Franklin Dehousse

Merkel, la sauveuse de l’Europe?

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Parlant de Mme Merkel, on a exalté le « leader du monde libre » et la fin d’un grand leadership. L’histoire sera moins clémente.

Depuis 2005, Merkel a pris trois décisions européennes fondamentales. Chacune a bloqué une action collective cruciale. Premièrement, à partir de 2008, elle a stoppé un assainissement coordonné des banques endettées et des budgets nationaux. Cela a accentué le poids politique de l’Allemagne, en raison de ses surplus dans un continent surendetté, mais aussi aggravé la crise en Europe. L’Eurozone est devenue la région la plus mal gérée de la planète dans la crise financière.

Deuxièmement, en 2005, Mme Merkel a décidé de revenir sur l’abandon du nucléaire décidé par la coalition précédente. En 2011, après la catastrophe de Fukushima, elle a changé à nouveau et lancé l’EnergieWende (un double zigzag fort préjudiciable aux entreprises et à la transition énergétique). Ces deux décisions successives furent prises sans la moindre concertation avec ses partenaires de l’Union, alors qu’elle avait pour eux des conséquences fondamentales.

Troisièmement, en 2015, confrontée à l’arrivée croissante des réfugiés syriens, Mme Merkel a décidé d’ouvrir les frontières de l’Allemagne. Cette décision fut prise, à nouveau, sans concertation avec ses partenaires alors qu’elle entraînait des conséquences fondamentales pour eux (notamment pour les pays sur l’itinéraire d’accès à l’Allemagne). Le problème se trouva exacerbé quand Merkel se substitua au président du Conseil européen pour négocier directement toute seule un accord… de l’Union avec la Turquie d’Erdogan pour stopper le flot des réfugiés, soudainement indésirables après avoir été invités.

Cet unilatéralisme croissant de l’Allemagne a provoqué des réactions négatives dans certains segments de la population, non seulement dans les Etats périphériques, mais même dans le référendum britannique de 2016 sur le Brexit. On redécouvre ainsi l’avantage des institutions européennes pour atténuer les clivages entre les Etats membres.

Certes, on ne doit pas sous-estimer les qualités de Merkel. En matière européenne, elle a pris une seule décision courageuse: les sanctions de 2014 contre la Russie après l’invasion de la Crimée. Pour le reste, c’est une bonne tacticienne et surtout une dirigeante décente. Dans un monde où nombre de Premiers ministres dégoulinent de nombrilisme, parlent de manière irréfléchie, et se soucient moins de l’intérêt général que d’être le premier à faire un tweet, voilà une personne qui prépare ses dossiers, parle avec prudence et modestie. Le principal héritage de Merkel en Europe, ce sera le style, mais pas la substance.

Le vieux Helmut Kohl préparait de manière moins analytique qu’Angela Merkel ses dossiers, mais lui n’a jamais manqué les réalités fondamentales.

Il y a eu quatre chanceliers allemands brillants en Europe: Adenauer (qui a toujours soutenu la création des Communautés et le dialogue franco-allemand), Brandt (qui a réhabilité moralement son pays et ouvert la pacification avec l’URSS), Schmidt (qui a lancé la monnaie unique et soutenu les euromissiles) et Kohl (qui a créé le marché unique et la monnaie unique). A chaque fois des projets ambitieux et des risques personnels. Merkel n’appartient pas à cette catégorie. Elle a permis au navire de survivre, mais a manqué toutes les occasions de le consolider. Sa défense de l’Europe en Allemagne est demeurée un filet d’eau tiède (voir son très mauvais discours à Bruges, en 2011).

« Elle a démoli mon Europe », a déploré Kohl. Le vieux Helmut préparait de manière moins analytique qu’Angela ses dossiers, mais lui n’a jamais manqué les réalités fondamentales. On le regrette toujours.

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