© FRÉDÉRIC RAEVENS

La leçon à tirer des ruines de Notre-Dame : il ne faut jamais compter sur les milliardaires

Muriel Lefevre

Alors que l’un des bâtiments les plus anciens et plus sacrés de la Terre, la cathédrale Notre-Dame de Paris, fume encore, les millionnaires accourent à son chevet et promettent près de 600 millions. Nous voici quelques mois plus tard et qu’est-il sorti concrètement de ce beau geste, se demande Aditya Chakrabortty, un éditorialiste du Guardian ? La réponse est : pas grand-chose, pour ne pas dire rien.

Si l’image de la cathédrale en feu restera une des icônes de la décennie et aura fait beaucoup pleurer dans les chaumières, qu’en est-il de la situation quelques mois plus tard, alors que les feux des médias se sont concentrés sur d’autres proies ? De nombreux dons importants sont restés au stade des belles promesses. Dès la mi-juin, on semblait déjà avoir oublié les généreuses promesses de dons de la mi-avril. « Notre-Dame n’avait encore rien vu venir des milliardaires » dit Chakrabortty. « Les gros donateurs n’ont pas payé. Pas un centime « , déclarait alors un haut responsable de la cathédrale aux journalistes. Heureusement des sommes beaucoup plus modestes sont envoyées par des personnes beaucoup plus pauvres. « De beaux gestes », rajoutait un responsable d’une association caritative.

Cette sortie médiatique va faire bouger, un peu, deux des riches donateurs qui avaient promis des sommes folles. Les familles Arnault et Pinault vont chacun débloquer 10 millions d’euros. Et puis ? Plus rien dit The Guardian. L’éditorialiste à tenter d’en savoir un peu plus en contactant les divers donateurs et organismes de bienfaisance, mais ses requêtes sont demeurées en grande partie sans réponse. « Peut-être que leurs bureaux sont vides à cause des vacances d’été », précise-t-il.

Quoi qu’il en soit, dans ce cas, comme souvent, on se trouve probablement face à ce qu’il appelle la « parabole des milliardaires qui disparaissent ». Un phénomène révélateur sur tout ce qui ne va pas avec la philanthropie moderne. Celle-ci se déroule souvent selon les conditions et les délais des riches. Cette générosité grandiloquente cacherait en réalité une « bonne affaire » bien plus complexe qu’il n’y parait. « Il est plus heureux de donner que de recevoir », dit Jésus. Un concept que les milliardaires qui ont promis ces énormes sommes n’ont pas tout à fait compris », dit encore l’éditorialiste. « Ils ont reçu tout le crédit sans donner, pour l’instant, plus qu’une fraction de l’argent promis, dans le meilleur des cas. »

Seuls 10 % des dons ont été concrétisés

La loi voté mardi pour lancer la restauration doit également organiser et contrôler la collecte et l’utilisation des dons qui ont afflué et coordonner les travaux délicats à mener sur un joyau du patrimoine. Le texte entérine l’ouverture au 16 avril d’une souscription nationale pour recevoir les dons promis par les particuliers, des entreprises et des collectivités, dont le montant annoncé dépasserait les 850 millions d’euros. Le ministre a cependant appelé à la prudence ceux qui évoquaient déjà des excédents: « seuls un peu plus de 10% des promesses de dons ont été concrétisés » et « le coût des travaux n’est pas encore chiffré », a-t-il souligné. Au regard de l’ampleur des sommes en jeu, des mécanismes de contrôle ont été prévus pour s’assurer de leur bonne gestion. Un établissement public placé sous la tutelle du ministre de la Culture, sera chargé d’assurer la conduite et la coordination des études et des travaux avec l’aide d’un Conseil scientifique.

Pour Alexandre Gady, président de l’association Sites & Monument c’est « paradoxalement, pas plus mal » que les colossales promesses de dons pour Notre-Dame de Paris ne se soient pas toutes concrétisées a-il précise sur Franceinfo. « Il y avait quelque chose de fascinant et d’indécent dans cet emballement, dans cet argent qui affluait, jusqu’à atteindre trois années entières du budget du ministère de la Culture consacré au patrimoine ! », a encore précisé Alexandre Gady, selon qui, « plus il y a d’argent, moins on réfléchit et plus on fait de bêtises ». « Aujourd’hui, le ministère de la Culture est face à ses responsabilités. Ça rappelle aussi une vérité que le président avait presque annulé le soir même de l’incendie en tendant la main, en disant ‘À votre bon coeur, messieurs, dames’ : l’État doit lui-même investir de l’argent dans cette restauration, parce que c’est son rôle, régalien, de travailler sur le patrimoine et de le transmettre aux générations futures », a estimé le spécialiste. Il y a des dons des particuliers qui ont envie d’aider l’État et Notre-Dame, par amour du patrimoine, et il faut s’en réjouir. Mais ça ne peut pas être 100% de dons.

« Ils ont raflé la publicité, tout en rajoutant des petits caractères en bas de la page qui n’existaient pas au printemps. Comme le précise Célia Vérot, une autre responsable d’organisme de bienfaisance : « C’est un don volontaire, donc les entreprises attendent la vision du gouvernement pour voir ce qu’elles veulent financer. » C’est comme si le vaste projet de reconstruction d’un chef-d’oeuvre du XIIe siècle était un buffet où l’on pouvait choisir à quoi l’on contribue. »

Visiblement le salaire des 150 travailleurs qui travaillent sur place n’en fait pas partie. Tout comme l’élimination des quelque 300 tonnes de plomb toxique qui se trouvent sur le toit de la cathédrale et qui doivent être éliminées avant toute reconstruction. « Financer un travail aussi sale, ingrat, mais essentiel ne parle pas aux milliardaires des biens de luxe. On préférait une cathédrale Gucci ou une nef L’Oréal. »

« Pour les super riches donner, c’est en réalité prendre. Prendre le pouvoir des mains du reste de la société. Les milliardaires auront ainsi accès en exclusivité à la « vision » de la reconstruction d’un monument national et ils pourront aussi opposer leur veto à certains plans qu’ils n’aiment pas, voire garder leur argent. L’argent étant toujours la voix la plus forte, cela tombe bien, l’argent c’est eux qui l’ont. Peu importe qu’une grande partie de ces liquidités proviennent en fait du public, puisque la loi française accorde un énorme allégement fiscal de 66 % sur les donations, le pouvoir est entièrement privé. Le plafonnement annuel de ces contributions constitue sans doute une raison pour les grands donateurs d’échelonner, par prudence, leur générosité.

Partout les riches donnent de l’argent aux grandes institutions culturelles pour renforcer leur statut social. De la même façon, ils financent les partis politiques. Comme le souligne Julia Cagé, économiste à SciencesPo Paris, certaines des personnes qui ont fait des dons à Notre Dame ont également financé la montée de Macron à la présidence. Dans son récent ouvrage, Cagé estime que 600 personnes fortunées en France ont donné entre 3 et 4,5 millions d’euros à la campagne électorale de Macron. Ce qui, dans les faits, signifie que 2 % de l’ensemble des donateurs étaient derrière 40 % et 60 % du financement total d’En Marche. Pur hasard, en quelques mois, le nouveau président a réduit les impôts des plus riches, donnant à ses donateurs les plus riches « un retour sur investissement de près de 60.000 % ».

Comme pour Notre Dame, un petit don pour les riches se transforme en beaucoup d’influence et un sacré retour d’argent.

De quoi faire tourner au grotesque la tragédie de Notre-Dame. Une poignée de riches a promis de la sauver à coup de millions. En oubliant de signer le chèque, ils comptent sur des milliers de Français ordinaires pour s’en sortir, et ce alors même que l’économie tout entière est bouleversée au profit de ceux qui ont déjà le plus.

Trois mois après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, le Parlement français a donné mardi son feu vert au projet de loi visant à répondre à l’ambition d’Emmanuel Macron d’achever en cinq ans la restauration de la cathédrale, qui attire à nouveau les touristes du monde entier. « Le plus dur est devant nous. Il faudra consolider encore et toujours la cathédrale puis la restaurer », a lancé aux députés le ministre de la Culture Franck Riester. Mais si la quasi-totalité de l’opposition a réaffirmé son attachement à ce monument national presque millénaire, elle a de nouveau dénoncé le recours à une « loi d’exception inutile » menée dans « la précipitation » et instaurant des « dérogations inadmissibles » aux règles du patrimoine. « Vouloir imposer d’en haut un délai de cinq ans n’a aucun sens », a dénoncé la députée Les Républicains (droite) Brigitte Kuster. « Il faut accepter que le temps de la reconstruction ne soit pas celui du politique ou de l’évènementiel », a approuvé la socialiste Michèle Victory, en référence aux Jeux Olympiques de Paris en 2024. « Nous ne confondons pas vitesse et précipitation », a répondu à plusieurs reprises le ministre, en évoquant « un délai ambitieux, volontariste qui permet de mobiliser l’ensemble des équipes concernées ».

La principale pomme de discorde entre majorité et opposition a porté sur les dérogations aux règles d’urbanisme et de protection de l’environnement prévues dans le texte pour accélérer les travaux. En réponse aux critiques, le gouvernement a accepté de figer dans la loi certaines d’entre elles, concernant « l’architecture préventive », « la durée d’instruction des autorisations temporaires » ou encore « l’autorisation de certaines publicités sur des bâches ou des palissades de chantier ». La question architecturale a également été discutée, même si elle n’est pas abordée directement dans le texte. Ainsi, certains parlementaires, inquiets de l’expression « geste architectural contemporain » utilisée par Emmanuel Macron à propos de la future flèche, ont exigé sans succès l’engagement d' »une reconstruction à l’identique » ou « fidèle à son « dernier état visuel connu ».

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