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Le très sournois lobby ultraconservateur européen

Muriel Lefevre

Dans le sillage d’un populisme en pleine expansion, des organisations ultra-catholiques et archi-conservatrices tentent de faire passer leurs idées. Ils sont contre l’euthanasie, contre l’avortement, contre les droits des homosexuels. Et, à travers l’Europe, ils se sont unis et professionnalisés. Tout cela avec le soutien des États-Unis et de la Russie qui transfèrent fonds et savoir-faire.

Herman Van Rompuy, l’ancien Premier ministre et Président européen, s’est fendu d’une allocution lors d’un événement qui s’inscrit dans le cadre de la neuvième « Semaine de la vie » au parlement européen, et consacrée à l’éthique et à la dignité humaine en politique. Le discours de Van Rompuy ne restera pas dans les annales. L’organisation à l’origine de l’invitation est par contre nettement plus intrigante, dit le Standaard. Il s’agit de One of Us. Une ASBL qui a son adresse postale dans une église bruxelloise et qui défend « l’enfant à naître » et, par extension, les racines judéo-chrétiennes de l’Europe. Elle a déjà quelques actions tonitruantes à son actif puisqu’elle a obtenu 1,7 million de signatures en 2013 pour la protection des embryons. Qu’une telle organisation ait pu « s’offrir » un politicien d’une telle envergure en dit beaucoup sur la montée en puissance et l’influence des organisations luttant contre l’avortement, l’euthanasie et les droits des minorités sexuelles dans les capitales européennes et au sein des institutions européennes.

Neil Datta du Forum parlementaire européen sur la population et le développement (EPF) a pu le constater sur le terrain. « Ils sont plus nombreux, dépensent davantage d’argent et leurs campagnes et leur lobbying sont devenus plus sophistiqués. » dit-elle dans De Standaard.

Un congrès qui réunit la crème des ultras conservateurs

C’est lors du World Congress of Families (WCF), qui a lieu chaque année dans un lieu diffèrent, que se réunissent la crème des ultras conservateurs. Cette année il a eu lieu en mars, à Vérone, en Italie. Fait rare, on retrouve ainsi sur une même scène des évangéliques américains, des catholiques d’Europe occidentale et des Russes orthodoxes. Tous unis pour défendre les  » valeurs familiales  » et lutter contre la dégradation morale de l’Occident laïque. Considérés par beaucoup comme des fanatiques, ils n’en ont pas moins des relais en haut lieu. Cette année, ils ont ainsi pu compter sur la présence de Matéo Salvini, des membres du Rassemblement National de Marine Le Pen et de l’Alternative für Deutschland, ainsi qu’un secrétaire d’État du gouvernement hongrois de Viktor Orban. Était aussi présent le président pro-russe de Moldavie, Igor Dodon. En Russie, la WCF a en effet le soutien d’oligarques tels que Vladimir Yakounine, ancien patron des chemins de fer et confident de Poutine, et Konstantin Malofeev, un milliardaire nationaliste qui aurait des liens étroits avec les séparatistes d’Ukraine.

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Comme dans tout congrès, c’est aussi et surtout l’occasion rêvée pour réseauter. Car, si elle semble moins explosive qu’il y a quelque temps, la droite chrétienne n’en est pas moins efficace. Et surtout elle s’organise de mieux en mieux. Toujours selon Le Standaard, il y aurait un groupe Google sécurisé et fermé qui regrouperait 350 ASBL, experts, politiciens et représentant de l’église intitulé « Agenda Europe ». A travers ce réseau, chacun se tiendrait informé de ce que font les autres – ce qui serait le but premier selon certain qui en font partie. Cela leur permettrait surtout de se mobiliser rapidement et coordonner des campagnes de grandes ampleurs dit encore le quotidien. Soit une espèce de who’s who des personnes qui donnent le ton en Europe aux initiatives  » pro-famille  » et  » pro-vie « .

Pour Neil Datta de l’EPF, cela n’a rien d’innocent, leur objectif serait un renversement radical de la révolution sexuelle qui a commencé dans les années 1960. « Ces dernières années, ils ont ciblé les organisations internationales de défense des droits de l’homme « , dit-il encore « pour obtenir une forme de reconnaissance formelle et faire entendre leur voix de l’intérieur « . Aux États-Unis, on peut déjà observer ce qu’un lobby efficace est capable de faire avec le durcissement de la législation sur l’avortement en Alabama.

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Derrière cette loi, on retrouve l’American Alliance for Defending Freedom (ADF), un puissant lobby qui participe aussi aux réunions de l’Agenda Europe et de la WCF. Fondé en 1994, il dispose de plus de 3.000 avocats pour défendre la cause chrétienne dans le monde. En 2016, l’alliance aurait dépensé 2,5 millions de dollars en Europe. Plus près de chez nous, elle aurait aussi aidé Tom Mortier qui trouve que la Belgique n’a pas suffisamment protégé le droit à la vie de sa mère qui a été euthanasiée. La Cour européenne examine en ce moment si l’État belge a violé la Convention européenne des droits de l’homme. Preuve que les chrétiens américains sont entrés partout en Europe de façon presque imperceptible.

Selon un récent calcul d’openDemocracy, une initiative journalistique qui vise à peser sur le débat politique, estime qu’en dix ans quelque 50 millions de dollars sont passés des États-Unis à l’Europe pour soutenir des organisations ultraconservatrices. Ils ne font pas que subventionner, ils forment aussi des militants européens pour qu’ils deviennent des leaders  » avec une vision biblique du monde. »

Cette résurrection chrétienne-conservatrice commence même à faire trembler au sein même de l’hémicycle européen. Au point qu’une quarantaine de politiciens européens ont envoyé, avant les élections, une lettre au vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans. « Ils sont toujours minoritaires, mais ils sont une minorité très bruyante « , dit Petra De Sutter eurodéputé Groen. « La polarisation augmente. La discussion sur le fondamentalisme religieux se concentre sur l’Islam. Mais il y a aussi une certaine tendance dans le christianisme. En Belgique aussi, cette ligne semble plus forte depuis la montée du Vlaams Belang et l’arrivée de nouveau député aux idées très conservatrice. Une telle percée n’a rien de rassurant. »

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