Une illustration des émeutes de 1893 à Mons parue dans Le Petit Journal (Paris). © DR

18 avril 1893: mourir pour le suffrage universel

Les autorités avaient pourtant interdit tout rassemblement dans la ville. Rien n’y fit. Cet après-midi-là, ils sont près de 4 000 à Anvers. Des grévistes en colère. Depuis la Maison du peuple, ils se dirigent vers Borgerhout, bien décidés à occuper une usine locale, où se produiront les affrontements. Insuffisamment nombreux, les gendarmes sont débordés. Quinze personnes sont blessées, cinq autres décèdent. La veille, c’est à Mons que des incidents avaient eu lieu, faisant sept morts et une vingtaine de blessés. Et quelques jours plus tôt, une manifestante avait été tuée à Jolimont. Le calme reviendrait-il un jour au pays ?

Mais au fond, la bataille pour le suffrage universel n’avait-elle pas déjà été remportée ? Cela faisait des années que le jeune Parti ouvrier belge (POB) réclamait une révision de la Constitution. Dès 1890, des ouvriers avaient déposé l’outil. Le 20 mai 1891, le Parlement avait accepté l’idée de modifier le suffrage. Sauf que… l’on ne s’était pas mis d’accord sur le nouveau régime à instaurer. En réalité, seule une infime minorité des parlementaires étaient favorables à l’octroi du suffrage universel (masculin) pur et simple.

Les socialistes ne sont pas en position de force. Leur poids parlementaire ne leur permet guère de faire adopter la mesure. Ils doivent donc se faire entendre autrement. Le 8 novembre 1892, alors que le roi ouvre l’année parlementaire, les députés du POB perturbent la séance. Refroidi, Léopold II ne mettra d’ailleurs jamais plus les pieds au Parlement… Dans la foulée, ce ne sont que pétitions, réunions et pamphlets. A Gand, la vedette socialiste Edouard Anseele harangue ses troupes au cri de  » vaincre ou mourir « . Le ton est donné.

Au Parlement, pourtant, ça sent l’impasse. Début avril, on discute sans s’accorder. A plusieurs reprises, August Beernaert, le chef du gouvernement, présente sa démission au roi. A chaque fois, celui-ci la refuse. Le 11 avril 1893, l’inévitable se produit : la Chambre rejette le suffrage universel. Dans la foulée, le Conseil général du POB décrète la grève générale.

Branle-bas de combat. En quelques jours, plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers quittent le travail. Des troupes sont envoyées, les réservistes des années 1889 et 1890 sont rappelés. Et des hommes tombent. Le climat impressionne, jusqu’au Palais. Le 16 avril, le souverain propose la suspension des débats parlementaires. Mais Beernaert s’y refuse. Deux jours plus tard, les députés sont en pleine séance lorsqu’un télégramme leur apprend le drame de Borgerhout. La pression de la rue précipite le dénouement : à une très large majorité, le Parlement adopte un nouveau suffrage. Dorénavant, tous les hommes auront une voix. Mais les plus nantis et les mieux formés en auront plusieurs. Le même jour, le POB vote la fin de la grève générale. La victoire n’est pas totale. Mais c’en est une. Les hommes de Borgerhout ne sont pas tombés pour rien.

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