" Tout le monde pensait que nous avions tiré toutes les leçons du passé. Ce n'est manifestement pas le cas ", dit Timur Vermes. © M. HANGEN/HANGENPHOTO POUR LE VIF/L'EXPRESS

Timur Vermes : « S’il vivait aujourd’hui, Hitler serait proche de l’AfD »

Le Vif

Dans Il est de retour (1) (2012), Timur Vermes imaginait la réapparition du Führer, de nos jours, à Berlin. Le Vif/L’Express a rencontré l’écrivain natif de Nuremberg.

En 2017, un parti d’extrême droite, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), a obtenu 12,6 % aux élections fédérales. Votre satire était-elle prophétique ?

Absolument pas. A mes yeux – et pour mes lecteurs, je l’espère – , ce n’était qu’un divertissement. Toutefois, en écrivant ce roman, il y a sept ans, je me suis rendu compte que nous n’étions pas à l’abri de l’extrémisme. Pourquoi l’Allemagne le serait-elle ? Personne mieux que nous ne sait comment fonctionne le mécanisme simpliste du fascisme. Plus de septante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde pensait que nous avions tiré toutes les leçons du passé. Ce n’est manifestement pas le cas. Aujourd’hui, les gens disent non à tout, comme des enfants qui ne veulent pas grandir : au changement climatique, à l’immigration, à l’Europe… Ils ne veulent pas payer pour les pays pauvres, de l’Europe et d’ailleurs. Ce symptôme, nous le voyons en France, en Hongrie, en Pologne et, désormais, en Allemagne. Certes, nous n’élirons jamais quelqu’un arborant sur sa veste une croix gammée. C’est impossible puisque Hitler, le vrai, a disparu.

Un autre peut-il apparaître ?

Croyez-vous qu’un nazisme light puisse exister ? Non, bien sûr. Cette façon de penser n’existe pas dans une version édulcorée. Il n’existe pas de version sympa de Hitler.

Que ferait « votre » Hitler aujourd’hui ?

Il serait proche de l’AfD. Bien entendu, ces nouveaux représentants ne lui plairaient pas davantage que ceux du NPD (le Parti national-démocrate, ultra- nationaliste, fondé en 1964), qui défendaient naguère ses idées. Et pour cause, qui peut faire le nazi mieux que lui-même ? Il serait comme un grand-père qui viendrait leur taper sur les doigts. Il concéderait que l’AfD utilise le seul moyen dont elle dispose pour gagner des voix : la peur de l’immigration. Mais il l’utiliserait beaucoup mieux !

Pourquoi cette crainte, alors que l’économie allemande se porte bien, avec un taux de chômage des plus bas ?

Heureusement que c’est le cas, sinon ce parti ne serait pas limité autour de 25 % en ex-Allemagne de l’Est. Face à la crise migratoire, nous n’avons pas de solution particulière. Pour l’instant, il n’y en a qu’une, et elle est entre les mains de la Turquie : celle-ci accepte de bloquer les réfugiés chez elle contre de l’argent que nous lui versons. Le succès de l’extrême droite repose sur cette insécurité.

Pourquoi les élections législatives régionales en Bavière sont-elles importantes ?

Elles le sont principalement pour l’union de la CDU et de la CSU. Cela pourrait être la dernière occasion de démontrer qu’un parti conservateur peut continuer à attirer à lui les électeurs de la droite dure, comme la CSU l’a toujours fait. Si même elle n’y parvient plus, elle aura besoin de revoir entièrement sa stratégie. La situation restera dangereuse aussi longtemps que les partis démocratiques ne trouveront pas de véritable solution à la crise des migrants. C’est le sujet de mon nouveau livre ( Die Hungrigen und die Satten [ » Les affamés et les rassasiés « ], à paraître en français en octobre 2019) : si l’Allemagne est à nouveau débordée par un afflux de réfugiés, comme en 2015, une partie du pays basculera à droite en quelques semaines. Alors, il n’y aura plus de contrôle du tout. Parce que cette droite-là ne sera pas light, elle sera extrémiste.

Par Romain Rosso.

(1) 1,5 million d’exemplaires vendus en Allemagne, 2 millions dans le monde. Traduit en 35 langues, il est sorti en français en 2014, chez Belfond.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire