Macron à la télévision, sous les yeux des gilets jaunes de la Ciotat, près de Marseille, le 10 décembre 2018 © Reuters

Les concessions tardives de Macron peinent à convaincre les gilets jaunes, toujours mobilisés

Le Vif

L’exécutif français va tenter mardi de convaincre que les annonces faites la veille par le président Emmanuel Macron répondent aux demandes des « gilets jaunes », nombreux à se déclarer déçus et à vouloir poursuivre leur mobilisation.

La parole sera donnée au Premier ministre Edouard Philippe, appelé à détailler devant les députés les mesures dévoilées par le chef de l’Etat dans son adresse télévisée à la Nation. Le pouvoir attend aussi d’étudier les mouvements de l’opinion, jugés cruciaux pour la poursuite de la crise, en l’absence d’organisation structurée des « gilets jaunes », un mouvement protéiforme et non centralisé.

Juste après le discours, de nombreux protestataires ont annoncé leur détermination à poursuivre les blocages et barrages filtrants, notamment sur les ronds-points, et ont appelé à un « acte V » de la mobilisation samedi dans toute la France. Ce serait le cinquième samedi consécutif de mobilisation nationale depuis le 17 novembre, date du début du mouvement.

L’Etat cherche à prévenir de nouveaux débordements graves comme ceux des deux samedis précédents. Emmanuel Macron a averti que les « violences inadmissibles (…) ne bénéficieront d’aucune indulgence ».

Les violences ont déclenché des mesures policières sans précédent en France. Depuis la première manifestation des « gilets jaunes » le 17 novembre, 4.523 interpellations ont été effectuées sur tout le territoire. Elles ont donné lieu à 4.099 gardes à vue.

Nombreuses inconnues

Devant l’Assemblée nationale, Edouard Philippe devrait fixer les contours des principales mesures sociales énumérées par le chef de l’Etat: augmentation de 100 euros du salaire minimum (le Smic), exemption de la hausse d’une taxe dite CSG pour les retraités dont la pension est inférieure à 2.000 euros par mois, ou défiscalisation des heures supplémentaires.

De nombreuses inconnues demeurent sur leur mise en application: qui est concerné ? A partir de quand ? Avec quels financements ?

Emmanuel Macron recevra mardi des représentants du secteur bancaire puis le lendemain les grandes entreprises pour leur demander de « participer à l’effort collectif », sans doute à travers des mesures fiscales.

Les mesures dévoilées lundi coûteront « entre 8 et 10 milliards, nous sommes en train de le préciser, de voir aussi comment nous allons le financer », a expliqué lundi soir Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Comptes publics.

Beaucoup d’annonces semblent objectivement bricolées

Retard dans la réaction

« Beaucoup d’annonces semblent objectivement bricolées », a commenté Philippe Moreau-Chevrolet, un expert en communication politique. « Après quatre semaines de combat, les gilets jaunes se sont installés dans le paysage politique. Peut-être durablement. Ce retard dans la réaction est une faute politique majeure ».

Les concessions tardives de Macron peinent à convaincre les gilets jaunes, toujours mobilisés
© Reuters

Ce discours de 13 minutes enregistré au palais de l’Elysée était présenté comme décisif pour le président, sur sa capacité à relancer son quinquennat en surmontant la crise politique la plus grave depuis son arrivée au pouvoir. « Nous sommes à un moment historique pour notre pays », a déclaré M. Macron, disant décréter « l’état d’urgence économique et social ».

Le président, dont le taux de popularité est au plus bas, a dit avoir conscience qu’il lui était « arrivé de blesser » certains par ses propos. De nombreux « gilets jaunes » l’accusent d’être « méprisant » et « hautain » avec ses « petites phrases » sur les « Gaulois réfractaires », les « fainéants » ou les gens « qui ne sont rien ».

D’où des annonces qui ne pèsent ni sur les plus fortunés ni sur les entreprises

Dans son discours, M. Macron a visiblement voulu donner des gages sociaux sans effrayer le monde économique, alors que la crise va faire perdre 0,1 point de croissance à la France au 4e trimestre, selon le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. La Banque de France a ramené à 0,2%, contre 0,4% précédemment, sa prévision de croissance pour le dernier trimestre. D’où des annonces qui ne pèsent ni sur les plus fortunés ni sur les entreprises. La mesure phare, la hausse pour les salariés au Smic, sera financée par une prime d’activité versée par l’Etat.

C’est également l’Etat qui paiera l’exonération de la hausse de CSG pour les retraites inférieures à 2.000 euros et la défiscalisation des heures supplémentaires. Quand à la prime de fin d’année annoncée par M. Macron, les entreprises sont appelées à la verser mais sur une base volontaire.

Accueil très mitigé

Chez les « gilets jaunes », l’accueil du discours a été très mitigé. La Bretonne Jacline Mouraud, une des figures du mouvement, a appelé à « une trêve » en saluant « des avancées, une porte ouverte » du pouvoir.

Mais sur de nombreux points de rassemblement, les « gilets jaunes » se sont déclarés « insatisfaits ». « Macron n’a pas pris la mesure de ce qui se passait », a estimé Pierre-Gaël Laveder à Montceau-les-Mines, dans l’est.

Les première réactions syndicales ont été très critiques. Pour la CGT, Emmanuel Macron « n’a rien compris de la colère qui s’exprime ».

Ce qu’en pense la presse, mardi matin, au lendemain de l’allocution du président Emmanuel Macron

La révolte des « gilets jaunes » va peut-être refluer mais ne va pas s’arrêter après le discours d’Emmanuel Macron qui a annoncé une série de mesures sociales saluées par une partie des protestataires mais dénoncées par d’autres, estimait mardi la presse.

Pour Libération, « le Président parie sur un reflux du soutien de l’opinion aux gilets jaunes ». Le reflux est « possible », estime Laurent Joffrin. « Mais le mouvement, selon toutes probabilités, ne s’arrêtera pas du jour au lendemain », parie le journal qui fait dire en « une » à M. Macron: « je vous ai un peu compris ».

« Les annonces exprimées hier soir, avec en bonus ce nouveau mea culpa pour des propos qui « ont pu blesser », ne vont pas ramener le calme du jour au lendemain, ni faire disparaître aussi vite qu’il est apparu le jaune fluo au bord des routes », ose de son côté Hervé Favre dans La Voix du Nord.

Dans L’Alsace, Laurent Bodin note que « les mesures annoncées par le président vont au-delà de ce que pouvaient espérer les gilets jaunes au début du mouvement ». Mais « cela leur suffira-t-il ? ». « Rien n’est moins sûr tant leurs revendications sont diverses et évolutives ».

Pour calmer la colère, « Macron desserre les cordons de la bourse », titre Le Figaro en « une ». C’est même « joyeux Noël avant l’heure », ironise l’éditorialiste Alexis Brezet. Cela « convaincra-t-il les révoltés de ranger leur gilet jaune dans la boîte à gants? » Alexis Brezet refuse d’esquisser un « pronostic » même s’il « souhaite » que cela s’arrête.

Prix fort

La liste de Noël « coûtera aux contribuables plus de dix milliards » et Macron a, peu ou prou, coché toutes les cases que lui réclamaient les gilets jaunes », observe Sébastien Lacroix de L’Union et l’Ardennais. Alors « qui l’emportera de l’insatisfaction des gilets jaunes ou du ras-le-bol des autres? » Lui aussi refuse de parier en raison de « la détestation que suscite désormais ce président qui croyait avoir raison sur tout ».

« Si les objectifs successifs énoncés lundi soir par Emmanuel Macron sont mis en oeuvre avec loyauté et surtout persévérance, la spirale négative de ces dernières semaines pourra s’interrompre. Si tel n’est pas le cas, la désespérance et la défiance ne feront que croître », analyse Guillaume Goubert dans La Croix.

Entre le pouvoir et les citoyens « la rupture s’est beaucoup installée pour espérer une réconciliation sur l’oreiller budgétaire », tranche Olivier Biscaye dans Midi Libre. Alors, « Macron est condamné à composer avec cette colère désormais visible. Il l’apaise cette fois en payant le prix fort. Il ne le pourra pas toutes les fois », selon lui.

Emmanuel Macron « a fait un certain nombre de concessions, c’est indéniable », note Pascal Coquis dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. « Mais seront-elles suffisantes pour apaiser la colère qui se manifeste dans les barrages filtrants ou dans les ronds-points ? Les premières réactions à chaud des gilets jaunes ont fait apparaître plus que du scepticisme, de la défiance à l’égard du chef de l’Etat », selon lui.

Pour Les Echos, « Macron n’a pas lésiné sur les moyens d’éteindre l’incendie ». Mais « cette paix a un gout amer: la violence a payé », regrette Jean-François Pécresse.

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