Carte blanche

« Pour une Europe fondamentalement différente qui répond à la fois aux aspirations sociales et démocratiques des gens »

« L’Europe est en danger. Il faut la sauver. Avançons. » Sous forme de lettre, les citoyens européens ont eu droit au énième discours pro-européen du président français. Macron parle, Charles Michel applaudit, Guy Verhofstadt renchérit.

Les interprètes changent, le refrain pas. Derrière cette rhétorique éloquente en faveur de l’Union européenne se cache un angle mort dangereux. Plutôt que de s’y opposer, leurs politiques et les traités actuels alimentent la montée des nationalismes.

Brexit, Salvini, Orban… Le climat semblerait propice à une remise en question par les partis traditionnels de leurs politiques. Il n’en sera rien. Sur les talons de Macron, l’establishment voudrait se dresser en pourfendeur d’un épouvantail « national-populiste ». L’exercice n’est pas forcément facile. Le cdH n’arrive pas à se décider s’il resterait oui ou non dans un Parti populaire européen qui n’exclurait pas l’autoritaire Viktor Orban. Et les libéraux espagnols de Ciudadanos ont carrément fait un pacte avec les fascistes de Vox. Néanmoins, on cherchera en vain chez Macron, Michel ou Verhofstadt un brin d’autocritique. L’Union européenne est une merveille, il n’y a que « le mensonge et l’irresponsabilité qui peuvent la détruire », affirme le président français.

L’aveuglement est consternant. Cette Union européenne n’est tout simplement pas tenable pour les gens. Certains pays se vident, purement et simplement. À l’est du continent, certains pays ont perdu jusqu’à un quart de leur population. D’autres sont devenus des déserts industriels. L’Italie a vu s’envoler 25 % de sa capacité de production en 20 ans, pendant que certains nagent dans les excédents extérieurs. Même le Centre pour la politique européenne (CEP), pourtant ordolibéral, estime que si l’Allemagne a gagné presque 1 900 milliards grâce à l’introduction de la monnaie commune, la France et l’Italie auraient perdu respectivement 3 500 et 4 300 milliards d’euros. Des chiffres astronomiques. La Belgique aurait perdu 69 milliards, soit 6 370 euros par habitant.

Les dogmes de la concurrence et de l’austérité créent et renforcent des inégalités catastrophiques, entre, mais aussi au sein des États. Pendant que le PIB européen croît, 113 millions d’Européens sont menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale. C’est près d’un quart de la population. Dans certains pays, il s’agit presque de 40 % de la population. Les conclusions du rapport Poverty Watch 2018 de l’European Anti Poverty Network sont sans appel. Désormais, l’Union européenne compte 10 % de travailleurs pauvres. La gauche allemande dénonce le fait que 1% de la population y détient environ autant de richesses que les 87 % les plus pauvres.

L’Union européenne en tant que projet autoritaire impose l’austérité ainsi que la libéralisation et la destruction des services publics, même lorsque le peuple les rejette, comme en Grèce en 2015, ou en France en 2005. Cela entraîne la réapparition de courants qu’on croyait enterrés une bonne fois pour toutes. Des vents nationalistes gagnent l’Europe de l’Est. En Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en France, aux Pays-Bas, en Autriche et en Belgique, l’angoisse et les difficultés quotidiennes constituent un terrain fertile pour la droite radicale, les nationalistes d’extrême-droite et de nouveaux courants xénophobes. S’il n’y a jamais d’argent pour le logement social ou l’école publique, on pousse ceux d’en bas à se battre entre eux pour les miettes qui restent. En amputant les budgets des services publics, les eurocrates créent ainsi les conditions pour le repli sur soi et les tensions.

Peu importe, les eurocrates continuent envers et contre tout à appliquer les mêmes recettes, avec à la clé toujours plus d’autoritarisme et de moins en moins de participation. Pour le président français et ses soutiens belges, il faut continuer comme avant, « faire plus, plus vite ». Les politiques prônées par Macron et Merkel mettent les peuples en concurrence et sont ainsi directement responsables de la crise européenne. D’abord économique, à laquelle s’ajoute maintenant une grave crise politique. La confiance dans les partis traditionnels est au plus bas. En France, mais en Italie aussi, les partis traditionnels se sont effondrés.

Le banquier devenu président n’en a que faire. Le décalage entre la rhétorique macronienne et ses politiques frôle le surréalisme à la belge. Comme si les salons feutrés de l’Union européenne permettaient de faire abstraction de toute réalité, l’ex-banquier assure vouloir une Europe où l’on peut vivre de son travail. Aurait-il oublié un instant avoir détricoté le Code du Travail ou cassé le statut des cheminots ? Quand Macron parle de convergence, il entend les critères de convergence de Maastricht. Ce traité, que même l’élite européenne n’a osé fêter en grande pompe, pose les bases de l’austérité en Europe. Son « Europe qui protège » doit protéger non pas les services publics ou les citoyens, face aux marchés financiers, mais les multinationales européennes. Plutôt que d’investir dans les services publics, Macron veut hausser les dépenses en matière de défense. Et finalement, l’homme qui en France tergiverse sur le glyphosate, se mue soudainement au niveau européen en défenseur d’une Force sanitaire et d’une évaluation scientifique indépendante.

Macron veut convaincre les classes populaires, mais n’offre réponse ni à leurs revendications sociales, ni à leur demande démocratique fondamentale. Face au bulldozer européen, les gens veulent pouvoir décider de leur vie. Cette aspiration est d’ailleurs la base matérielle des revendications souverainistes, notamment lors de la campagne autour du Brexit. Face à cela, Macron parle d’une Europe de la liberté, mais essaie de dissoudre le mouvement des Gilets Jaunes à coups de flashball LBD-40 ou de grenades de désencerclement GLI-F4, mettant à mal la liberté de manifester au point d’inquiéter la majorité du Parlement européen et le Conseil de l’Europe. Ajoutant l’insulte à l’injure, le président enferme son « Grand Débat » dans le cadre des choses qui seraient acceptables pour l’establishment. Le retour de l’impôt sur la fortune (ISF) s’en est vu exclu d’office. Le désintérêt des gens se révèle à la hauteur du manque d’intérêt de ce Grand Débat. Jean-Luc Mélenchon a jeté un coup d’oeil aux chiffres. En considérant les personnes faisant une contribution détaillée sur le site internet de cette grande consultation, le nombre de participants serait de 122 000 personnes, soit une infime partie de ses propres électeurs au premier tour de l’élection présidentielle. Un désintérêt reflété aussi dans la chute des audiences lors des discours télévisés du président.

Nous avons besoin d’une Europe fondamentalement différente. Une Europe qui répond à la fois aux aspirations sociales et démocratiques des gens.

En Italie, ce sont les politiques libérales de Matteo Renzi qui ont fait le succès de cet autre Matteo, le dirigeant d’extrême droite Salvini. Hillary Clinton ne battra jamais Donald Trump. Ce ne seront pas des recettes qui réenchanteront les gens. Non, l’alternative passe par une gauche qui critique à la fois le projet européen et le nationalisme. Une gauche qui ose sortir du cadre. Parce que nous avons besoin d’une Europe fondamentalement différente. Une Europe qui répond à la fois aux aspirations sociales et démocratiques des gens.

Refonder l’Europe veut dire lancer un plan ambitieux d’investissements publics en rupture avec les traités de l’austérité et de la concurrence. Refonder l’Europe veut dire remplacer la spirale sociale vers le bas par une spirale vers le haut. Introduisons un principe européen contraignant de progrès social. La coopération européenne doit être consacrée exclusivement au progrès social. Si nous pouvons mener ensemble la lutte contre l’évasion fiscale ou pour une révolution climatique sociale, n’hésitons pas un instant. Mais à chaque fois que les règles européennes laissent le champ libre au dumping social ou imposent une régression sociale, un pays doit pouvoir dire : non, nous n’acceptons pas. Carton rouge. Refonder l’Europe passe aussi par la désobéissance sociale.

Refonder l’Europe veut aussi dire s’en prendre à l’urgence démocratique. Cela implique de rendre contraignante l’initiative citoyenne existante et arrêter les portes tournantes entre Commission européenne et multinationales ou banques. Il est injustifiable que le Commissaire européen pour le climat soit issu du secteur pétrolier. Inacceptable qu’un ex-lobbyiste ait pu devenir Commissaire pour la stabilité financière. Intolérable qu’un président de la Commission européenne passe à Goldman Sachs. Il faudra dans la foulée s’en prendre aux privilèges de la caste des eurocrates. Quand on gagne plus de 30 000 euros par mois, comme Jean-Claude Juncker, il est impossible de comprendre ce que vivent les gens.

Soyons clairs, cette autre Europe ne sera pas le fait d’un amendement parlementaire. Il faudra écouter et appuyer la vague de révolte sociale qui déferle sur le continent. Les gilets jaunes ne sont pas seuls. Le mouvement pour le climat, les grèves paneuropéennes chez Ryanair, Deliveroo et Amazon, la solidarité syndicale internationale chez Carrefour et Caterpillar, sans oublier les grèves et les manifestations en Allemagne, Hongrie, France et Belgique pour le pouvoir d’achat, une meilleure qualité de vie et des pensions décentes… La nouvelle Europe naîtra de ces luttes.

Marc Botenga travaille comme conseiller politique de la Gauche unitaire européenne (GUE/NGL) et est tête de liste francophone du PTB pour le Parlement européen

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire