Jean Luc Godard filmant les manifestations etudiantes avec Anne Wiazemsky, le 7 mai 1968. © REPORTERS

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Que faisaient les écrivains en Mai 68 ? Sélection de romans et récits qui racontent l’histoire de la contestation.

Si, en Mai 68, l’imagination a pris le pouvoir et les mots ont gagné la rue, la révolution ne donnera pas lieu à un véritable mouvement littéraire significatif. Reste que, hier ou aujourd’hui, les écrivains ont pu prendre la mesure de la portée romanesque d’un tel ébranlement – ce  » réel à l’état pur « , comme en parlait le philosophe Gilles Deleuze. Quand Mai 68 devient une expérience personnelle, entre engagement et désillusions, héroïsation individuelle et nostalgie collective…

L’Etabli, par Robert Linhart (Minuit, 1978)

En 1968, des écrivains comme Marguerite Duras et Maurice Blanchot fondent le comité d’action étudiants-écrivains. Son but ? Demander le transfert du pouvoir aux ouvriers. Un an plus tôt déjà, quelques centaines de militants intellectuels ont commencé à se faire embaucher dans les usines ou les docks. Parmi eux, Robert Linhart. Le sociologue racontera dans L’Etabli son expérience de manoeuvre à l’usine Citroën, en 1968. Tentative de faire entrer cette  » vie de la chaîne  » en littérature, son livre est une puissante visibilisation des gestes dépersonnalisants et des répressions du quotidien ouvrier. Fondateur du mouvement prochinois en France, Linhart sombrera ensuite dans un silence obstiné, dont sa fille Virginie le tirera en 2008, qui écrira, dans Le Jour où mon père s’est tu (Seuil) :  » Mon père est une des figures les plus marquantes des années 1968. Malheureusement, il en est aussi l’une des figures les plus marquées. « 

Un an après, par Anne Wiazemsky (Gallimard, 2015)

Mai 1968. Anne Wiazemsky vient d’avoir 21 ans, et elle nage nue dans la Méditerranée. Le soulèvement cannois, l’annulation de la grand-messe du cinéma, la jeune femme, mariée depuis un an à Jean-Luc Godard, ne les voit pas venir. Pas plus, sans doute, qu’une fois rentrée à Paris dans leur triplex à deux pas de la Sorbonne, elle ne prend la pleine mesure de la révolte qui déferle sous ses fenêtres. Tandis que Godard gagne les AG des lycées, Anne paresse au lit et traverse à patins à roulettes les rues dépavées de Mai 68 ( » On voit enfin Paris ! « , se réjouira Godard, à la vue de la ville désertée par les voitures). Dans une jolie bouffée de naturel, et à rebours d’une quelconque nostalgie ou autohéroïsation, Wiazemsky raconte un mois de mai à double face, violent et vital, et expose les répercussions intimes d’un engagement politique quand il est vécu de façon aussi divergente dans un couple.

Tigre en papier, par Olivier Rolin (Seuil, 2002)

Comment passer du militantisme d’extrême gauche à la littérature consacrée ? Olivier Rolin a souvent expliqué qu’il était venu à l’écriture dans le but de démêler ce qui continuait à le lier à son passé et ce dont il voulait se distancier. Dès ses débuts, dans le Bar des flots noirs (l’Argentine) ou dans Le Météorologue (la Russie soviétique), l’ancien maoïste a voulu interroger dans ses romans cette volonté de changer le monde et la terreur politique qui peut en découler. C’est la France gauchiste qu’il met en scène dans Tigre en papier. Né de son propre aveu  » du constat que son passé révolutionnaire lui devenait à lui-même énigmatique « , Tigre en papier est l’histoire d’un homme qui raconte à la fille d’un ami décédé ce que fut leur jeunesse à l’époque où ils croyaient à la révolution et détestaient les littérateurs.

Rouge c’est la vie, par Thierry Jonquet (Seuil, 1998)

On connaît Thierry Jonquet pour ses romans noirs à forte teneur de satire politico-sociale ( Mygale, Moloch, Les Orpailleurs). En 1998, le romancier décidait de jeter un regard dans le rétroviseur.  » J’ai eu envie de remonter dans le passé. D’évoquer les banderoles, les slogans, les drapeaux rouges, les manifs. Et surtout de raconter une histoire d’amour. La mienne.  » Quand Rouge c’est la vie commence en 1968, Victor, alter ego de l’auteur, a 14 ans. Issu d’une famille communiste mais déçu des actions du parti, il est en train de devenir trotskyste au moment de rencontrer Léa, 14 ans comme lui, mais militante de l’extrême gauche sioniste… Où on comprend que son expérience précoce du militantisme, de la violence et des désillusions, Jonquet la réinjectera dans le genre néopolar (dont beaucoup d’auteurs sont, d’ailleurs, issus du gauchisme soixante-huitard).

Les Années, par Annie Ernaux (Gallimard, 2008)

Dans Les Années, Annie Ernaux inventait une forme nouvelle et passionnante d’  » autobiographie collective « , remontant le temps à la troisième personne du singulier (un  » on  » aussi impersonnel qu’invitant à toutes les identifications) pour dire les événements, les choses et le progrès de plusieurs décennies. S’appuyant sur ses propres souvenirs pour fondre sa vie dans le courant d’une génération, Ernaux raconte surtout la libération des femmes et l’histoire sexuelle. A l’heure de Mai 68, le livre connaît un pic d’intensité. Radio, réclames, discours ambiants, scènes de rue : elle montre l’histoire de la libération traverser les corps.  » En un mois, on avait rattrapé des années. […] Rien de ce qu’on considérait jusqu’ici comme normal n’allait de soi. La famille, l’éducation, la prison, le travail, les vacances, la folie, la publicité, toute la réalité était soumise à examen. […] La société avait cessé de fonctionner naïvement. « 

Aventures de mai, par Patrick Rambaud (Grasset, 2018)

1998. Pour commémorer les 30 ans de Mai 68, et partant du constat qu’il tentait sans y parvenir de l’expliquer à sa fille, Edwy Plenel commande au satiriste Patrick Rambaud une chronique pour raconter  » comment ils vivaient  » à cette époque. Chaque jour du mois de mai de cette année, Le Monde publiera cette double page d’évocation quotidienne. Sous-titrées  » Feuilleton historique « , ces Aventures de mai écrites dans l’urgence ressortent aujourd’hui compilées. De l’inévitable Sorbonne aux campements de fortune, des réunions de crise chez les CRS au bureau de de Gaulle en passant par les verrières de Billancourt en grève, celui qui avait 22 ans à l’époque emmène quasi heure par heure dans des journées historiques, et jusqu’aux aspects les plus prosaïques et cocasses de l’aventure collective. De quoi la démystifier, aussi.

L’Insoutenable légèreté de l’être, par Milan Kundera (Gallimard, 1984)

Pour ne pas oublier que l’année 1968 ne fut pas que parisienne, mais une longue traînée de révoltes à travers le monde, on relira par exemple L’Insoutenable légèreté de l’être, du Tchèque Milan Kundera. Porté lui aussi par une jeunesse étudiante en soif de libertés, le Printemps de Prague, période de relative libéralisation des moeurs sous Alexander Dub?ek, a longtemps été rapproché de son cousin parisien, bien que Kundera les distinguera toujours intrinsèquement. A Prague, un chirurgien profite d’un climat favorable à son libertinage avant que Brejnev n’envoie ses chars restaurer l’autorité soviétique dans les rues de la ville. Un roman philosophique, et le portrait d’êtres en plein dilemme, comme c’est le cas dans les révolutions, entre pesanteur des événements et des choix et légèreté fondamentale de la vie.

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