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Un Européen sur quatre vote populiste

Muriel Lefevre

Au cours des 20 dernières années, le nombre de votes pour les partis populistes a plus que triplé en Europe. Aujourd’hui, ces partis ont convaincu suffisamment d’électeurs pour que leurs hommes occupent des postes dans les gouvernements de 11 pays européens.

D’une enquête fouillée du The Guardian , qui analyse les performances des partis populistes dans 31 pays durant plus de deux décennies, il ressort que le populisme est en hausse constante depuis au moins 1998. « Il n’y a pas si longtemps, le populisme était pourtant un phénomène à la marge « , dit Matthijs Rooduijn, sociologue politique à l’Université d’Amsterdam qui a dirigé le projet de recherche. « Aujourd’hui, il est devenu courant: certains des développements politiques récents les plus significatifs comme le référendum sur le Brexit et l’élection de Donald Trump ne peuvent être compris sans prendre en compte la montée du populisme.

Pour déterminer quels partis devaient être repris comme populistes, Rooduijn et une trentaine de politologues de renoms ont analysé des centaines de partis politiques afin de déterminer si, à un moment ou un autre de ces 20 dernières années, ils avaient été populistes. Une fois la liste obtenue, ils ont récupéré les chiffres auprès de la base de données des résultats électoraux de Parlgov.org de l’Université de Brême (qui comprend tous les partis ayant obtenu une représentation parlementaire ou, dans certains cas, tous les partis ayant obtenu plus de 1 % des voix).

Il y a vingt ans, les partis populistes étaient, dans leur grande majorité, marginalisés et ne représentaient que 7% des voix. Lors des dernières élections nationales, un vote sur quatre était pour un parti populiste. « Le terreau sur lequel pousse le populisme est plus fertile que jamais et les partis populistes sont plus capables que jamais d’en récolter les fruits », selon Rooduijn. En 1998, 12,5 millions d’Européens vivaient dans un pays qui comptait au moins un membre populiste dans son gouvernement. En 2018, ce chiffre a plus que décuplé et est passé à 170,2 millions.

Le quotidien anglais estime que lors des prochaines élections parlementaires européennes, qui auront lieu dans six mois, on risque de se retrouver face à une des plus importantes vagues populistes de droite de l’histoire récente. Un tsunami qui pourrait bien rafler un nombre record des 751 sièges disponibles. Mais ce n’est pas la seule échéance. D’autres élections du premier semestre 2019 qui auront lieu en Ukraine au Danemark, en Finlande et en Belgique permettront d’encore mieux cerner la montée du populisme.

Le parlement européen
Le parlement européen © AFP

Car si la tendance générale montre effectivement une augmentation spectaculaire des votes populistes, dans la réalité le tableau reste plus nuancé. En Belgique, par exemple, le parti populiste nationaliste flamand Vlaams Belang est en déclin depuis une décennie. Et les partis populistes qui entrent au gouvernement sont, par la force des choses, forcés de faire des compromis sur leurs promesses. Un passage au pouvoir ne leur est donc pas forcément bénéfique.

« A court terme, les partis populistes resteront probablement aussi forts, même s’ils seront encore plus clairement de droite radicale et qu’il subsistera d’importantes différences régionales et nationales « , nuance cependant Mudde, professeur en affaires internationales à l’Université de Géorgie et auteur de Populism: A Very Short Introduction. « La question principale est donc aujourd’hui de savoir comment les partis non-populistes vont réagir. »

Qu’est-ce que le populisme ?

La définition a longtemps fait l’objet de nombreux débats. Aujourd’hui, la plupart des spécialistes du sujet s’accordent pour dire que ce terme définit un ensemble d’idées centrées sur une opposition entre le peuple (bon) et l’élite (mauvais). Il n’existe, par contre, toujours pas de consensus sur la question de savoir si c’est une idéologie à part entière ou plutôt un discours ou style politique.

Le « phénomène populiste » dans la pratique est presque exclusivement populiste de droite radicale. La grande vague populiste de gauche ne s’est pas produite. Le populisme de gauche que l’on a pu observer en Amérique latine a tourné au fiasco et celui d’Europe est devenu beaucoup moins à gauche (Syriza) ou moins populiste (Podemos). Par conséquent, lorsqu’on parle de populisme général on parle en réalité principalement, et souvent exclusivement, d’un populisme spécifique que Case Mudde a appelé « droite populiste radicale », plutôt que le « populisme radical de droite ». Parce que c’est une forme populiste de la droite radicale plutôt qu’une forme droite radicale du populisme. « Il est important que le « populisme », ou même le « populisme de droite », ne devienne pas un terme qui adoucit, et donc normalise, l’idéologie et l’impact de l’extrême droite. Sur le plan idéologique, l’autoritarisme et le nativisme déterminent le populisme, plutôt que l’inverse », dit-il encore.

Un Européen sur quatre vote populiste
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Les partisans du populisme affirment qu’il défend la personne ordinaire contre l’ordre établi et qu’il est donc nécessaire à toute démocratie. Ses opposants disent que les populistes au pouvoir plombent les normes démocratiques en sapant les médias, le système judiciaire ou encore en bafouant les droits des minorités. « Les populistes ne sont pas une majorité silencieuse – ils sont juste une minorité bruyante », précise encore Mudde.

Une histoire qui ne (re)commence que véritablement dans les années 1990

Les partis populistes commencent à avoir du succès en Norvège, en Suisse et en Italie dans les années 1990. Mais ce n’est qu’au tournant du siècle que les idées populistes et leurs candidats élus ont commencé à proliférer. Chez nos voisins, le paysage politique néerlandais a été bouleversé en 2002 par la montée en puissance du populiste Pim Fortuyn, puis par son assassinat. La même année, Jean-Marie Le Pen, du Front National d’extrême droite, a ébranlé la France en atteignant un second tour de scrutin présidentiel. Deux fois en 2005, des référendums en France et aux Pays-Bas ont rejeté un projet de constitution européenne, considéré à l’époque comme une victoire du  » peuple ordinaire  » contre l’élite européenne. Dans toute l’Europe, les partis populistes de droite ont également réussi à influencer la politique même lorsqu’ils n’étaient pas au pouvoir, avec des partis tels que l’Ukip britannique, les démocrates suédois, le parti populaire danois, le PVV et l’AfD qui font glisser le discours des partis de centre droit vers la droite sur des sujets comme l’immigration.

Les progrès populistes s’accompagnent aussi presque partout d’une profonde redéfinition du paysage politique européen et d’une fragmentation continue des votes. Au fur et à mesure que les grands partis se sont rétrécis, les petits partis – certains d’entre eux populistes, mais pas tous – n’ont cessé de grossir. Bien que ce processus ait affecté à la fois le centre-droit et le centre-gauche, ce sont les partis sociaux-démocrates traditionnels d’Europe qui ont été les plus durement touchés, l’hémorragie des votes bénéficiant à la droite et à la gauche radicales. C’est une tendance qui semble difficile à renverser : Le SPD allemand, autrefois puissant, languit à 14% dans les sondages, le parti socialiste français n’a obtenu que 7,4% aux élections législatives de l’année dernière, et le parti travailliste néerlandais n’a remporté que 5,7% l’année dernière.

Marine Le Pen
Marine Le Pen© Belga

Les idées populistes se sont ensuite propagées vers le nord au lendemain de la crise financière de 2008 avant de s’incruster dans les grandes puissances d’Europe occidentale au cours des trois dernières années, soit depuis la crise des réfugiés de 2015. Syriza a obtenu 27% des voix, puis 36% aux élections grecques; Ukip a poussé la Grande-Bretagne vers le Brexit et Marine Le Pen est devenue le deuxième membre de sa famille à atteindre un second tour de scrutin présidentiel en France en remportant 33% des voix. L’Alternative anti-immigration pour l’Allemagne est devenue le premier parti d’extrême droite depuis la Seconde Guerre mondiale à entrer dans tous les parlements allemands et détient plus de 90 sièges au Bundestag. En Italie, la Ligue d’extrême droite et le Mouvement cinq étoiles ont remporté près de 50% des voix, Fidesz est revenu en Hongrie avec 49% des voix, et les démocrates suédois, qui sont là-bas très à droite, sont passés à 17,5%.

La recherche du The Guardian montre aussi que les populistes de gauche, qui en Europe ont beaucoup moins de succès que leurs homologues conservateurs, voient tout de même leur cote grimper et on a vu apparaître des partis comme Podemos en Espagne et La France Insoumise.

Les raisons d’un succès

« Il y a trois raisons principales à la forte augmentation du populisme en Europe « , dit Cas Mudde. « La grande récession, qui a créé quelques partis populistes de gauche forts dans le sud, la crise dite des réfugiés, qui a été un catalyseur pour les populistes de droite, et enfin la transformation des partis non-populistes en partis populistes ». Claudia Alvares, professeure agrégée à l’Université Lusofona de Lisbonne, qui n’a pas participé au projet de recherche Guardian, dit, elle, que : « le succès de ces politiciens tient en grande partie à leur capacité à convaincre leur public qu’ils n’appartiennent pas au système politique traditionnel. Ils sont sur un pied d’égalité avec le peuple dans la mesure où ni eux ni le peuple n’appartiennent aux élites « corrompues ». » Pour elle les médias sociaux ont joué un rôle dans la montée du populisme, son modèle algorithmique récompensant et promouvant les messages accusatoires. « La colère que les politiciens populistes parviennent à canaliser est alimentée par les messages des médias sociaux, parce que les médias sociaux sont très perméables à la propagation facile des émotions.

Un Européen sur quatre vote populiste
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Le résultat final est une augmentation de la polarisation du discours politique et journalistique. » L’évolution de l’environnement médiatique a aussi son importance. En raison de la baisse des abonnements, les médias traditionnels se concentrent de plus en plus sur des sujets qu’ils s’attendent à bien vendre, comme les scandales et les conflits, ce qui alimente le sentiment de crise dont les populistes peuvent tirer parti.

Pour Matthijs Rooduijn, il existe quatre raisons pour l’avènement du populisme dans le monde. Premièrement, lorsqu’une société est plus individualisée et que les électeurs sont plus indépendants il y a ce qu’on appelle une plus grande volatilité électorale qui pousse à se détacher des partis traditionnels. Deuxièmement, lorsque les partis de gauche et de droite convergent idéologiquement cela renforce les idées populistes puisque de nombreux électeurs seront plus sensibles au message selon lequel les partis politiques traditionnels ne font qu’un. De plus, cela laisse un vaste espace idéologique qui n’est plus couvert. Troisièmement, les crises encouragent les attitudes populistes. Une crise financière, par exemple, rend les partis traditionnels très vulnérables à la critique que « l’élite établie » a tout gâché. La crise des réfugiés a pu donner l’impression qu’ils n’étaient pas capables de gérer. Quatrièmement, la corruption généralisée fait directement le jeu des populistes. C’est exactement ce qui s’est passé en Italie au début des années 1990, par exemple. À la suite d’une enquête judiciaire nationale sur les pots-de-vin, le népotisme et d’autres formes de corruption, tout le système des partis a été chamboulé. Cela a ouvert la voie à la montée des populistes tels que Silvio Berlusconi et la Ligue.

Un Européen sur quatre vote populiste
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Un terreau fertile pour le populisme n’est pas suffisant pour que le populisme prospère. Il doit aussi y avoir un candidat crédible et séduisant qui offre une alternative attrayante. Il doit aussi proposer un message qui fédère un grand nombre d’électeurs mécontents. Et enfin un organe de parti efficace.

Parfois, ce n’est pas aussi simple

L’expérience tchèque montre que cela peut être plus compliqué que cela. Seulement 2,3% de la main-d’oeuvre du pays est sans emploi, soit le taux le plus bas de l’UE. L’année dernière, l’économie tchèque a connu une croissance de 4,3% et le pays n’a pas été touché par la crise des réfugiés en 2015 (il n’y a littéralement presque pas de migrants). Mais aux élections de l’an dernier, les partis populistes ont remporté un peu plus de 40 % des suffrages, soit dix fois plus qu’en 1998. La République tchèque démontre que les facteurs à l’origine de l’essor du populisme sont à la fois beaucoup plus complexes et infiniment plus variés qu’on ne le pense et que la décision d’un électeur de voter pour un parti populiste est aussi souvent autant un reflet de son état psychologique que des circonstances et de son identité.

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