Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l'innovation politique. © Gamma-Rapho via Getty Images

Régionales en France: « Une abstention temporaire à l’extrême droite »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Directeur de la Fondation pour l’innovation politique, un think tank libéral, Dominique Reynié estime que les électeurs du Rassemblement national reviendront voter. Mais il prédit aussi une forte abstention à la présidentielle. Une menace pour Macron?

Le taux record d’abstention du premier tour des régionales (66,7%) traduit-il une réelle indifférence des Français à la politique ou est-il simplement le résultat d’une conjonction de circonstances exceptionnelles?

C’est une question difficile. Il y a sans doute une part de cette abstention qui s’explique par les facteurs habituels, notamment le désintérêt d’une partie des Français pour ces élections-là qui sont en général plutôt abstentionnistes. Et il y a aussi la marque, dans une certaine proportion, d’une dimension protestataire. Depuis septembre 2019, je mesure à peu près tous les six mois, auprès de 3 000 personnes, la disponibilité des Français à protester, notamment par l’abstention. Cela fait un moment que les chiffres sont très hauts et de cet ordre-là. Il y a donc une disponibilité à s’abstenir pour protester. Et il me semble que l’électorat protestataire le plus mobilisable, celui de Marine Le Pen et du Rassemblement national, s’est beaucoup abstenu le dimanche 20 juin. C’est celui qui s’est le plus abstenu. Ce constat valide l’idée que cette abstention est temporaire et de désarroi. Ces électeurs n’ont pas bien vu l’usage qu’ils pouvaient faire de la protestation aux échelons régional et départemental. Peut-être est-ce dû aussi au fait que Marine Le Pen s’est exagérément normalisée et qu’elle ressemble de plus en plus à une candidate de la droite classique, un peu plus marquée mais pas de manière considérable. Ces électeurs ne reconnaissent peut-être pas tout à fait, dans le Rassemblement national actuel, le parti antisystème pour lequel ils aimaient voter. Mais d’ici à 2022, ils ne vont pas rester chez eux. Ils vont revenir voter et cela bouleversera à coup sûr les résultats de la présidentielle. Je laisse de côté dans cette analyse ceux qui ne votent jamais et sont un peu moins de 10%.

Une partie des Français pourrait être en rupture progressive non seulement avec la participation électorale mais aussi avec l’idée d’une démocratie représentative. »

Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l’innovation politique.

Faites-vous une distinction entre types d’abstentionnistes?

Il y a ceux qui ne votent pas parce que l’enjeu ne leur paraît pas clair ou pas intéressant et ceux qui ne votent pas parce qu’ils veulent marquer leur désapprobation de la campagne qui n’a pas porté sur les enjeux régionaux mais qui a été très politicienne et très tactique, comme on l’a vu en particulier en Provence-Alpes-Côte d’Azur et dans les Hauts-de-France, où il a été question sans arrêt de la présidentielle de 2022. Cela a exaspéré beaucoup d’électeurs et les a découragés. Ces facteurs-là ont pesé dans un pays qui n’a malheureusement pas confiance dans ses institutions, qui juge de manière très sévère la classe politique et qui n’aime pas les partis politiques – 80% des personnes que l’on interroge disent en avoir une image négative. Je crois que cette fois-ci, on a assisté à une forme de réorientation de la protestation qui ne s’est pas dirigée vers la protestation électorale mais vers l’abstention, peut-être parce que l’enjeu n’était pas clair, peut-être parce que Marine Le Pen s’est trop modérée. La protestation n’est d’ailleurs pas allée dans le vote blanc, qui a été marginal.

Une abstention record dont les raisons ne sont pas que circonstancielles.
Une abstention record dont les raisons ne sont pas que circonstancielles.© Gamma-Rapho via Getty Images

Cette tendance risque-t-elle d’accroître l’interrogation sur la légitimité des dirigeants politiques?

Oui, si les électeurs qui se sont abstenus restent attachés à l’idée de la légitimité des gouvernants. On peut aussi imaginer une version plus dramatique où les électeurs ne vont pas voter et, après, ne se plaignent même pas de l’illégitimité des gouvernants, à laquelle ils ont participé en s’abstenant, parce que c’est tout le système représentatif qui a cessé de les intéresser. On a observé cela lors des élections municipales. Elles ont été marquées par une abstention record lors du second tour le 28 juin 2020 alors qu’avait disparu la crainte de la Covid présente à l’occasion du premier tour le 15 mars. Beaucoup de maires ont été élus ou réélus avec un participation extrêmement faible. La version qui ne me paraît pas impossible, même si c’est prématuré, de la valider serait qu’une partie des Français est en rupture progressive non seulement avec la participation électorale mais aussi avec l’idée d’une démocratie représentative.

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Y a-t-il une abstention-colère et une abstention-indifférence?

C’est cela. Et dans l’abstention- colère, on peut encore la subdiviser en deux entre l’abstention qui exprime une colère temporaire – on s’abstient pour signifier une série d’insatisfactions sur la manière dont le scrutin s’est déroulé mais on y reviendra lors d’autres élections – et une abstention-sécession – désormais, on n’ira pas voter ou presque pas. Si je devais faire un pari, je dirais que la présidentielle de 2022 sera marquée par un record d’abstention, ce qui peut avoir des conséquences importantes.

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