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Leur vie est un feuilleton : Brigitte Bardot, l’âme blessée

Le Vif

Les coups de gueule de la célébrissime amie des bêtes suscitent chaque fois le tollé. Comme, jadis, ses apparitions de star provoquaient l’hystérie. Toute son existence, B. B. a cultivé sa foi en une liberté qui ne peut s’exprimer que dans la transgression. Le Vif/L’Express l’a rencontrée au sein de sa fondation parisienne puis dans son refuge tropézien.

ÉPISODE 1

Où l’on soupçonne que derrière les colères, les coups de gueules et les insultes se cache la détresse d’une femme qui a voulu donner sens à sa vie et n’a pas trouvé la paix

A 84 ans, elle a toujours cet air mutin et faussement innocent qu’arborent les petites filles quand elles ont fait une bêtise dont au fond elles sont assez satisfaites. Au printemps dernier, Bardot a encore dégainé une énormité. Scandalisée par la  » barbarie  » des traitements infligés aux animaux par certains à La Réunion, elle a écrit au préfet pour dénoncer les chiens  » faméliques « , les chats errants  » euthanasiés « , les  » fêtes indiennes avec décapitations de chèvres et de boucs en offrandes à leurs dieux « , et lui rappeler que la cruauté envers nos amies les bêtes est un délit. Mais elle a dérapé, qualifiant les Réunionnais de  » population dégénérée  » :  » Les autochtones ont gardé leurs gènes de sauvages. Tout ça a des réminiscences de cannibalisme des siècles passés.  »

Elle avoue n’avoir jamais compris sa répulsion à l’idée de la maternité.

Tollé. Le préfet, le président de région, celui de l’Association des maires du département et SOS Racisme portent plainte. Le délégué local de la Fondation Brigitte Bardot, aux manettes depuis vingt-cinq ans, remet sa démission. Et les réseaux sociaux traitent la star de  » vieille folle « . Ce 22 mars 2019, à Paris, au siège de sa fondation éponyme, B. B. joue les imperturbables.  » Ah non, je ne vais pas m’excuser ! Il y a vingt-quatre ans que je me bats pour que cette île du diable change ses façons de traiter les animaux. Pour qu’on arrête de leur faire du mal, j’ai rencontré tous les ministres des Domaines et Territoires français d’Outre-mer. J’ai reçu des centaines de courriers me suppliant d’agir. L’autre jour, une femme m’a envoyé une lettre détaillant ce qu’elle avait vu là-bas : huit pages d’horreurs. A ce moment-là, la révolte sourde qui couvait en moi a explosé et j’ai commis cette lettre.  »

Une enfance sous la férule de parents intransigeants.
Une enfance sous la férule de parents intransigeants.© photos : Alex QUINIO/getty images

Elle a déjà été condamnée cinq fois, entre 1997 et 2008, pour incitation à la haine raciale. Le 24 mars, sous la pression des responsables de sa fondation, elle rédige des excuses publiques, tout en râlant dans son communiqué :  » On sanctionne violemment mes mots et non les actes qui les ont provoqués.  » Mais elle se repent d’avoir  » blessé ceux qui ne blessent pas les animaux « . Vite, elle se reprend.  » Si on n’est pas vindicatif à la limite de l’insolence, on n’est pas écouté !  » Et ça vaut pour toute son existence, cette foi en une liberté qui ne peut s’exprimer que dans la transgression. Voilà la jeune B. B. ressuscitée, la star qui aimait tant choquer le bourgeois, l’impulsivité pour moteur, le désir pour horizon, l’incapacité d’obéir aux convenances, la rigolade face aux diktats et la ruée vers les gros mots.

Le cou ceint d’un ruban de velours, une fleur corail dans ses cheveux relevés en chignon, pantalon et pull noirs, elle a soudain un regard terriblement triste, comme si elle était à jamais incomprise, comme si elle ne savait plus quoi faire de sa colère, de son sens de la repartie et de cette soif d’amour qu’elle dit n’étancher qu’auprès des animaux.  » J’ai obtenu quoi ? Les esprits ont changé, oui. Mais ce ne sont pas les gouvernements qui ont changé les esprits.  » Elle a reçu une invitation d’Emmanuel Macron au printemps 2018. Elle est allée le voir à l’Elysée, le 23 juillet suivant.  » Vous allez m’engueuler ? « , s’inquiète-t-il en l’accueillant.  » Son chien, le labrador Nemo, a posé la tête sur mes genoux et il l’y a laissée tout le temps de l’entretien. J’aurais bien aimé que Macron fasse pareil !  » Bon, l’épouse du président a fini par arriver.  » C’était le jour de la Sainte- Brigitte. Je lui avais apporté un petit cadeau, une robe en soie qu’on met au sortir de la piscine « , dit-elle de sa voix légèrement traînante. A Macron, elle a tout expliqué, en particulier la nécessité de baisser la TVA sur les soins vétérinaires, son hostilité à l’hippophagie et son combat contre l’abattage rituel des animaux sans étourdissement.  » On devait se revoir en décembre, pour qu’il m’annonce ce qu’il avait pu faire pour moi. Mais dès que j’ai eu le dos tourné, il a fait des cadeaux aux chasseurs, le permis à moitié prix, etc. Et je n’ai pas eu de rendez-vous, rien du tout. Je n’ai plus le temps d’attendre. Je suis vieille, maintenant. C’est pour ça que j’ai été aussi insolente dans cette lettre. Je ne veux pas mourir sans avoir obtenu quelque chose.  »

Une enfance sous la férule de parents intransigeants.
Une enfance sous la férule de parents intransigeants.© photos : Alex QUINIO/getty images

ÉPISODE 2

Où, pour la comprendre, on accompagne la protectrice de tous les animaux dans l’Arche de Noé qu’elle a construite

A Saint-Tropez, dans sa propriété de La Garrigue – à trois kilomètres de La Madrague, où B. B. dort -, tout n’est que calme et douceur. Comme à l’issue de notre entretien parisien, elle nous serre dans les bras à notre arrivée et nous enjoint de visiter  » la maison de Blanche-Neige « , dont elle a dessiné les plans en 1978. La maison est minuscule, si basse qu’elle se noie dans les arbres. Cinq ou six chats se prélassent sur le lit. Les chiens se baladent dans la cuisine comme chez eux. Dehors, sur trois hectares à l’abri des regards, des chevaux, des ânes, des poules, des oies, toute une arche de Noé. C’est dans cet éden animalier que Bardot vient à midi, chaque jour, comme au bureau, voir ses bêtes et travailler. Surtout aux beaux jours, quand La Madrague devient  » invivable  » et que les fans affluent à pied, en bateau ou à la nage.  » Un soir, j’ai trouvé un homme en maillot de bain allongé sur mon canapé. Il se tapait un whisky !  » L’été, pas question de s’éterniser sur la terrasse.  » Les plaisanciers jettent l’ancre devant chez moi. Les touristes admirent La Madrague comme si c’était la tour Eiffel.  » Dix-sept fois par jour, les embarcations font escale à quelques mètres. Et Brigitte entend alors le récit de sa propre vie déversé par les haut-parleurs.

Elle aurait pu se contenter d’être ce mythe dont ils parlent. Se vautrer dans la jouissance d’incarner un fantasme éternel. Se rengorger au souvenir d’être passée pour une icône féministe aux yeux des filles des années 1960, sous l’oeil attendri de Sagan et Beauvoir. Mais  » ce sont les autres qui ont dit tout ça. Pas moi ! La célébrité m’a permis de sauver des animaux.  » Elle essaie d’admettre qu’elle a eu une vie  » exceptionnelle, riche en voyages « , alors qu’elle pleurait souvent à l’idée de quitter son amoureux du moment pour des tournages qui la  » barbaient « .  » J’ai rencontré plein de gens extraordinaires qui m’ont cassé les pieds.  » Au début, c’était  » charmant « ,  » formidable « . Mais très vite, elle s’est retrouvée prisonnière de son image, de son corps, des obligations mondaines, des paparazzis.  » Encore maintenant. Je ne peux pas aller m’acheter une paire de chaussures sans que les gens s’agglutinent derrière la vitrine. Ça me fait chier.  » Elle ne sort plus. Elle se cloître au couvent des animaux.

La foule, a-t-elle écrit,  » je la hais, je la fuis, et elle me fait peur « . Un jour, elle rend visite à une amie hospitalisée. Dans l’ascenseur, une soignante portant un plateau lui hurle au visage :  » Vous nous prenez tous nos hommes, ça ne vous suffit jamais ? Vous êtes une salope ! Je vais vous crever les yeux !  » Et elle lui plante une fourchette dans le bras avec lequel l’actrice se protège le visage.  » Maintenant, sourit B. B., toutes ces femmes qui m’ont haïe sont les plus extraordinaires soutiens de la condition animale.  »

Assise bien droite, elle lâche presque avec indifférence :  » J’ai toujours été seule ou avec des hommes qui ne m’aimaient pas pour ce que j’étais ; ils ne voyaient que la star.  » Enfant, elle collectionnait les peluches et courait dans la cave sauver les souris pourchassées par son père. Aujourd’hui, elle assure que seuls les animaux l’aiment inconditionnellement. Et c’est réciproque. A La Garrigue, on ne rencontre que des rescapés. Tous lui doivent la vie. Et quand ils mourront, on les enterrera ici, avec une croix blanche, comme toutes celles qui hérissent le terrain. Elle aussi sera enterrée ici, avec eux.  » Je suis des leurs. J’aime la nature, pas le bruit. J’aime les choses simples. Je ne demande rien que de la tendresse, de la gentillesse, de la compréhension.  »

En 1965, avec son père Louis Bardot, un industriel.
En 1965, avec son père Louis Bardot, un industriel.© belgaimage

ÉPISODE 3

Où l’on apprend que son père lui a infligé une fessée publique à 16 ans et demi et qu’elle est aussi dépendante de l’homme de sa vie qu’un bon chien de son maître

Après avoir embrassé Vadim pour la première fois, à 15 ans, un jour où elle avait séché le lycée, Brigitte demande :  » Est-ce que je suis une vraie femme ?  » Le jeune assistant de cinéma répond :  » A 25 %.  » La seconde fois, c’est  » 55 % « . La troisième fois, quand elle repose la question, il annonce :  » 100 % !  » Elle file, nue, à la fenêtre crier aux passants :  » Je suis une vraie femme !  » Tout Bardot est déjà là : la joie de vivre, l’hédonisme, la provocation, la spontanéité. Cinquante ans plus tard, dans ses Mémoires, le cinéaste raconte que l’apparente décontraction de B. B. cache des peurs, des angoisses, un  » don pour le malheur qui faillit souvent la conduire au bord de la tragédie « , elle qui, en pleine gloire, multipliait les tentatives de suicide.

Son ami, Alain Bougrain-Dubourg, la filme avec ses chiens, à la fin des années 1970.
Son ami, Alain Bougrain-Dubourg, la filme avec ses chiens, à la fin des années 1970.© m. simon/paris match/scoop

De son passé sous les projecteurs elle parle comme d’une coquille vide.  » J’étais en proie à des interrogations terrifiantes et mystiques, et tout ça se traduisait par une superficialité sans intérêt qui me laissait détruite.  » Elle court après la passion, se cherche en vain dans le regard de ses amants, sommés de la rassurer.  » J’avais toujours peur de ne pas être à la hauteur. Et je me pensais moche.  » Vadim affirmait que son ex-femme, à 50 ans, n’avait  » jamais accompli la transition avec le monde adulte « . Bernard d’Ormale, mari de Brigitte depuis vingt-six ans, renchérit :  » C’est une petite fille.  » Elle ne dit pas autre chose.  » Je suis indépendante comme les animaux, mais j’ai toujours été dépendante de l’homme avec lequel je vivais. Je suis un chien, j’ai besoin d’appartenir.  »

Elle ne s’est jamais remise de la répudiation infligée par ses parents quand elle avait 7 ans. En jouant à cache-cache avec Mijanou, sa soeur de 4 ans, elles ont cassé une précieuse potiche chinoise. Le soir, le père leur administre à chacune vingt coups de cravache. Et la mère prévient :  » A partir de maintenant, vous n’êtes plus nos filles, vous êtes des étrangères et, comme les étrangers, vous nous direz « vous ». Vous n’êtes pas ici chez vous, mais chez nous !  » Avec ses premiers cachets, elle s’achètera une maison, puis une autre. Un chez-soi, enfin.  » A compter de ce jour, j’ai été en perpétuel conflit avec mes parents « , raconte Brigitte. Industriel, son père possède les usines Bardot, qui produisent notamment de l’air liquide. Sa mère, maniaque et raide, orchestre dans le XVIe arrondissement parisien un grand appartement sombre, dont elle clôt perpétuellement rideaux et volets de peur des microbes. L’un et l’autre ne plaisantent pas avec les principes. Une morale de  » diplodocus « , gémit Brigitte, quand elle tombe amoureuse de Roger Vadim. L’une des amies de sa mère l’avait convaincue de laisser la petite poser pour Elle, en tant que  » jeune fille du monde « . Vadim remarque cette jolie brune au corps parfait, en parle au metteur en scène Marc Allégret, qui veut lui faire faire un bout d’essai. Drame chez les Bardot, où l’on n’accorde la permission de minuit à Brigitte qu’une fois par mois. Le cinéma, c’est pour les  » filles de mauvaise vie « . Les parents posent des conditions draconiennes.

Brigitte n’a pas spécialement envie de faire du cinéma. A cet âge adolescent, elle rêve encore d’être danseuse étoile. Elle a décroché un premier accessit au Conservatoire. Mais elle est folle de ce jeune homme qui ne ressemble pas à son milieu. Vadim l’oxygène. Il a de l’humour et se fiche des conventions. Elle abandonne la danse et choisit le cinéma pour rester dans son orbite. Trop soif d’affection. Les amis de Vadim aiment bien la petite. Elle rencontre Colette, Cocteau, Gréco. Tous ces gens ne savent pas que, pour être revenue d’un bal trente minutes après minuit, heure prescrite, elle a reçu sa dernière fessée paternelle à 16 ans et demi, jupe relevée, sous les yeux effarés de l’étudiant de bonne famille qui lui avait servi, ce soir-là, de cavalier autorisé. Un an plus tard, Louis Bardot sort son revolver pour menacer Vadim :  » Si vous touchez à ma fille, je vous tue.  » Les tourtereaux couchent ensemble depuis deux ans.

Brigitte a définitivement la certitude d’être le vilain petit canard de la famille. Sa soeur Mijanou, la préférée, est tellement mieux.  » Elle était beaucoup plus jolie que moi, affirme B. B. encore aujourd’hui. J’avais un appareil dentaire, des lunettes et 1/10 seulement à un oeil.  » En outre, à l’Institut de la Tour, l’établissement catholique où les filles sont inscrites, sa docile cadette travaille très bien.  » Moi, je faisais partie de ce qu’on appelait en classe « le trio des gourdes » « .

Devenue riche grâce au cinéma, elle s'offre La Madrague, une maison de pêcheurs à Saint-Tropez.
Devenue riche grâce au cinéma, elle s’offre La Madrague, une maison de pêcheurs à Saint-Tropez.© g. dudognon/adoc-photos

ÉPISODE 4

Où l’on voit défiler les maris, les amants et le refus de vivre dans un pays  » nazi  » d’une femme si maternelle et pourtant si longtemps mauvaise mère

En insistant pour offrir une part de tarte aux poireaux, elle qui ne mange rien, Bardot prétend que sa seule ambition, en acceptant ses premiers rôles, était de s’acheter  » une ferme dans laquelle on ne tuerait pas les animaux « . Devenue célèbre avant d’être connue, elle fait pourtant du cinéma sans conviction.  » Je n’ai jamais été actrice dans l’âme.  » Toujours cette peur d’être nulle. Et le métier l’ennuie. Elle se fait désirer, laisse poireauter les journalistes, se fait pardonner par son sens de la formule.  » Quelle personnalité admirez-vous le plus ? « , lui demandent les Anglais.  » Sir Isaac Newton.  » Pourquoi ?  » Il a découvert que les corps pouvaient s’attirer.  » Elle se teint en blond, laisse courir ses cheveux ou les ramasse en choucroute, et s’invente un style, ballerines, vichy, bikini et tops moulants. L’incroyable cohue qu’elle provoque partout où elle passe l’amuse cinq minutes puis l’épouvante sans jamais vraiment panser son ego trop gourmand d’ex-petite fille blessée. Mais elle devient riche. Son mari affirme qu’elle a été une année exemptée d’impôts par Giscard parce qu’elle avait rapporté à la France plus que la Régie Renault. Elle s’offre La Madrague, minuscule maison de pêcheurs à Saint-Tropez, puis une seconde demeure à Bazoches, près de Paris. Là, elle recueille Nénette, son premier mouton, et l’âne Cornichon, sauvés de l’abattoir. Elle enchaîne les films et les amours. Vadim, Trintignant, Bécaud, Sacha Distel, Sami Frey, Bob Zagury et bien d’autres, y compris des inconnus. Brigitte n’est pas snob. Sa mère, elle, tord le nez.  » Elle me reprochait de collectionner des mochetés, des commis pâtissiers.  »

En 1952, âgée de 18 ans, la
En 1952, âgée de 18 ans, la  » petite  » épouse le cinéaste Roger Vadim.© reporters

De ses quatre mariages, seul celui avec Gunter Sachs ravit la mère. Trois ans, guère plus. Le milliardaire menace Brigitte de divorcer si son amant, Serge Gainsbourg, diffuse la chanson qu’il lui a écrite, Je t’aime moi non plus. Elle s’incline. Ils divorcent tout de même. L’union avec Jacques Charrier, elle, se termine sur une catastrophe. B. B. est enceinte. Elle ne veut pas être mère. La pilule n’existe pas. A 24 ans, elle a déjà subi deux avortements. Cette fois, elle ne trouve personne pour l’aider. Elle est une célébrité planétaire, c’est risqué pour un médecin, d’autant que Charrier s’y oppose. Pour échapper aux paparazzis, ses proches organisent l’accouchement à la maison. Nicolas naît avenue Paul-Doumer, près du Trocadéro, dans un appartement en état de siège, cerné de téléobjectifs braqués depuis les chambres de bonne louées par les médias. Sa mère vit sa naissance comme un  » cauchemar « . Elle rejette le bébé quand on le lui met sur le ventre :  » Je m’en fous, je ne veux plus le voir.  » Inconséquente, impatiente, c’est elle qui a le sentiment, dès les premiers mois, que son enfant ne l’aime pas. Elle est perdue, à la dérive. Quarante ans plus tard, elle remue le couteau dans les plaies en lâchant dans ses Mémoires, Initiales B. B. (Grasset) :  » C’était un peu comme une tumeur qui s’était nourrie de moi, n’attendant que le moment béni où l’on m’en débarrasserait enfin. […] Il fallait que j’assume à vie l’objet de mon malheur.  » Dans une interview, elle en rajoute :  » J’aurais préféré accoucher d’un petit chien.  » Furieux du déballage, Jacques Charrier et son fils, qui a été élevé par son père, portent plainte. L’ex-actrice est condamnée.

 » Elle est très maternelle « , assure pourtant Christophe Marie, venu tout jeune proposer ses services à la Fondation Brigitte Bardot, dont il est maintenant le porte-parole. Pour son anniversaire, à ses débuts, elle lui a offert sa première voiture,  » une surprise « . Elle avait un jour fait pareil avec sa doublure de cinéma, en apprenant qu’elle s’épuisait dans les transports en commun. En 1964, émue sans la connaître par le sort de Joséphine Baker, expulsée de son château des Milandes avec ses onze enfants adoptifs, B. B. signe un gros chèque et se fait inviter à la télévision pour lancer un appel aux Français. Elle avoue n’avoir jamais compris sa répulsion à l’idée de la maternité. Encore faut-il avoir envie de grandir, pour changer de rôle. Léger mouvement de menton :  » J’aurais moi-même eu besoin d’une maman, d’un mentor, de quelqu’un sur qui m’appuyer.  »

Mais son éducation lui a forgé un caractère. A 21 ans, elle refuse un film de la Warner en apprenant l’exécution d’Ethel et Julius Rosenberg, communistes accusés d’espionnage par le gouvernement américain. En 1961, vers la fin de la guerre d’Algérie, l’OAS lui dépêche une lettre comminatoire, exigeant qu’elle lui verse un  » impôt  » de 50 000 francs français. Post-scriptum :  » L’inexécution de cet ordre amène l’entrée en action des Sections spéciales de l’OAS.  » En clair, une menace d’attentat.  » J’ai été la première à porter plainte « , croit savoir l’actrice, qui expédie Nicolas en Suisse et envoie la lettre de l’OAS à L’Express. L’hebdomadaire, qui milite pour l’indépendance de l’Algérie, la publie, ainsi qu’une missive de B. B. :  » Les auteurs et inspirateurs de ce genre de lettres seront rapidement mis hors de nuire s’ils se heurtent partout à un refus net et public. […] Moi, je ne marche pas, parce que je n’ai pas envie de vivre dans un pays nazi.  » Elle avoue aujourd’hui :  » J’ai été terrorisée pendant des semaines.  »

En 1976, trois ans après ses adieux au 7e art, B. B. part en guerre contre le massacre des bébés phoques.
En 1976, trois ans après ses adieux au 7e art, B. B. part en guerre contre le massacre des bébés phoques.© Getty images

ÉPISODE 5

Où l’on découvre qu’elle échappe à l’amour obsessionnel du public pour une autre qu’elle-même, en remplissant sa Rolls de chats et de chiens abandonnés à la SPA

Pour le numéro 1, en 1959, de Cinq Colonnes à la une, la première grande émission de reportages de l’histoire de la télé française, Pierre Lazareff et Pierre Desgraupes l’invitent. L’air grave, un bandeau dans les cheveux, l’actrice explique d’un ton modeste qu’elle est venue dénoncer  » cette horreur « , les méthodes d’abattage des veaux, des moutons et des chèvres  » qui n’ont pas changé depuis le Moyen-Age « . On les égorge,  » le sang s’écoule entraînant la mort, pendant trois, quatre ou cinq minutes « . Aux  » tueurs  » des abattoirs que lui présente Desgraupes sur le plateau, elle suggère d’utiliser un pistolet  » étourdisseur  » pour éviter aux bêtes de souffrir. L’abattage sans étourdissement est interdit cinq ans plus tard. Une dérogation est accordée pour raisons religieuses.

La naissance de Nicolas, qu'elle a eu avec Jacques Charrier, est vécue comme un
La naissance de Nicolas, qu’elle a eu avec Jacques Charrier, est vécue comme un  » cauchemar  » par l’actrice.© reporters

Bardot est reprise dans le tourbillon de la célébrité. Sculptée par Aslan en 1968, la voilà en Marianne posée sur les cheminées des mairies. Mais quoi ? Marre de passer pour  » une ravissante idiote « , titre du film d’Edouard Molinaro, sorti en 1963. Marre de se faire traiter de  » putain  » dans la rue et d’incarner le vice aux yeux de l’Eglise, qui a affiché sa photo à cet effet à l’Expo universelle de Bruxelles. Marre de s’ennuyer sur les tournages. D’être adulée pour de mauvaises raisons.  » Je prenais des boîtes entières de somnifères. Cette existence telle que je la vivais n’était pas ce que je voulais.  » Un jour, elle passe à la SPA, cale une douzaine de chiens et de chats dans sa Rolls et fait le tour des studios :  » J’arrête les tournages si vous ne recueillez pas l’un de ces animaux !  »

En 1973, elle accepte le rôle que lui offre Nina Companeez dans Colinot trousse-chemise. Une chèvre figure dans le film. En coulisse, la dame qui l’a amenée chuchote à Brigitte :  » Dépêchez-vous, je fais un méchoui dimanche pour la communion de ma petite-fille.  » C’est le déclic. Dans sa loge, la tête d’affiche se regarde dans le miroir et se trouve risible dans son accoutrement moyenâgeux.  » Entre la vie de la chèvre et la connerie de ce que je fais, il n’y a pas à choisir, songe-t-elle. Je sauve la chèvre et j’abandonne le cinéma.  » Elle l’annonce sur-le-champ à une journaliste qui passait par là, ramène la chèvre dans son hôtel 4 étoiles, et la fait dormir sur son lit avec sa petite chienne. Coup de pub, dit-on. Ou de blues. Elle a un tournage prévu avec Marlon Brando. Mais Brigitte Bardot prend sa retraite à 38 ans. Elle veut donner un sens à sa vie. Et pour elle, rien ne vaut la défense des animaux. Eux seuls lui procurent le sentiment d’être une bonne personne.

Reçue à l'Elysée, en juillet 2018, elle plaide la cause animale auprès des époux Macron.
Reçue à l’Elysée, en juillet 2018, elle plaide la cause animale auprès des époux Macron.© photo news

Elle fait le vide autour d’elle, flotte. Plus que jamais, la solitude lui est alors insupportable,  » même cinq minutes « , précise François Bagnaud qui, fan depuis ses 13 ans, a publié en avril dernier un recueil des répliques de son amie, Du tac au tac ! (The Book Edition). L’ex-star s’initie à son nouveau métier auprès de la SPA. En 1976, elle part en guerre contre le massacre des bébés phoques et s’envole sur la banquise avec l’écologiste suisse Franz Weber. Elle crée son association de défense des animaux, qu’elle transforme en fondation sur les conseils de Charles Pasqua, alors ministre français de l’Intérieur. Elle vend tous ses biens mobiliers, les bijoux offerts par Gunter, sa première guitare, ses robes de mariée. Et elle donne ses maisons à sa fondation.  » Pour La Madrague, j’ai demandé la permission à Nicolas. Il héritera de La Garrigue.  » Ils ne sont plus fâchés, elle revoit une fois l’an son fils, qui vit à Oslo, mais vient l’été à Saint-Tropez. Ses petites-filles ne parlent pas français.

Cette fois, B. B. a trouvé sa voie. Créée en 1988, reconnue d’utilité publique en 1992, la fondation Brigitte Bardot revendique maintenant environ cent salariés, 500 bénévoles, fait tourner trois refuges dont son ancienne maison de campagne, met en pension une quantité d’animaux dans des familles d’accueil, et soutient une multitude d’actions et d’associations en France et à l’étranger. Une vraie force de frappe, alimentée au fil des ans par 75 000 donateurs, surtout des legs. Un chiffre d’affaires  » autour de 15 millions d’euros « , d’après son porte-parole. Laurence Parisot, ancienne patronne du Medef, et Sylvie Rocard, la veuve de Michel, sont au conseil d’administration.

En février dernier, elle débarque, sans être invitée, dans une réunion des gilets jaunes à Fréjus.
En février dernier, elle débarque, sans être invitée, dans une réunion des gilets jaunes à Fréjus.© p. panchout/photopqr/nice matin

Bardot n’a jamais cessé de batailler avec une  » volonté de fer « , selon son expression, ponctuant ses colères de  » merde « , de  » j’en ai plein l’cul « , de menaces de quitter la France si celle-ci ne l’entend pas.  » Au lieu de se réjouir de ses victoires, elle ne voit que ce qui n’avance pas, observe un proche, on dirait que c’est son moteur.  » Sa vindicte, B. B. l’a aussi beaucoup dirigée contre elle-même. Dans ses Mémoires qu’elle a mis vingt ans à rédiger de sa propre main au feutre bleu – interdit à l’éditeur d’y toucher un mot ! -, elle se couvre d’épithètes peu flatteuses. Se jugeant tantôt  » grotesque « , tantôt  » paresseuse « , elle écrit :  » C’est fou ce que j’ai pu être conne dans ma vie !  »

Elle veut sauver les animaux, mais c’est elle qu’elle cherche à sauver en invectivant la terre entière. Quand ses hanches lui permettaient encore de marcher sans cannes anglaises, elle montait au petit sanctuaire qu’elle a fait construire à La Garrigue, en haut de son terrain. Là, devant les centaines d’images pieuses entourant la statue de cette Vierge qu’elle adule, on l’entendait parfois houspiller Marie et la supplier de mettre les bouchées doubles. Mais c’est Brigitte que ses adeptes ne sont pas loin de prendre pour une sainte, en gravant de gros  » mercis  » sur le tronc de l’eucalyptus, devant le portail de La Madrague. Brigitte qui sait prendre son téléphone pour s’inquiéter de ceux qui lui demandent de l’aide. Brigitte qui, sans être invitée, débarque avec ses béquilles dans une réunion des gilets jaunes à Fréjus. Brigitte qui nous met dehors :  » Allez voir mes animaux !  »

Comme si nous devions vérifier de visu que, après avoir si souvent menacé de mourir, elle avait eu raison de rester en vie.

Par Jacqueline Rémy.

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