Carte blanche

Si vous étiez Roumain, Monsieur Verhofstadt…

« Si vous étiez Roumain et un Européen convaincu, Monsieur Verhofstadt, comment accepteriez-vous que les valeurs démocratiques soient piétinées par un gouvernement qui dit que l’UE finance des activités occultes en Roumanie ? » Lettre ouverte d’une Libérale à Guy Verhofstadt.

Monsieur le Président ALDE, Cher Guy Verhofstadt,

Seulement une personne vivant sur une île isolée n’a pas pris connaissance, que ce soit à la radio, TV ou sur les réseaux sociaux, de la situation dramatique qui règne en Roumanie. Depuis plus d’un an, la population excédée proteste contre les abus du gouvernement dominé par le Parti Socio-Démocrate, mais qui est allié avec un parti qui se dit Libéral, qui lui assure la majorité confortable au Parlement.

Ce 10 August 2018, la tension a atteint un point culminant, avec une intervention en force de la Gendarmerie, contre les manifestants venus à Bucarest, pour protester à nouveau contre les abus du gouvernement. Ils étaient venus de tout le pays et surtout de tout le monde pour manifester contre la corruption qui gangrène la société car les lois de l’actuelle majorité favorisent plus les corrompus et les infracteurs que les gens qui n’arrivent pas à joindre les deux buts. Près de 500 personnes ont été blessées ou ont nécessité de l’assistance médicale d’urgence, car les gendarmes ont utilisé (sur ordre des supérieurs) du gaz lacrymogène ou du spray irritant contre la population, y compris femmes, enfants et personnes à mobilité réduite. Tous étaient là pour dire assez au gouvernement et demander sa démission. Ils étaient là pour montrer qu’exister ne signifie pas seulement consommer. Que la liberté ne résume pas à liberté du shopping dans des magasins remplis, mais à la liberté d’exister comme hommes libres.

Un seuil psychologique très important a été atteint. Celui de comprendre que ce gouvernement utilisera tout moyen, y compris la force envers ses citoyens, pour garder le pouvoir. Ce n’est pas sans rappeler un certain Décembre 1989, quand des milliers de personnes sont mortes en luttant contre le régime communiste qui ne voulait pas accepter le désir de Liberté de tout un peuple.

Au pays sur la toute dernière place du système médical européen et avec une basse espérance de vie par rapport à la moyenne européenne, la préoccupation du gouvernement est de protéger les corrompus et des promouvoir les incompétents selon des critères politiques.

Au pays où la fuite des cerveaux est devenue un problème national, la première ministre (ancienne eurodéputée socialiste) n’arrive pas à s’exprimer correctement dans sa langue maternelle et surtout multiplie les gaffes diplomatiques qui portent atteinte à l’image du pays.

Au pays où la pauvreté infantile atteint des sommets, surtout en milieu rural, le président du parti socio-démocrate est condamné pour abus en service avec les fonds d’une Agence Territoriale de Protection de l’Enfant, d’un des départements les plus pauvres de la Roumanie.

Au pays où les recommandations de l’Union Européenne sont ignorées, les valeurs méprisées, mais où le gouvernement compte sur les fonds européens pour tenir le pays en équilibre minimal.

La majorité des manifestants de ces derniers jours fut formée par des gens venus de milliers de kilomètres (parfois plus de 5000 km) pour protester contre cette situation devenue explosive. La démonstration de la Diaspora ce fut la première de ce type et cela a montré que les distances ne sont pas une barrière lorsqu’il faut agir pour la démocratie et ses valeurs. Le gouvernement a compris ceci autrement, sortant en rue des troupes d’instigateurs, de gendarmes en panoplie de guerre, en invoquant des théories du complot, pour ameuter sa garde prétorienne contre ses citoyens.

Monsieur le Président ALDE,

A plusieurs reprises, vous avez déclaré votre attachement aux valeurs de la Liberté, de l’Europe forte, de la démocratie. Somme toute, donc, si vous étiez Roumain, vous seriez probablement aussi un manifestant Place de la Victoire, devant le gouvernement roumain.

Si vous étiez Roumain, Monsieur Guy Verhofstadt, vous auriez le même choix : émigrer pour échapper à la médiocrité et pour vous donner, à vous et vos enfants, une chance. Ou rester et sortir à la rue. Même si certains ont fait les deux, venant de l’étranger pour protester. La diaspora roumaine envoie des milliards d’euros en Roumanie, comme aide pour la survie de la famille ou petits investissements. Elle reçoit en échange les canons à eaux et le gaz dans les yeux.

Si vous étiez Roumain et un Européen convaincu, Monsieur Verhofstadt, comment accepteriez-vous que les valeurs démocratiques soient piétinées par un gouvernement qui dit que l’UE finance des activités occultes en Roumanie ? Qui accuse Bruxelles de tous les maux quand ça l’arrange (certes, la méthode n’a même pas le mérite d’être nouvelle, les populistes de tout bord la pratiquent déjà).

Le seul levier qui peut encore exister et c’est la raison de mon appel envers vous, est celui éthique. Comme Président ALDE au niveau européen, vous avez la possibilité d’interpeler vos collègues ALDE roumains sur le soutien que ce parti apporte à l’actuel gouvernement.

Je suis Libérale et profondément Européenne moi-même, et je vous demanderais d’écouter maintenant la voix du peuple. Exigez des explications d’ALDE Roumanie sur les méthodes qu’ils cautionnent. Et n’hésitez pas à aller jusqu’à l’exclusion de votre groupe politique de ce parti. La mathématique de quelques députés de plus ne peut pas signifier plus que le respect des valeurs fondamentales qui font partie de votre Charte. On ne peut même pas parler d’une solidarité idéologique, car pas certain qu’ALDE Roumanie, à la rhétorique nationaliste, mérite encore ce nom ou de faire partie de votre famille politique.

Comme négociateur en chef du BREXIT, vous êtes censé militer pour une Europe robuste, avec un projet européen bien défini. Dans l’Union Européenne, on ne peut pas accepter qu’on achète les votes par 1L d’huile ou 1 kg de sucre distribué à nos parents ou grands-parents en période électorale.

Je sais que les défis démocratiques sont multiples dans plusieurs pays de l’Europe de l’Est, où certains dirigeants se rêvent en mini-Trump ou mini-Erdogan. C’est justement sur ceci que compte le gouvernement actuel. Je sais qu’on ne peut pas se mêler des affaires internes d’un Etat Membre, par manque de leviers institutionnels d’intervention (à l’exception notable de l’Article 7 du TEU).

Mais ALDE indique dans ses valeurs militer pour la démocratie européenne. De quelle démocratie parlons-nous en Roumanie lorsque le gouvernement gaze ses citoyens, juste parce qu’ils demandent de mettre les corrompus en prison ? Quel projet européen unitaire défendez-vous si vous acceptez au sein de votre groupe un parti à la rhétorique nationaliste et anti-européenne comme ALDE Roumanie, une faction du vrai parti Libéral dirigée par un homme, Monsieur Tariceanu, en délicatesse aussi avec la justice ?

Monsieur le Président ALDE,

Pendant des décennies, les Roumains écoutaient la Radio Europe Libre en cachette et rêvaient d’un pays libre, démocratique. La rue roumaine est en ébullition, car 30 ans après la Révolution anti-communiste (dont 28 ans sous gouvernance de gauche), il est toujours difficile de demander ses droits dans ce pays. Il est toujours difficile de gagner correctement sa vie, d’élever ses enfants et d’avoir une retraite décente. Sauf pour la camarilla pro-gouvernamentale, qui bénéficie de pensions spéciales aux montants astronomiques que probablement vous-même, vous ne l’aurez pas. 30 ans après, on continue à émigrer de Roumanie pour des raisons politiques. Savez-vous que même cette radio envisage reprendre ses activités en Europe de l’Est ?

Des pétitions de Roumains vivant à l’intérieur et à l’extérieur du pays circulent, pour demander aux Socialistes européens d’exclure le PSD roumain de leurs organisations. Mais l’Internationale Socialiste a l’habitude de côtoyer de dictateurs (Ben Ali, Gbagbo, feu Bongo ou autres membres du même club) pour attendre une vraie position contre les pratiques non démocratiques du PSD roumain.

Les Roumains sont méprisés même lorsqu’ils gagnent à Roland Garros. La diaspora roumaine (dont firent partie autrefois des éminents intellectuels comme Cioran, Ionesco ou Brancusi) est humiliée par les dirigeants roumains dont certains d’une inculture douloureuse. Les manifestations de rue ne vont pas cesser, même si elles peuvent réduire leur intensité. Car les gens doivent retourner au travail, certains d’entre eux repartent dans leur pays d’adoption. Des intellectuels ou moins intellectuels, des ouvriers, des professeurs, des étudiants, toutes ces catégories sociales qui ont un seul dénominateur commun : la soif de liberté, de valeurs et d’Europe. Les gens retournent travailler, aux cathèdres universitaires européennes ou dans les cuisines des hôtels, sur les chantiers de construction ou dans des centres de recherche scientifique. Ils retournent travailler mais attendent encore que l’Europe que vous représentez aussi les soutienne contre les abus d’un gouvernement corrompu et désormais violent.

Dans l’année de son Centenaire, la Roumanie est au bord d’une guerre civile, arrivée ici à cause d’un gouvernement en divorce avec sa population. Mais dans l’année de son Centenaire, la Roumanie, pays membre de l’UE, est au top des pays où l’immigration atteint des niveaux inimaginables. Nous ne sommes dépassés que par la Syrie…

Si vous ne pouvez pas intervenir au niveau institutionnel, quel est pourtant le message que vous envoyez aux citoyens de ces pays qui ont les yeux vers Bruxelles, comme président du deuxième groupe parlementaire européen et porteur fervent d’un projet européen ? Vous n’êtes pas Roumain, Monsieur Verhofstadt, mais vous êtes un Européen libéral. Fédéraliste même. Agissez en conformité avec les valeurs de la liberté et démocratie que vous invoquez souvent, justement pour éviter la multiplication des apprentis dictateurs nationalistes, anti-démocratiques et à la rhétorique anti-européenne belliqueuse.

Lavinia Bîciu

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