Ditema Tsa Dinoko © Creators, "A South African Tradition Comes to the U.S | On Tour with Esther Mahlangu", à voir sur YouTube

L’atlas participatif des alphabets menacés

Les Nations Unies ont décrété 2019 l’année des langues indigènes. A cette occasion, l’universitaire et essayiste américain Tim Brooks a mis en ligne l’atlas des alphabets menacés sur lequel il travaille depuis 10 ans.

Cette carte en ligne recense tous les systèmes d’écriture qui sont étrangers à l’alphabet latin. « D’une certaine manière, l’atlas ne concerne pas les alphabets ni même les langages, mais les peuples, explique-t-il sur le site endangeredalphabets.net. En général, je suis guidé par l’Article 13 de la déclaration des droits des peuples indigènes. »

Pour Tim Brooks, les cultures indigènes ont subi l’usage intensif de la télévision. « En 2009, tout le monde possédait un écran ou en désirait un, et la langue anglaise et l’alphabet latin étaient sur tous les écrans ou clavier. »

Des systèmes d’écriture en tout genre

Notre alphabet latin représente consonnes et voyelles, tout comme le cyrillique, l’alphabet grec ou encore les caractères hangûls coréens. Les alphabets arabes ou hébreux appartiennent quant à eux à des systèmes consonantiques, c’est-à-dire que seules les consonnes sont illustrées, et l’ajout des voyelles dépend des accents ajoutés par l’utilisateur. L’Afrique Subsaharienne regorge de peuplades qui s’expriment par le biais d’un système pictographique (de dessins, de schémas colorés.) « Le Ditema Tsa Dinoko a été créé il y a 150 ans. Sa tradition est d’évoluer via des images, des formes d’art et d’artisanat de leur culture – parfois même sur le sol. »

L’atlas se focalise sur les alphabets en déclin et les alphabets émergents; ceux menacés pour cause de non-reconnaissance par le pays, l’Etat ou la province dans lesquels ils sont utilisés; de persécution venant d’une communauté plus importante (des communautés religieuses en sont fréquemment à l’origine). Le Grantha, un alphabet du Kerala, utilisé pour graver des textes sacrés en sanskrit et possède même son propre système numéral. A la moitié du 20e siècle, Gandhi revendiqua l’usage national de l’hindi, dépendant du système devanagari (alpha-syllabaire.)

Le Grantha était utilisé dans le Kerala, au sud-ouest de l'Inde
Le Grantha était utilisé dans le Kerala, au sud-ouest de l’Inde© DR

Beaucoup de peuplades sont déconsidérées parce que leur langue ne se pratique plus qu’à l’oral. Accéder à documents écrits qui témoigneraient de leur droit à la résidence ou à la propriété s’avère utopique pour eux. Confrontées à l’exode, apatrides et incomprises, de nombreuses familles vivent une violence administrative au quotidien. La situation de deux adolescentes roms exilées en Suède, l’eldorado des réfugiés balkans, illustre l’une de ces conséquences terribles sur la psychologie humaine: un coma causé par une catatonie psychologique aussi appelée le syndrome de la résignation

De nouveaux alphabets pour redonner une dignité à des langues indigènes

Un bon signe pour la survie de leur héritage: l’intérêt des nouvelles générations se ravive. Kefa Ombewa a créé une version délatinisée du Dholuo, parlée au Kenya et en Tanzanie: le Luo Lakeside Script. Ce système linguistique se veut être typiquement africain, et peut être adapté par n’importe quelle ethnie de l’Est à l’Ouest africain. Il fait partie des alphabets émergents potentiellement révolutionnaires. « Certains d’entre eux sont si ardemment acceptés qu’ils représentent une menace pour l’autorité, et leurs créateurs sont fréquemment prit pour cible. »

le Dholuo Lakeside est la version africaine de l'alphabet utilisé au Kenya
le Dholuo Lakeside est la version africaine de l’alphabet utilisé au Kenya © DR

L’influence coloniale toujours est très forte. La difficulté ralentit la déconstruction des mécanismes linguistiques imposés à des peuples dont la langue maternelle n’était pas enseignée à l’école publique. « Prenez par exemple un pays africain qui était anciennement une colonie britannique. L’indépendance peut avoir réinstauré l’usage d’une langue indigène, mais celle-ci sera quasi toujours écrite dans une version de l’alphabet latin. Créer un alphabet indigène est une réussite en soi, mais le faire accepter et enseigner est bien plus difficile. »

Sandra Farrands

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