Devant les sauveteurs en mer, le 13 juin, le président français s'est posé en père de la nation, se mettant ainsi dans les pas de François Mitterrand. © S. Mahe/Reuters

Macron-Philippe : les nouvelles pratiques du couple

Le Vif

Le président français a annoncé un changement de méthode, qui passe par un autre partage des rôles.

C’est une semaine dont la scénographie aurait pu être soufflée par le célèbre communicant Jacques Pilhan, le  » sorcier de l’Elysée « . A Emmanuel Macron, la célébration, joyeuse ou tragique, des  » héros  » ; à Edouard Philippe, l’aridité de deux déclarations de politique générale. Le lundi 10 juin, pendant que le Premier ministre cent fois sur le métier remet ses discours, le chef de l’Etat disserte sur le peintre Gustave Courbet, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance :  » Partout sur notre territoire et partout dans la République, il y a cette part d’absolu à laquelle nous devons tant.  »

Le mardi 11, le président a encore un anniversaire : les 100 ans de l’Organisation internationale du travail, à Genève. Il s’entretient d’abord avec les syndicats et le patronat français, qui lui font passer un message : il faut inventer les règles du dialogue tripartite entre l’Etat, les représentants des salariés et ceux des employeurs. A la tribune, il s’empare  » très naturellement  » du sujet, souligne un participant, admiratif du talent présidentiel à s’approprier les idées des autres. Il n’est pas au bout de son étonnement : défense des acquis sociaux  » qui sont le fruit de tant de combats « , critique de la mondialisation, du capitalisme, du tout-numérique, certes source d’opportunités mais aussi  » de fracturation du travail, […] de désagrégation de la relation salariale « …

La charge d’Emmanuel Macron contre le  » modèle néolibéral et (le) capitalisme d’accumulation  » est telle que le chef de l’Etat éprouve lui-même le besoin de justifier ces propos  » cryptomarxistes « , contradictoires, en apparence seulement, avec ses réformes à domicile, dit-il en substance.

Comment concilier de telles tirades avec le libéralisme, dont il se réclame toujours ? Dans le couple, cette tâche incombe au Premier ministre. Il s’en acquitte le lendemain, devant les députés. Edouard Philippe assume fidèlement les contours du macronisme en se revendiquant d’une lignée de Premiers ministres qui furent tout sauf des collaborateurs. Il veille toutefois à se référer 26 fois à Emmanuel Macron.

Le jeudi 13 au matin, Edouard Philippe enchaîne avec les sénateurs quand Emmanuel Macron enfile le costume de père de la nation aux Sables-d’Olonne.  » La nation pleure trois de ses enfants morts en marins, en héros, en héros français.  » Celui qui veut  » replacer l’humain au centre  » de son projet lance aux sauveteurs en mer :  » Je vous connais depuis tant d’années.  » Le dernier à avoir effectué pareille visite s’appelle François Mitterrand, venu sans prévenir, en 1986, à la suite d’un naufrage qui avait tué cinq marins. Il n’y a pas de hasard : la France vivait alors sa première cohabitation, incarner le président thaumaturge est un moyen de se draper dans la dignité régalienne de chef d’Etat.

Le 25 avril, le président français, après avoir observé qu’il était  » le point de mire en même temps que la clef de voûte « , avait annoncé un changement de méthode. Nous y voilà.

Par Corinne Lhaïk et Éric Mandonnet.

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