Franklin Dehousse

« Le bilan très contrasté de la Commission Juncker »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

On entend beaucoup de critiques dans les institutions européennes sur la Commission Juncker, mais celles-ci n’apparaissent que partiellement fondées. De façon curieuse, le bilan de cette équipe est le plus contrasté depuis des décennies.

Il apparaît aussi intermédiaire : moins bon que les meilleurs (Hallstein, Delors), meilleur que les moins bons (Thorn, Santer, Prodi, Barroso). Au niveau de l’organisation, Juncker s’est bien tiré d’une situation difficile. Il y a beaucoup trop de commissaires, en réalité (la moitié suffirait), et sa nouvelle structure a honorablement limité les conflits. Des portefeuilles importants ont été donnés aux femmes, qui laisseront d’ailleurs la meilleure impression. Des programmes législatifs importants ont été lancés. Plusieurs ont produit des résultats. La politique du climat et de l’énergie a connu des avancées claires. La stratégie numérique, en revanche, a enregistré des résultats inégaux. Le roaming et le règlement sur les données personnelles sont des acquis importants (même si le coût du règlement pourrait être lourd). Les réseaux et le droit d’auteur, en revanche, impressionnent peu. Il y a eu des progrès, limités mais réels, en matière fiscale et sociale, en sécurité intérieure aussi. L’approfondissement de l’eurozone, en revanche, a largement patiné. L’Europe reste faible dans les relations extérieures, et cette faiblesse inquiète davantage dans un monde déstabilisé.

La nomination manipulée de Martin Selmayr comme secrétaire général a été, sur le plan politique, une erreur magistrale.

Juncker incarne pleinement ces contrastes. Il a eu des moments courageux, notamment pour défendre la Grèce contre l’exclusion en 2015 (épisode où Barroso aurait été inexistant), pour défendre la solidarité sur les réfugiés, ou pour négocier avec Trump sur le commerce. Hélas, il a eu aussi des moments tout à fait pitoyables, allant de ses baisers parfois très arrosés jusqu’au spectacle écoeurant d’un président qui traite les cheveux des femmes comme ses jouets personnels (une vision que même Trump ne nous avait pas infligée).

De plus, la nomination manipulée de Martin Selmayr comme secrétaire général a été, sur le plan politique, une erreur magistrale. Elle a diminué le président comme les commissaires, qui se sont comportés comme des potiches surpayées, et finalement toute l’institution, qui n’a pas fini d’en subir les conséquences, d’autant que Selmayr continue à mélanger tous les genres. L’ajout de la candidature de Manfred Weber comme nouveau président met en lumière une hégémonie allemande de plus en plus forte, au service d’autres combines. Ce n’est pas un hasard si l’axe Weber (au Parlement) et Selmayr (à la Commission) a été essentiel pour éviter longtemps tout problème majeur au gouvernement hongrois (et PPE) de Viktor Orban depuis 2010, malgré un dérapage d’autoritarisme et de corruption de plus en plus manifeste. La Commission s’est réveillée à la veille des élections de 2019 – ô surprise ! – mais cela masque mal son inertie coupable.

Malgré certains acquis, Juncker a raté son projet.  » Cette Commission sera celle de la dernière chance « , déclarait-il en 2014.  » Soit nous réussissons à rapprocher les citoyens de l’Europe, à réduire de façon draconienne le niveau du chômage et à redonner une perspective européenne aux jeunes, soit nous échouons.  » Les élections de 2019 risquent de lui offrir une autopsie très douloureuse.

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