et faible, et s’exprimait en phrases courtes, précises, toujours extrêmement intéressantes. « 

Il n’a peut-être pas l’allure d’un prince charmant mais jeune, Napoléon est incontestablement une force de la nature. Il considère l’abnégation comme une chose naturelle et tire le meilleur parti de sa santé robuste. Les efforts physiques ne le rebutent pas. Bien au contraire. Les épreuves  » paraissaient nécessaires à sa constitution ; après des campagnes pénibles de six mois, il revenait plus gras et mieux portant qu’à son départ « , affirmera le ministre Chaptal. Avec l’âge, il commence toutefois à souffrir de divers désagréments, mais il se fait un devoir de les dissimuler.  » Je ne l’ai jamais vu malade « , écrit son secrétaire Méneval.  » Il était seulement sujet à des vomissements de bile qui était pour lui une purgation naturelle salutaire.  » Ce que confirme un autre collaborateur intime, le baron Fain :  » Je ne l’ai jamais vu incommodé à se mettre au lit. Jamais comme il le disait, il n’a senti ni sa tête, ni son estomac. Je ne lui ai connu d’indisposition qu’une gêne à la vessie, qui lui était parfois incommode. « 

La défaite de Waterloo causée par la santé défaillante de Napoléon?
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Ce dernier problème est plus grave que Fain ne le suppose. Napoléon souffre de dysurie, une maladie très douloureuse qui entrave la miction. Avec le temps, Napoléon urine de plus en plus difficilement. Le problème se manifeste la première fois alors qu’il n’a que 28 ans. Quand il souffre d’une crise, son médecin traitant Yvan ne peut le calmer, semble-t-il, qu’en lui faisant prendre un bain. Les crises de dysurie se manifestent surtout après de gros efforts, du stress et des déboires. Il arrive notamment qu’en 1812, à la veille de la bataille de Borodino, pendant la campagne de Russie, il doive appeler en toute hâte le médecin parce qu’il n’arrive pas à uriner. Son aide de camp, Ségur, le voit alors  » le front appuyé sur un canon, y rester dans l’attitude de la souffrance « .

Mais rien de tout cela les premières années de sa vie à la tête de l’Etat. Ses problèmes sont alors limités et demeurent invisibles au monde extérieur. Il respire la santé et jouit d’une excellente forme physique. Seul son secrétaire privé Bourrienne semble saisir quelquefois un signe de cette faiblesse. Il décrit ainsi dans le détail comment, lors de dictées nocturnes, il voit régulièrement Bonaparte se tordre de douleur.  » Et peu de moments après, je l’accompagnais dans sa chambre à coucher. J’ai plusieurs fois été obligé de le soutenir sur le petit escalier.  » Il est encore mince dans ses jeunes années mais, curieusement, il semble se rendre compte que cela ne durerait pas.  » J’ai la crainte que, parvenu à quarante ans, je ne devienne gros mangeur ; j’ai le pressentiment d’un excès d’embonpoint. C’est étrange, car je soigne mon corps, mais que voulez-vous ? C’est un pressentiment et je suis sûr que cela se produira.  » Il fait part souvent de cette crainte à Bourrienne lors de leurs interminables promenades dans le parc de la Malmaison.

A la veille de la bataille de Waterloo, Ernest Crofts, 1879. L'empereur y est représenté vieux et fatigué. Des soucis de santé, dont de douloureuses hémorroïdes, l'ont empêché de vivre la bataille à cheval. La proximité avec ses troupes ayant fait défaut, Napoléon n'a pas pu réagir aussi vite qu'il aurait dû.
A la veille de la bataille de Waterloo, Ernest Crofts, 1879. L’empereur y est représenté vieux et fatigué. Des soucis de santé, dont de douloureuses hémorroïdes, l’ont empêché de vivre la bataille à cheval. La proximité avec ses troupes ayant fait défaut, Napoléon n’a pas pu réagir aussi vite qu’il aurait dû.© BRIDGEMAN IMAGES

LE STRESS DE L’EMPEREUR

Dans les dernières années de sa vie, on peut constater à quel point la tâche qui repose sur ses épaules est lourde, et combien sa santé en souffre. Quand, en 1815, l’empereur mène sa dernière bataille, il n’est plus le Bonaparte des grands jours. De plus en plus seul, ce battant n’a que 46 ans quand il entame la bataille de sa vie, une vie exigeante et intense. Sa charge de travail extrême, son mode de vie insalubre et ses traversées incessantes du continent européen ont laissé des traces. Il porte sur les épaules toute la responsabilité et assume toutes les décisions concernant un pays, un empire et une armée en pleine crise existentielle depuis un quart de siècle. Ses forces, tant physiques que mentales, en pâtissent. Chaptal aussi remarque à quel point la désastreuse campagne de Russie a laissé des traces :  » C’est surtout à partir de son retour de Moscou que ses proches ont constaté un changement radical dans l’état de santé et le moral de Napoléon. […] Le terrible froid qu’il a dû y supporter a définitivement entamé son courage, et je dois reconnaître que, depuis cette triste épopée, je n’ai plus jamais trouvé en lui les mêmes idées pétillantes ni la force de caractère que je lui connaissais. Il ne nous entretenait plus que de fragments de chimères incohérentes. Nous avons constaté qu’il n’avait plus ni le goût ni la force de travailler dur. A dater de ce moment, il n’a plus supporté la fatigue qu’entraînent de longues chevauchées. Autrefois, il commandait aisément au sommeil, mais c’était à présent l’inverse. « 

De graves problèmes de santé s’étaient déjà déclarés pendant la longue bataille de Leipzig, en octobre 1813. Sa situation sanitaire posera également des problèmes plus tard, pendant la campagne de France, en 1814. Que disent les rapports médicaux de mars à mai 1815 ?  » Astreint à siéger à son bureau en permanence pour réorganiser son armée et son gouvernement, soumis à un stress et à un surmenage considérables, il est assailli en permanence par de nouvelles crises gastriques.  » Le matin du 18 juin 1815, juste avant la bataille finale de Waterloo donc, il est obligé de se faire soigner pour des hémorroïdes. Cette affection a des conséquences pratiques sérieuses parce qu’elle rend difficile la position à cheval. La bataille, il n’a pu la vivre que partiellement à cheval, et il a de ce fait été moins présent sur le champ de bataille que, par exemple, Wellington. Celui-ci a en effet chevauché pendant toute la journée, s’est montré partout et a pu voir de ses propres yeux ce qui se passait alors que Napoléon n’avait assurément pas la force physique d’être partout présent, de s’imposer à tout le monde et de tout voir. Il n’a donc pas pu exercer son rôle de commandant en chef comme il l’avait fait dans le passé, lors des précédentes campagnes.

La propagande britannique le rapetissait systématiquement et sous tous les angles.
La propagande britannique le rapetissait systématiquement et sous tous les angles.© GETTY IMAGES

UNE DÉCHÉANCE MORALE

Il existe peu d’informations médicales concrètes sur la condition morale de Napoléon à l’époque de Waterloo, mais les symptômes de stress extrêmes que l’on constate alors sont éloquents, au même titre que d’autres indicateurs. Il est devenu gros, non pas de s’être goinfré car les grands repas n’étaient pas de son goût, mais plus que probablement à cause de la même longue maladie qui l’emporterait des années plus tard, à Sainte-Hélène. Son entourage constate que son regard est moins pénétrant. Ce chef d’armée, autrefois orateur brillant, parle à présent plus lentement et tarde plus longtemps à prendre une décision. Plusieurs généraux remarquent que son énorme capacité de concentration s’est réduite, et ses proches, accoutumés à ses sautes d’humeur, observent à leur grande stupéfaction qu’il est désormais plus pondéré et plus lent. Certains spécialistes d’aujourd’hui sont convaincus qu’il a souffert vers ses quarante ans d’un trouble de l’hypophyse. Cette affection aurait été une dystrophia adiposogenitalis, une maladie qui se caractérise par une prise de poids et une perte d’énergie. Elle peut aussi provoquer des tumeurs à la base du cerveau et troubler le fonctionnement du système nerveux et de l’appareil génital. Ces théories ne peuvent naturellement plus être prouvées, mais elles sont plausibles. Ces éventuels troubles physiques pourraient-ils expliquer en partie le secret de Waterloo ? Comme lors de la bataille de Leipzig, il semble que Napoléon ait été incapable de prendre des décisions, ce qui était très inhabituel pour un homme qui avait toujours combiné préparation stratégique et prises de décision audacieuses et rapides.

Napoléon a toujours fait preuve de détermination, lui qui, en définitive, a gravi les échelons depuis la base. Il doit avoir réalisé à un certain moment que ses forces physiques, voire ses capacités intellectuelles, régressaient, et qu’il ne pourrait plus le cacher à son environnement. Cela pourrait expliquer pourquoi il a voulu bluffer. Avec bravoure et hâte – peut-être avec trop de hâte – il s’est ingénié à convaincre ses généraux qu’ils allaient gagner, négligeant les conseils un peu timorés mais sages que lui donnaient certains maréchaux. Le sort de l’Europe a donc été soumis à des décisions non seulement d’ordre stratégique et tactique liées au temps, mais aussi à la condition psychique et physique du seul homme au monde qui aurait pu venir à bout d’un ennemi comme celui qu’il affronta à Waterloo.

La défaite de Waterloo causée par la santé défaillante de Napoléon?
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Le  » petit  » Napoléon

Bonaparte n’était pas un Adonis, bien que beaucoup aient été séduits par son magnifique sourire et ses belles mains, y compris lui-même. Si la nature lui avait accordé une plus grande taille corporelle, on aurait considéré qu’il était bel homme. Mais il était petit. Cette image est surtout véhiculée par la propagande britannique qui le rapetissait systématiquement et sous tous les angles. Dans le Morning Post, on en parlait par exemple comme d’un  » être inclassable, moitié européen moitié africain, un mulâtre méditerranéen « . La presse publiait volontiers une caricature de Bonaparte sous la forme d’une espèce de pygmée, avec de grosses lèvres et le nez plat.

Qu’en est-il réellement ? La taille moyenne d’un homme était à cette époque de 1,69 mètre, soit à peu de chose près la taille que l’on mesura sur son lit de mort : 1,686 mètre.

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