Cimetière de Saint-Symphorien à Spiennes, Mons © Belga Image

14-18 : le boom du tourisme de mémoire

Le Vif

Dès le xixe siècle s’est développé un tourisme de mémoire. Waterloo en est un bel exemple. Avec la Grande Guerre et la mobilisation de masse, ce tourisme prend une dimension beaucoup plus globale. Les premiers guides Michelin sont publiés dès 1917. Avec le centenaire, le secteur a connu un nouveau boom.

Les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale ont suscité un véritable engouement du public. Les expositions ont été visitées, les numéros spéciaux de la presse achetés, les documentaires regardés et les parcours touristiques se sont multipliés (en Gaume pour évoquer la bataille des frontières et les villages martyres, autour de Liège et de Namur pour redécouvrir la défense des places fortifiées, dans le Westhoek pour voir l’horreur des tranchées, etc.). Parmi ces différentes formes commémoratives, les parcours sont des investissements à plus long terme qui doivent soutenir le tourisme de mémoire au-delà du centenaire.

Voyager dans l’espace, c’est aussi voyager dans le temps. Les paysages et les sites historiques sont comme des archives de l’histoire humaine, un patrimoine constitutif des mémoires collectives et des identités qui y sont liées. Or, dès le départ, la Grande Guerre a suscité un tourisme de mémoire. Déjà Waterloo, au lendemain de la défaite napoléonienne, avait attiré – et attire toujours – des curieux, des écrivains et des autorités en tous genres. De même, aux Etats-Unis, les champs de bataille de la guerre de Sécession ont immédiatement suscité l’intérêt du public.

Mais avec la guerre 14-18, on change à la fois d’échelle et de contexte culturel. La puissance de feu provoque dès les premiers jours de guerre des destructions immédiatement perçues comme des atteintes au patrimoine national : l’incendie de la bibliothèque de Louvain le 25 août 1914 et la destruction de la cathédrale de Reims en septembre 1914 sont à verser au dossier des  » atrocités culturelles  » commises par l’ennemi. Tandis que les champs de bataille, comme Verdun ou Passchendaele, deviennent les lieux du sacrifice national, lieux de terreur et de mort, lieux sacralisés par le sang versé pour la patrie.

L’attachement au patrimoine comme élément d’identité collective et l’attachement à la vie individuelle de plus en plus affirmée dans nos sociétés sont deux éléments autour desquels vont se structurer la mémoire de guerre et le tourisme contemporain qui en découle. Car, très vite, on songe au tourisme pour accélérer la reconstruction : le premier guide Michelin date de 1917. Mais ce tourisme de guerre devra relever du pèlerinage patriotique, du sentiment religieux laïcisé, de l’hommage aux disparus. Car, dès le début, une distinction s’opère entre le  » bon  » touriste qu’est le pèlerin et le  » mauvais  » touriste accusé de voyeurisme et qui heurte la sensibilité des habitants.

Le cimetière militaire de Passchendaele, en Flandre.
Le cimetière militaire de Passchendaele, en Flandre.© BELGAIMAGE

PRÉSERVER, TRANSMETTRE ET VALORISER

Le tourisme mémoriel s’organise autour de trois objectifs : la préservation et la transmission d’un héritage historique douloureux, la valorisation du patrimoine civil et militaire qui doit alimenter la notoriété régionale et le développement économique des régions concernées. Ces objectifs restent d’actualité, même si leur contenu a fortement évolué avec le temps. Au moment où la reconstruction est achevée, les intérêts économiques ne disparaissent pas, mais se tournent vers la croissance économique. Sur le plan de la notoriété, il s’agissait au départ pour les victimes de ne pas être oubliées, alors que les générations suivantes chercheront à avoir une visibilité nationale ou internationale grâce à un passé dramatique.

Concernant la transmission du passé, les mémoires collectives de la Première Guerre mondiale ont évolué. Au départ, on souhaitait se souvenir du sacrifice national pour la victoire de la civilisation contre la barbarie, alors qu’aujourd’hui, cent ans après, il s’agit surtout de transmettre un message de paix, voire de réconciliation, de dénoncer l’horreur de la guerre et de commémorer les victimes plutôt que les héros.

S’il est évident que le tourisme mémoriel est une activité économique rentable, on doit s’interroger sur les enjeux politiques sous-jacents, sur les récits du passé que les sites et les parcours proposent, sur la massification de ce tourisme et sur les motivations des touristes. Car le tourisme mémoriel peut toujours basculer dans le morbide le plus trivial et le commercial le plus douteux.

Laurence Van Ypersele

Des attentes plurielles

Aujourd’hui, les touristes de la mémoire viennent chacun avec leurs attentes particulières : sentimentalisme, curiosité intellectuelle, désir de ressentir la guerre, quête des ancêtres, affirmation identitaire, obligation scolaire… Les uns, comme nombre d’Australiens, viennent en pèlerinage à Ploegsteert pour rendre hommage à ceux qui ont fait naître leur pays à lui-même. D’autres, comme les nombreux écoliers, viennent apprendre un passé lointain qui est censé les concerner, passé glorieux comme à Loncin, passé terrifiant comme à Ethe ou à Passchendaele, passé toujours triste comme dans les innombrables cimetières qui parsèment le front.

D’autres encore se plongent avec fascination dans la puissance destructrice de la guerre et dans l’horreur des tranchées, encore qu’il faille de l’imagination pour ressentir l’horreur de la guerre devant les vestiges des tranchées. Les touristes projettent leur propre imaginaire de guerre, façonné par leur éducation, par les musées et par les visites guidées (d’où l’importance de celles-ci) sur les ruines, les monuments, les cimetières qui, à eux seuls, ne parlent guère.

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