Margrethe Vestager © Reuters

Margrethe Vestager, future présidente de la Commission européenne?

Le Vif

« Facebook ne devrait pas attendre que les politiques s’attaquent au problème du discours haineux, car il faut au moins cinq ans avant qu’une loi soit adoptée.  » C’est ce que déclare la commissaire européenne danoise Margrethe Vestager, qui, en tant que candidate, plait davantage aux CEO européens que Manfred Weber, le successeur attendu de Juncker.

En tant que commissaire européenne chargée de la Concurrence, vous êtes peut-être le membre le plus populaire de la Commission européenne. Soyez honnête, quelle part de votre popularité devez-vous à votre lutte contre les grandes entreprises comme Apple, Facebook, Google, Siemens et Volkswagen?

Margrethe Vestager : Énormément, c’est clair. Mais ce n’est pas que je les cherche forcément. Nous enquêtons sur les reprises lorsqu’elles nous sont signalées ou lorsque des entreprises s’adressent à nous, comme cela s’est produit récemment lors de discussions sur les cartels dans le secteur automobile. Ce sont généralement les entreprises qui me contactent et non l’inverse.

Vous avez souvent combattu les géants de la Silicon Valley. Il y a quelques semaines, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a fait une tournée de relations publiques en Europe. Il a ensuite dit que le gouvernement devrait réglementer plus strictement les entreprises comme Facebook. Qu’avez-vous pensé en entendant ça ?

Si vous avez deux milliards d’utilisateurs, comme Facebook, vous n’avez pas à attendre que les politiques prennent des mesures contre les atteintes à la vie privée ou les discours haineux. Il peut facilement s’écouler cinq à sept ans entre le début des débats parlementaires et l’adoption d’une législation nationale. Personne n’empêche Facebook de s’attaquer au problème en attendant.

De plus en plus de gens demandent que Facebook soit scindé en différentes entreprises.

C’est une énorme violation du droit à la propriété. Il y a un danger qu’après avoir scindé un si grand groupe de données, vous créiez simplement deux géants. C’est comme si vous coupiez la tête d’une hydre et qu’immédiatement sept nouvelles têtes surgissent.

Facebook est-il trop grand pour être scindé ?

Dès qu’une entreprise dispose de beaucoup de données, elle peut facilement et rapidement se développer. C’est ce que nous appelons l’effet de réseau. C’est cher et difficile d’obtenir vos cents premiers utilisateurs. Proportionnellement, le passage d’un million à cent millions d’utilisateurs est beaucoup plus facile. Je pense qu’il vaudrait mieux se demander qui a accès aux données et pourquoi. Les données peuvent être utilisées pour bloquer le marché libre. Vous pouvez avoir le meilleur algorithme, mais si vous n’avez pas accès à de grands ensembles de données, vous n’irez nulle part.

Vous combattez aussi l’industrie automobile. Vous accusez un certain nombre de constructeurs automobiles allemands de bloquer les technologies écologiques. Quelle est l’ampleur de ce scandale?

En tout cas, il se passe quelque chose de spécial. Il ne s’agit pas d’un cartel de prix traditionnel ou d’une division du marché où l’un reçoit le sud et l’autre le nord. Nous étudions comment les constructeurs automobiles ont collaboré pour freiner l’innovation.

Que voulez-vous dire par là ?

Il n’y a pas de mal à ce que les entreprises travaillent ensemble pour s’entendre sur des normes qui améliorent leurs produits. Ce qui est inacceptable, c’est qu’elles s’entendent pour abaisser la barre. Les consommateurs devraient pouvoir acheter une voiture respectueuse de l’environnement, mais les constructeurs rendent cela impossible. C’est un problème très grave.

Ne désavantagez-vous pas les entreprises européennes sur le marché mondial ? Et ne faciliterez-vous pas la tâche à la Chine pour qu’elle nous dépasse complètement d’ici 30 ans ?

Vous semblez supposer que l’Europe va s’endormir les 30 prochaines années. Nos entreprises sont parmi les meilleures au monde en termes de technologie. Elles peuvent créer des joint-ventures ou lever des fonds. Il y a mille façons de faire des affaires de manière agressive.

Mais tant que les entreprises chinoises seront soutenues par l’argent du gouvernement, cela restera un combat injuste.

C’est vrai. Nous exigeons des entreprises de jouer le jeu loyalement en Europe. C’est pourquoi nous devons leur apporter un soutien accru si elles sont traitées injustement à l’échelle mondiale. L’Europe peut prendre des mesures plus énergiques dans ce domaine. C’est pourquoi pour la première fois nous avons proposé une stratégie européenne pour la Chine. Cela nous permettra d’examiner plus facilement les investissements étrangers et d’exiger que les pays qui veulent avoir accès à notre marché nous donnent également accès à leur marché.

L’Europe est beaucoup plus combative qu’il y a dix ans. Il y a plus d’esprit d’entreprise, il y a plus de start-up et il y a beaucoup de gens intelligents qui veulent créer quelque chose. Sur le plan économique, la crise financière et la crise de l’euro sont derrière nous. Maintenant, il nous reste à faire le switch mentalement. Les entreprises européennes ont suffisamment de possibilités d’exiger leur part du marché au niveau mondial.

La France et l’Allemagne veulent réformer le droit de la concurrence. Est-ce nécessaire ou s’agit-il uniquement de protectionnisme ?

Nous partageons le même objectif : maintenir une industrie européenne et rester à la pointe de l’économie. Mais notre politique industrielle doit être bonne pour tous, pas seulement pour quelques grandes entreprises. Je n’ai rien contre les grandes entreprises, elles sont nécessaires, mais la force de l’Europe réside précisément dans son économie diversifiée.

Le Brexit va-t-il changer fondamentalement l’Europe?

L’axe franco-allemand a besoin du dynamisme d’un troisième acteur. Souvent, il s’agissait des Britanniques. D’autres vont maintenant prendre leur place : les Pays-Bas, la Suède ou mon pays, le Danemark.

Jusqu’à présent, votre tâche était apolitique : vous aviez à vous assurer que les entreprises respectaient les règles. Après les élections européennes de fin mai, vous voulez succéder au président de la Commission Jean-Claude Juncker. Il doit être plus à l’écoute de Bruxelles et des États membres. Vous êtes habitué à ça ?

Je suis déjà membre de la Commission. En outre, le droit de la concurrence a une base politique. Les pères fondateurs de l’UE ont compris que la loi du plus fort prévaudrait sans lui. C’est très politique, même si ce n’est pas dans le sens traditionnel de la politique des partis.

Pour les élections européennes, vous êtes l’un des sept spitzenkandidaten de la fraction libérale alors que vous ne voulez pas devenir membre du Parlement européen. Toutefois, le Parlement a décidé à une large majorité que seul un membre du Parlement devrait diriger la Commission. Alors, vous n’avez aucune chance, non?

Vous me trouverez peut-être naïve, mais je veux d’abord parler de ce que nous allons faire, et ensuite seulement de qui va le faire. Je veux m’assurer que les valeurs libérales fonctionnent.

Mais vous voulez devenir présidente de la Commission, n’est-ce pas ?

Je préfère ne pas répondre à cette question.

Récemment, un sondage a été mené auprès des décideurs politiques et des CEO européens. Vingt pour cent d’entre eux veulent que vous soyez le prochain président de la Commission. Seuls 4% ont choisi le démocrate-chrétien allemand Manfred Weber. Mais comme il est soutenu par le Parti populaire européen (PPE), plus grand, il a de meilleures chances. Cela vous frustre-t-il ?

Attendons de voir. Le plus important en ce moment, c’est que les citoyens votent, parce que la moitié des Européens ne votent pas aux élections européennes.

Votre popularité ne prouve-t-elle pas que les électeurs veulent une Europe plus humaine et qui ait un impact sur leur vie ?

Cela me touche, mais en tant que Commission européenne, nous ne devons pas nous leurrer. Nous ne jouons pas un rôle de premier plan dans la vie quotidienne des gens, et nous ne devrions pas aspirer à le faire. Il n’est pas de notre responsabilité de déneiger ou de veiller au bon fonctionnement des écoles. Nous jouons un rôle différent de celui des bourgmestres ou des chefs de gouvernement.

Est-ce pour cette raison que vous êtes si réticente au concept du spitzkandidat?

Le spitzkandidat ne correspond pas à l’UE. Cela donnerait à l’opinion publique l’idée d’une sorte de président, et cela ne peut que la décevoir. Il existe déjà de nombreux gouvernements en Europe. Mais il n’y a qu’une seule Commission européenne, avec ses propres et précieuses compétences.

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