Jeremy Corbyn © Belga image

Royaume-Uni: où sont passés le Labour et Jeremy Corbyn ?

Lia van Bekhoven
Lia van Bekhoven Correspondante à Londres pour Knack, BNR, la VRT, Terzake et Elsevier

Le fait que le Parti travailliste ne soit plus une menace pour un parti au pouvoir impopulaire, incompétent et divisé veut tout dire de la politique britannique actuelle, écrit Lia van Bekhoven, correspondante à Londres pour Knack.

Personne ne se demande comment va Jeremy Corbyn. Où est le Labour ? L’opposition devrait connaitre une période dorée. Imaginez un peu. Un parti au pouvoir sous l’emprise des fondamentalistes eurosceptiques. Un Premier ministre mortel, Boris Johnson, qui, avant même d’avoir garé sa bicyclette à Downing Street, est déjà l’un des chefs de gouvernement les plus controversés de l’histoire récente. Ajoutez à cela une majorité de la population qui est contre son Brexit dur sans accord. Une Chambre des communes qui conspire pour faire tomber le nouveau Premier ministre. Et que disent les travaillistes ? Rien. Le parti ne semble pas capable de se sortir du chaos qui règne actuellement.

Jeremy Corbyn a échoué en tant que leader. Plus de soixante sénateurs du Labour ont jugé nécessaire d’attirer l’attention des lecteurs de quotidiens britanniques sur cette conclusion dans une pleine page cette semaine. La faillite du chef travailliste est due au scandale de l’antisémitisme qui déchire le parti et que le leader ne parvient pas à maîtriser. Vous pouvez imaginer la frustration.

Alors que les Conservateurs choisissent un nouveau leader, dont la réponse à la plus grande débâcle depuis la Seconde Guerre mondiale est « optimisme », les Travaillistes se sont enfermés dans un bunker. Un peu d’opposition devrait pourtant être très populaire dans les sondages. Elle dominerait le débat. Cela en ferait voir de toutes les couleurs aux Conservateurs. Mais les Travaillistes sont à bout.

Il y a quatre ans, Corbyn semblait se positionner en vainqueur. Il avait obtenu de bons résultats en promettant de mettre fin aux coupes qui avaient mutilé le secteur public et fait de l’Etat-providence la risée de tous. Un demi-million de membres, pour la plupart des nouveaux venus en politique, avaient rejoint le mouvement socialiste. Pour partir par milliers ces derniers mois.

Le plus gros problème du Labour, c’est le Brexit. Depuis deux ans, le parti s’efforce de formuler une politique de retrait pour en arriver à une position complexe, à la Houdini, que personne ne comprend. Les sondages estiment qu’une politique enthousiaste du Labour pour le « Remain » serait en tête dans les urnes. Les membres veulent un simple message anti-Brexit. Le groupe l’attend. Le congrès du parti a voté pour. C’est ce dernier élément qui devrait être déterminant.

« Nous ne croyons pas aux leaders », a dit un jour John McDonnell, un ami et associé proche de Corbyn. « Nous croyons que les dirigeants devraient suivre les masses. Le principe directeur de la gauche travailliste est que le contrôle doit être entre les mains des membres du parti et non entre les mains du groupe. L’élément central du leadership est l’écoute », a déclaré M. Corbyn dans l’une de ses premières allocutions en tant que leader. Sous sa direction, « les gens participeraient à nos discussions politiques et le parti dans son ensemble déciderait ».

Sauf, semble-t-il, quand il s’agit du Brexit. Les Travaillistes refusent ainsi de se conformer aux souhaits de l’écrasante majorité. La position du Labour (en faveur d’un second référendum, sauf si le parti peut parvenir à un nouvel accord de divorce) découle de la crainte de trahir les travailleurs qui ont voté pour une sortie de l’UE.

Foutaises, dit Rob Ford, professeur de sciences politiques à l’Université de Manchester. L’idée que les Travaillistes ont besoin de leurs électeurs pro-Brexit pour gagner les élections est « l’une des croyances les plus nuisibles en politique ».

L’inverse serait vrai. Une politique anti-Brexit ferme apporterait de l’or au Labour. Cela rendrait le parti immédiatement éligible. Le refus de reconnaître cette réalité a coûté au plus grand parti d’opposition du pays des dizaines de sièges aux élections municipales de mai. Aux élections européennes, avec 14%, les socialistes n’étaient qu’en troisième position. Près de 20% des électeurs qui ont voté pour Corbyn en 2017 se tourneraient aujourd’hui vers des petits partis pro-Remain.

Les plus proches collègues de Corbyn subissent d’énormes pressions pour pousser le groupe dans le camp du Remain en des termes très clairs. Un énorme défi pour Corbyn et les siens, des sceptiques de longue date qui considèrent l’UE comme une entreprise capitaliste néolibérale. Et même si le sommet du parti prend une tournure tactique pro-européenne, quelle est encore la crédibilité de Corbyn ?

Mais il n’est pas seulement question de Brexit. Sous la direction de Corbyn, le parti est devenu un aimant à antisémites. Les militants et les membres du Parlement d’origine juive ne se sentent plus chez eux au Labour. Ils disent qu’on les insulte et qu’on les menace dans la rue et aux réunions du parti. Et le parti reste là, sans agir. Non seulement le Labour refuserait de défendre les victimes, mais il serait incapable de punir les responsables. Les enquêtes internes sur l’antisémitisme sont retardées et entravées par les plus proches collègues de Corbyn. « Si nous ne pouvons pas nous attaquer à l’antisémitisme dans nos propres rangs, nous ne pouvons pas être un gouvernement alternatif crédible », disent les signataires du texte publié cette semaine.

Le scandale de l’antisémitisme a ôté toute sa splendeur à Corbyn. Un tiers des électeurs voient désormais le Labour comme un parti antisémite. Il n’y a pas si longtemps, Corbyn était encore considéré comme sincère et authentique. Différent des autres chefs de parti. Quatre ans après être devenu un leader, Corbyn n’est plus spécial et encore moins inspirant. Même sa réputation d’un homme désintéressé et honnête a vécu. Les deux tiers des électeurs estiment que le dirigeant travailliste s’intéresse davantage à sa propre carrière politique qu’à l’intérêt national.

Corbyn a-t-il fait son temps ? La concurrence le pense. Boris Johnson, en tant que nouveau Premier ministre, aimerait ancrer son mandat en organisant des élections anticipées. Tant que Corbyn dirigera l’opposition, Johnson (un homme politique que même ses amis qualifient de peu fiable) pense qu’il peut gagner les élections nationales. Le fait que le Parti travailliste ne soit plus une menace pour un parti gouvernemental impopulaire, incompétent et divisé veut tout dire de la politique britannique actuelle.

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