Au terme du deuxième round de négociations, Michel Barnier brandissait l'argument économique. © ISOPIX

Les dessous du blocage des négociations post-Brexit

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Faute de perspectives d’accord avec Londres sur la relation post-Brexit, le doute s’insinue côté européen : comment s’entendre avec un partenaire qui pratique par tactique la guerre des nerfs et s’arc-boute sur sa chimère souverainiste ?

C’est le blocage complet. Sur tous les points fondamentaux : harmonisation réglementaire, coopération judiciaire et pénale, reconnaissance du rôle de la Cour européenne de justice, adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme, pêche… Les négociations sur la relation post-Brexit de l’Union européenne avec le Royaume-Uni, suspendues pendant plusieurs semaines pour cause de pandémie, ont repris fin avril par visioconférences, mais aucun progrès n’est sorti de ces entretiens virtuels.  » Londres campe sur ses positions populo-nationalistes, ne répond pas aux demandes européennes et remet même en cause des points contenus dans l’accord de retrait, glisse un diplomate européen. Les Vingt-Sept ne sont pas pour autant disposés à signer un chèque en blanc, à conclure un accord dépourvu de mesures de sauvegarde.  »

Deux autres rounds de négociations sont prévus d’ici au 30 juin – du 11 au 15 mai et du 1er au 8 juin -, mais l’impasse actuelle augure mal de la suite des discussions. D’autant que la crise sanitaire et ses conséquences socio- économiques sont désormais les priorités absolues des gouvernants des deux côtés de la Manche, tandis que le Brexit, lui, a largement disparu des radars politiques et médiatiques. Déjà ultraserré, le calendrier des négociations de la future relation euro-britannique est devenu intenable. Compte tenu de la procédure de ratification du traité par les parlements nationaux et par certains parlements régionaux, il reste grosso modo sept mois pour sceller un accord global post-Brexit, alors qu’il a fallu sept ans de négociations pour boucler l’accord Ceta de libre-échange avec le Canada. La période de transition – durant laquelle le Royaume-Uni continue d’appliquer les règles européennes – peut certes être prolongée d’un à deux ans au-delà de la date butoir du 31 décembre 2020, mais la décision doit être prise début juin au plus tard. Or, Boris Johnson exclut toute extension. Une loi a même été adoptée par les députés britanniques pour interdire au gouvernement d’accepter un tel prolongement.

Un no deal indolore ?

Le spectre d’une sortie brutale du Royaume-Uni à la fin de cette année prend dès lors de plus en plus de consistance. La peur des effets économiques conjugués de la crise sanitaire et d’un  » Brexit dur  » pourrait-elle tout de même faire bouger les lignes ? Pas sûr. Guidés par leur boussole souverainiste, des membres de l’entourage de Boris Johnson semblent ne pas craindre une sortie sèche de l’Union. Selon eux, un no deal sera pratiquement indolore, puisque le coronavirus a déjà provoqué ce que le hard Brexit devait entraîner : un ralentissement des échanges commerciaux avec l’Union et une crise économique de grande ampleur.

Les Européens ne sont pas disposés à signer un chèque en blanc.

Au Royaume-Uni, pays européen le plus touché par le Covid-19 après l’Italie, des milliers d’entreprises ont fait faillite en quelques semaines à cause du lockdown et le chômage flambe. Le produit intérieur brut pourrait chuter de 25 % au deuxième trimestre et un responsable de la Banque d’Angleterre a prévenu que le pays aurait à affronter la  » pire récession depuis plusieurs siècles « . On comprend que ces sombres perspectives aient conduit Michel Barnier a brandir l’argument économique : au terme du deuxième round de négociations, le négociateur en chef de l’Union a laissé entendre qu’une sortie sans accord ajoutée à la crise actuelle causerait un  » choc  » social et économique dévastateur. Remarque d’un haut fonctionnaire européen en contact avec la task force Brexit de l’Union :  » En cas de no deal, l’économie européenne sera touchée, mais les Britanniques souffriront beaucoup plus. Leur obsession de se libérer de ce qu’ils appellent le « carcan » européen et de retrouver leur « indépendance » les empêche de négocier leur départ avec pragmatisme.  » A de tels arguments, Londres réplique que l’Union tarde à comprendre que le fondement même du Brexit est le retour du Royaume-Uni à la pleine souveraineté. Et qu’il est donc exclu que le pays reste soumis aux normes et standards européens.

Le « conte de fées » de Boris Johnson

Boris Johnson a fini par admettre que les premières années post-Brexit seraient douloureuses pour son pays, mais l’avenir radieux, assure-t-il, est au bout du tunnel.  » Accrochés à leur dogme nationaliste, le Premier ministre britannique et ses électeurs croient à un conte de fées, estime notre source : ils voient leur pays devenir un Singapour-sur-Tamise, un paradis fiscal aux portes de l’Union. Mais les dirigeants européens ne sont pas dupes : si le Royaume-Uni veut un large accès au marché unique et à ses 450 millions de consommateurs, il devra s’engager à ne pas nous faire de la concurrence déloyale, à ne pas diverger trop des règles européennes fiscales, salariales, environnementales…  » Des exigences que Londres rejette obstinément.

Un diplomate européen qui suit le dossier Brexit commente :  » Les Britanniques restent intransigeants non seulement pour des raisons idéologiques, mais aussi par tactique. Laisser les demandes européennes en suspens et électriser les discussions vise à faire fléchir l’Union. La fermeté des Britanniques s’explique également par leur sentiment d’être les plus forts. Plébiscité en décembre 2019 sur le mot d’ordre Get Brexit done ! , « réalisons le Brexit », Boris Johnson dispose d’une majorité parlementaire écrasante. L’Union, en revanche, lui apparaît affaiblie et divisée, plus qu’elle ne l’est en réalité.  » Du coup, Londres fait la sourde oreille quand les Européens préviennent qu’il n’y aura pas d’accord commercial sans arrangement sur la pêche. Ou encore, les Britanniques s’opposent catégoriquement à la demande de la Commission européenne d’établir un bureau à Belfast pour surveiller la mise en oeuvre de nouveaux contrôles entre les deux Irlande, point d’entrée dans l’Union. De quoi exacerber les tensions entre les deux camps. Et faire bondir Michel Barnier, bien remis de sa contamination au Covid-19, mais plus perplexe que jamais après le dernier round de négociations :  » Le Royaume-Uni, accuse-t-il, ne peut refuser de prolonger la période de transi- tion du Brexit et, dans le même temps, ralentir le rythme des discussions sur des sujets très importants.  »

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