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Pour Boris Cyrulnik, le drame de Notre-Dame est « une mort symbolique »

Le Vif

Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, qui a popularisé le concept de résilience, décrypte la façon dont les Français surmontent le traumatisme de l’incendie de la cathédrale.

Comment interpréter l’émoi collectif dans lequel sont plongés les Français depuis l’incendie de Notre-Dame ?

L’incendie de Notre-Dame est une catastrophe esthétique, mais surtout symbolique qui touche les chrétiens comme les non-chrétiens. Car cette religion fait partie de l’histoire humaine. Il y a une réaction internationale, les Français comme les non-Français sont blessés. C’est habituel. On l’a vu après les attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo. La catastrophe provoque deux réactions opposées : une majorité vole au secours des blessés et des morts, bien que, dans le cas présent, il n’y en ait pas. C’est une mort symbolique. Et une minorité ne se sent pas concernée. Elle prend même une petite distance ironique et se demande pourquoi il y a une telle réaction pour un tas de pierres.

Boris Cyrulnik :
Boris Cyrulnik :  » Macron a trouvé le mot de la résilience en disant : « On va reconstruire ». « © M. magnin/H. lucas/afp

Notre-Dame de Paris appartient à la mémoire collective française. Une part des Français n’est-elle pas partie en fumée ?

Je ne suis pas chrétien et c’est pourtant exactement ce que j’ai ressenti. Comme dans un deuil, c’est une blessure personnelle. Quand quelqu’un que j’aime meurt, il emporte un peu de moi-même. Il n’est plus dans le réel, mais il existe encore dans ma représentation du réel. Dans ma mémoire et dans mon affection. Quand on appartient à un groupe, on se sent plus fort. Ce sentiment est fondé par le partage de liens, d’une histoire, d’une tradition. Beaucoup de travaux ont été faits sur les peuples migrants, après une catastrophe naturelle ou une guerre. On constate que les migrants qui résistent le mieux à cette épreuve sont ceux qui continuent à partager une tradition. A l’inverse, ceux qui s’effondrent et manifestent le plus de souffrances psychiques sont ceux qui n’ont pas pu partager ces traditions. Ainsi, la plupart des gens qui ont pleuré, prié, comme je l’ai fait, sont protégés par le partage d’un patrimoine commun, même s’ils ne sont pas chrétiens.

Comment l’hébétement collectif peut-il être source de résilience désormais ?

La résilience est la reprise d’un nouveau développement après un traumatisme psychique. Dans le cas qui nous concerne, l’effondrement d’un symbole nous sidère. Comme dans tout trauma, tout deuil, le premier temps est celui de la sidération :  » Je ne comprends pas, c’est impossible, je ne peux pas y croire.  » J’ai entendu ces phrases au sujet de Notre-Dame. En neuro-imagerie, la sidération correspond à un moment où le cerveau ne traite plus l’information tant l’émotion est forte. Alors, soit on reste dans cet état, et c’est le syndrome psychotraumatique. Soit on se remet à vivre. C’est alors le début du travail de la résilience qui commence.

Boris Cyrulnik a publié La nuit, j'écrirai des soleils, chez Odile Jacob.
Boris Cyrulnik a publié La nuit, j’écrirai des soleils, chez Odile Jacob.

Comment le mettre en oeuvre ?

Après le constat de la déchirure, du trauma qui fait mal, les deux facteurs clés sont le soutien et le sens que l’on donne à la catastrophe. Après l’effondrement et l’incendie, on observe un énorme soutien. Comme pendant un deuil, les gens se réunissent pour pleurer. Ils ne se sentent pas seuls. Ensuite, quel sens va-t-on donner à cet effondrement ? Cela dépend. Certains vont dire que c’est une punition de Dieu, par exemple.

Emmanuel Macron a très vite évoqué la reconstruction du bâtiment. La précocité de cette annonce facilite-t-elle le travail de résilience ?

Absolument. Quand on vit un malheur, soit on est hébété, soit on formule tout de suite un projet. Avec la reconstruction de Notre-Dame commence le travail de résilience. Parce que ça donne du sens à la souffrance et ça organise notre nouvelle manière de vivre ensemble. Reconstruire la cathédrale est un projet. Cela permet de métamorphoser la manière dont on éprouve le malheur. Par ailleurs, la résilience n’est pas le retour à l’état antérieur qui serait la restauration ou la guérison psychique. Mais les gens ne sont pas malades. Ils n’ont pas à guérir. Ils ont une blessure émotionnelle, symbolique. Il faut la réparer, rebâtir une autre cathédrale. Macron a une forte disposition spirituelle et il a trouvé le mot de la résilience en disant :  » On va reconstruire. « 

Le milliard d’euros de promesses de dons a vite été atteint. Que traduit cet élan ?

C’est habituel. Rien ne renforce plus un groupe que d’être agressé. Le groupe chrétien, français, a été agressé par une catastrophe accidentelle, non intentionnelle ( NDLR : l’enquête est en cours). Les prières, le regroupement leur ont donné un grand sentiment de solidarité, de reconnaissance, un grand moment de bonheur après le malheur.

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