© PASCAL ITO FLAMMARION

Pascale Clark: « on peut tout maquiller dans la vie, mais pas la voix »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Privée d’antenne pendant quatre ans et confrontée à la fin de vie muette de sa maman, la journaliste radio Pascale Clark revient dans son livre « Mute » sur ces deux silences parallèles. « La voix, c’est la vie », dit-elle. Dans cet article, découvrez également le premier chapitre de son livre.

A la fin de cet article, découvrez le premier chapitre de son livre « Mute ».

Peut-on aimer quelqu’un dont on n’aime pas la voix ?

Non. La voix est ce qu’il y a de plus intime en nous. C’est une empreinte, meilleure ou pire que l’empreinte digitale. Il n’y a pas deux voix qui se ressemblent, même s’il y a de très bons imitateurs. On passe beaucoup de temps avec la voix de l’autre : je ne pourrais pas l’aimer si je n’aime pas sa voix… J’ai souvent entendu que j’avais une belle voix, ce qui m’a toujours paru incroyable. Je crois qu’il n’y a pas de « belle voix ». Il y a celles qui sont sincères et les autres. Je dois avoir en moi un petit logiciel qui permet de renifler l’insincérité, à laquelle je suis allergique. On peut tout maquiller dans la vie, mais pas la voix. Que je sache, il n’existe pas de listing des cordes vocales. Donc la voix, c’est l’identité, la plus vraie et la plus intime. Je préférerais quelqu’un dont je n’aime pas le visage, plutôt que quelqu’un dont je n’aime pas la voix.

En tant que journaliste, on doit toujours être dans l’opposition, donc penser contre soi-même et contre les autres.

Désormais, on filme en direct les journalistes de radio. La voix et le son ne se suffisent-ils pas à eux-mêmes ?

La force absolue de la radio, c’est qu’on ne voit pas les gens qui nous parlent et qu’on a un effort d’imagination à produire. C’est comme quand on lit un livre : il faut faire au moins la moitié du chemin. Or, il n’y a rien de plus raréfié que l’imaginaire. Tout nous est imposé. L’image est assez dictatoriale parce qu’elle impose des choses, fausses la plupart du temps. Je pense que filmer des gens qui parlent à la radio, c’est tirer une balle dans l’imaginaire. Combien de fois des auditeurs m’ont-ils dit qu’ils m’imaginaient grande et brune, alors que… ? Je suis assez sévère avec ça, d’autant que cette pratique s’appuie sur des raisons commerciales : en ligne, il faut absolument disposer d’images, vous ne pouvez pas balancer un son comme ça. Si les gens de radios sont filmés, c’est uniquement pour permettre les reprises sur les réseaux sociaux. On se plie en fait à la loi des Gafa.

Cette suprématie de l’image vous agace…

Je suis par exemple étonnée de la façon dont les gens ont besoin de se mettre en scène. Il y a maintenant des « lieux Instagram », pourris, un peu partout dans le monde : les gens y débarquent uniquement pour prouver par un selfie qu’ils y sont venus. Rien que ce mot, selfie, relève du génie, d’ailleurs : il résume en six lettres un concept qui nécessiterait plusieurs mots en français. Bref, on dirait que le moment n’existe pas s’il n’est exposé aux yeux du monde. Et ce qui compte, c’est soi, et non l’endroit où l’on se photographie. Vaut-on mieux quand on s’expose ? Notre cote augmente-t-elle ? Ça va loin, cette histoire ! Je ne suis pas arc-boutée sur le passé, loin s’en faut, mais l’usage prend des proportions incroyables. Ce n’est plus du partage mais l’exposition de soi-même.

Pascale Clark et sa maman, dont elle écrira l'histoire.
Pascale Clark et sa maman, dont elle écrira l’histoire.© DR

Le journalisme est, selon vous, décrié, insulté et moqué, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Lesquelles ?

Les médias forment aujourd’hui une espèce de masse assez vertigineuse, avec des canaux de diffusion qui se multiplient. On dit  » les médias  » et on les rend responsables de tout. Je comprends globalement la défiance à leur égard : certaines pratiques font du mal à l’ensemble de la profession, comme l’information qui tourne en boucle, sans vérifications, le spectaculaire, le vite dit, vite fait, les raccourcis… Il me semble que le citoyen doit y mettre de lui-même pour vraiment s’informer. Il doit aussi accepter de payer pour cela, parce que les médias ont un coût. Il ne peut pas se contenter du plus facile, donc du moins proche de la vérité. Mais je pense aussi qu’on devrait suivre dès l’enfance une éducation à l’information. Il y va de nos vies de citoyens.

Je préférerais quelqu’un dont je n’aime pas le visage, plutôt que quelqu’un dont je n’aime pas la voix.

Vous avez dit, à un moment, ne plus savoir par quel bout prendre ce métier. Maintenant que vous avez renoué avec l’antenne sur Europe 1, avez-vous retrouvé un bout par lequel le prendre ?

Non. Honnêtement. Je pense que ce métier est en train de mourir. D’ailleurs beaucoup le quittent, en raison de la grande précarité qui y règne et d’une absence de sens absolue. Il y a maintenant des OS (ouvriers spécialisés) du journalisme, par exemple dans les chaînes d’info en continu ou sur les sites Web. Comme Charlie Chaplin resserrant sans fin ses boulons dans Les Temps modernes. Evidemment, il reste des enquêteurs, des journalistes sur le terrain mais de moins en moins, et ce n’est pas eux qu’on suit. Je pense que ce métier est en train de disparaître. Si vous y ajoutez la défiance… Par exemple, il est impossible de contrer une fake news. C’est très compliqué de convaincre quelqu’un qui ne vous croit pas. Il n’y a plus de faits, juste des opinions tranchées. Les gens ne s’écoutent plus. C’est dramatique. Mais peut-être que je manque d’imagination pour réinventer ce métier.

Vous abhorrez l’expression « amis », utilisée sur Facebook. Les mots ont-ils perdu leur sens ?

On ne peut pas avoir 500.000 amis dans la vie, enfin, je ne pense pas. Bien sûr que les mots se perdent ! Les mots sont déviés, mal utilisés. Il se produit une espèce de perte de substance à partir du moment où on utilise un mot pour un autre. Non, je ne suis pas « ton amie », même si je te suis sur Facebook !

Vous n’avez jamais caché être de gauche, une transparence qui n’est pas fréquente parmi les journalistes…

Ce n’est pas parce que je suis de gauche que je suis une journaliste de gauche. Il me semble qu’en tant que journaliste, on doit toujours être dans l’opposition, donc penser contre soi-même et contre les autres. Mais que veut encore dire « être de gauche » ? C’est un marqueur plus culturel que politique. Je ne serai jamais de droite même si, actuellement, il est difficile de rester de gauche. Les lignes sont tellement brouillées… Je ne me suis jamais sentie journaliste de gauche, mais journaliste. Pour ma part, je ne crois pas à l’objectivité, uniquement à l’honnêteté : un journaliste doit aller voir partout et faire le tour de tout, à 360 degrés.

Vous avez connu des confrontations très dures à l’antenne avec des représentants du Rassemblement national. Vous ne savez pas faire semblant, dites-vous. Comment allier vos convictions personnelles et votre professionnalisme ?

J’avoue qu’il y a contradiction. Je pourrais en faire un collier, de mes contradictions ! Mais il y a des sujets sur lesquels je ne peux pas transiger. La position de Louis Aliot, membre du Rassemblement national, sur l’IVG, ne relevait pas de l’opinion. L’IVG, c’est un droit, inscrit dans la loi, et la loi doit servir de limite. Alors quand il s’attaque au droit à l’avortement, en parlant d’IVG  » de confort « , je sors de mes gonds. Peut-être que je fais mal mais il me semble que je dois le dire parce que c’est une transgression de la loi. A l’inverse, ne pas le rappeler serait un problème. Cela dit, je ne suis pas du tout faite pour les interviews politiques, auxquelles je ne crois pas beaucoup : ce n’est jamais qu’un jeu de communication et vous ne ferez jamais dire à quelqu’un ce qu’il n’a pas envie de dire. Il faut jouer un jeu qu’il me répugne un peu de jouer. En plus, ça ne donne rien et ça ne sert personne. D’ailleurs, j’ai jeté l’éponge. J’ai conscience qu’il faut plus de diplomatie et de bienséance. Il faut avoir conscience de ses limites, parfois.

Vous sembliez très clairvoyante sur la dureté du monde des médias et pourtant, vous n’avez pas vu venir votre éviction de France Inter.

J’avoue que sur ce coup-là, j’ai dû être orgueilleuse. Je ne pensais pas disparaître comme ça. Je ne pensais pas que, parce qu’une responsable avait décidé d’appuyer sur l’interrupteur, une telle rupture pouvait se passer, sans qu’il y ait de raisons professionnelles.

Dans Mute, vous évoquez le mutisme soudain de votre maman, en fin de vie, au moment où vous perdez votre voix à l’antenne. Croyez-vous à ce hasard ?

Il n’y a pas de hasard, bien sûr. Je ne sais pas si Frania, ma mère, a somatisé au point de perdre la parole mais il y a eu une troublante conjonction d’événements. Etre virée était un cauchemar mais cela a servi à quelque chose : j’ai pu passer plus de temps avec elle à la fin de sa vie. Ce n’est qu’en écrivant que je me suis aperçue de nos silences parallèles. Au moment même, il y avait trop de chagrin, ce n’était pas possible d’avoir cette lucidité- là.

Comme votre maman en fin de vie, vous dites vous débattre dans cette impossible contradiction : espérer attirer encore un peu d’attention, redouter de se donner à voir dans sa vulnérabilité. La voir vulnérable sans que votre regard sur elle ne change – bien au contraire – vous a-t-il donné assez confiance pour oser vous montrer fragile à votre tour ?

Je ne m’étais pas posé cette question. Je voulais raconter son histoire à elle, parce qu’elle le méritait et qu’elle a, comme d’autres, passé sa vie à s’effacer. Fallait-il une vulnérabilité partagée pour y parvenir ? C’est possible. C’est peut-être parce que cette vulnérabilité existe qu’il faut s’en préserver et la cacher sous plusieurs couches de protection, parfois de façon un peu outrancière. Dans la vraie vie, on ne sert pas sa vulnérabilité sur un plateau. Mais écrire, c’est autre chose. Si ce livre-là n’avait pas été sincère, il n’aurait pas eu lieu d’être.

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Bio express

  • 1963 Naissance, le 30 juin.
  • 1983 Premiers pas radiophoniques dans une radio de Versailles.
  • 1995-2004 Journaliste à France Inter (matinale, revue de presse).
  • 2004-2006On refait le monde sur RTL.
  • 2001-2007En aparté, sur Canal +.
  • 2009-2016Comme on nous parle, sur France Inter.
  • 2020 Publication de Mute (Flammarion) et retour sur les antennes de Europe 1.

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