Berlin, à l'heure de pointe

Les élus allemands risquent-ils d’aller en prison pour la pollution des villes?

Le Vif

Les juges allemands peuvent-ils envoyer des élus en prison pour les contraindre à assainir l’air des villes ? La justice européenne examinera mardi cette question inédite, dans un contexte électrique dans le pays autour du diesel.

Saisie par la Cour administrative de Munich, la Cour européenne de justice (CJUE) doit évaluer si des responsables de l’Etat régional de Bavière « peuvent ou doivent » être incarcérés s’ils persistent à refuser de bannir des villes les voitures les plus polluantes comme le leur demande la justice.

Dans leur « question préjudicielle », les juges allemands déplorent un « mépris ciblé de décisions de justice par le pouvoir exécutif » bavarois.

Cette affaire est « assez spectaculaire », indique à l’AFP Philipp Reimer, professeur de droit public à l’université de Bonn, pour qui il « n’existe pas de précédent en Allemagne ».

Même si la CJUE répondait positivement, son arrêt n’entraînerait pas automatiquement une mesure de « contrainte judiciaire »: la justice allemande devra reprendre le dossier. Mais l’avis des magistrats de Luxembourg sera très observé en Allemagne, où les interdictions des voitures diesel suscitent la controverse bien au-delà du cas de Munich.

ONG environnementale

Le dossier remonte à une requête déposée en 2012 par une ONG environnementale allemande, Deutsche Umwelthilfe (DUH). Bête noire de l’industrie automobile, celle-ci s’est déjà fait un nom en étant à l’origine des premières interdictions de voiture diesel vieux modèles dans quelques centre-villes.

« Nous demandons le respect des limites pour la pollution de l’air », affirme à l’AFP Jürgen Resch, directeur de la DUH.

Dans un jugement devenu exécutoire en 2014, la justice bavaroise demandait au gouvernement régional de Bavière un plan de préservation de la qualité de l’air à Munich, une des villes les plus polluées d’Allemagne où les seuils de gaz nocifs dépassent largement les limites européennes.

Mais le gouvernement bavarois « a déclaré à la justice et publiquement (…) qu’il n’appliquera pas les mesures demandées », constate la Cour dans une décision fin 2018.

Les magistrats « ne sont pas contents », souligne M. Reimer.

Le gouvernement local très conservateur, allié au parti démocrate-chrétien d’Angela Merkel, s’est certes acquitté d’une amende de 4.000 euros pour manquement à ses obligations. Mais cette peine est jugée « inefficace » par la justice. « Des interdictions de circulation sont la mauvaise solution », assure à l’AFP un porte-parole du ministère bavarois de l’Environnement: hors de question pour le Land de bannir les diesels, technologie fétiche de la branche auto allemande, de la ville où trône l’imposant siège de BMW. »La qualité de l’air en Bavière s’améliore » donc « les mesures prises jusqu’à main tenant fonctionnent », fait valoir le ministère.

A l’image de la stratégie nationale, Munich mise notamment sur « le renouvellement du parc automobile » et des subvention pour les transports verts.

Scandale du diesel

Au final, il est improbable qu’un responsable politique aille effectivement en prison, pense M. Resch: la menace d’une « contrainte personnelle » devrait suffire pour faire appliquer les décisions.

En donnant plus d’options de contrainte à la justice, la Cour européenne ferait toutefois « bouger la dynamique de la séparation des pouvoirs », relève M. Reimer.

Les interdictions de diesel commencent en Allemagne à devenir réalité, conséquence du scandale déclenché par le constructeur Volkswagen, qui a précipité le déclin de cette technologie en installant sur des millions de voitures des logiciels capables de truquer le niveau des émissions.

Elles sont déjà en vigueur à Stuttgart et dans certaines rues très fréquentées de Hambourg. A Berlin le couperet va tomber à l’automne sur certaines avenues.

En Europe, les restrictions dans des villes imposées au nom de la qualité de l’air, dont celles visant les vieux diesels, concernent plus de 60 millions d’automobilistes selon le cabinet Berylls.

Mais le pays est très divisé sur le sujet, d’autant plus que la branche auto fournit des dizaines de milliers d’emplois.

Face à la fronde des automobilistes, le gouvernement fédéral s’est d’ailleurs efforcé de limiter ces restrictions, s’attirant les foudres des défenseurs de l’environnement.

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