Franklin Dehousse

Nomination européenne et déliquescence politicienne

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

La nomination en Belgique du commissaire européen évoque un mauvais théâtre. Le Premier ministre affirme que son gouvernement peut agir seul (une manipulation que ni Wilfried Martens ni Jean-Luc Dehaene n’auraient jamais envisagée). Or, un gouvernement hyperminoritaire ne peut prendre une telle décision qu’après avoir obtenu une majorité relative à la Chambre. D’autres acteurs sont ambigus.

La N-VA laisse Peter De Roover protester, mais Bart De Wever reste silencieux. Le PS avance Laurette Onkelinx, mais Elio Di Rupo émet de tièdes protestations. L’épisode arrange en réalité ces deux partis. Il confirme la gestion peu scrupuleuse des institutions par Charles Michel. Il peut apporter des compensations futures utiles (à la BEI-Banque européenne d’investissement pour la N-VA, au gouvernement pour le PS). Pour le PS, il évacue les figures MR les plus liées à la N-VA, ce qui aide les accords dans le sud du pays. La stratégie consiste donc à laisser faire, sans donner l’impression de soutenir. Quant à Charles Michel, chacun comprend qu’il roule pour lui. Il veut maintenir son contrôle sur le MR, sans doute par un(e) intérimaire, en attendant la fin d’un mandat européen transitoire (imitant ainsi Donald Tusk, qui retourne en Pologne).

Si la particratie s’en trouve très bien, on n’en dira pas autant ni des institutions, ni des citoyens.

Pour les institutions, le dommage est sévère.  » Il y a urgence « , dit le gouvernement.  » On ne doit pas violer le droit international et bloquer la Commission « , clament certains experts. Tous oublient qu’aucun retard n’a jamais été sanctionné depuis 1952. Quant à la Commission, qui a deux fois trop de commissaires, aucun retard ne l’a jamais bloquée. Le duo Michel/Reynders le sait d’ailleurs fort bien. Voici peu, il a laissé inoccupé pendant douze mois complets un poste de juge européen. L' » urgence  » ne le préoccupait nullement alors (mais évidemment cela ne concernait pas l’intérêt personnel des ministres). Surtout, le gouvernement a laissé longtemps inoccupés de multiples postes dans la haute administration, les régulateurs, et la justice (où Koen Geens fait ses  » économies  » en sabotant les juridictions et laissant les justiciables payer les multiples retards). Ces carences sont bien plus nuisibles pour le citoyen, mais elles n’ont préoccupé ni les gouvernants, ni l’opposition, ni les médias. Tout le monde préfère gloser sur les petits jeux politiciens.

L’hypocrisie ressort aussi des non-dits. Tous vantent la démocratie, mais aucun ne propose de renforcer le rôle du Parlement. Tous adorent l’Europe, mais aucun ne suit franchement la nouvelle présidente de la Commission, qui demande deux candidats de sexe différent. Personne au gouvernement ne dresse un inventaire général des urgences (on se fiche bien des autres). Pour les partis, seule compte l’occupation du pouvoir, bien plus que l’Europe, bien abîmée ici.

Pour le public, cet épisode s’avère d’autant plus corrosif qu’il s’ajoute à d’autres : les arrangements de la famille Chastel à Charleroi, et des partis traditionnels à Liège pour Publifin (où les responsables restent en place malgré un rapport parlementaire unanime, et essaient même de saboter la presse). Les électeurs voient le gouvernement se moquer du Parlement. Ils voient l’urgence devenir un concept totalement élastique : inexistante quand les intérêts du public sont en jeu, immense quand ce sont les intérêts des politiciens. Tout cela défigure le visage de l’Europe. Enfin, et surtout, cela confirme, hélas, dans le public la vision létale d’un système où les gouvernants suivent les règles quand cela leur convient et quand cela ne concerne pas leurs intérêts personnels. Les petits théâtres politiciens d’aujourd’hui préparent ainsi les grands séismes électoraux de demain.

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