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« L’Europe est partout, même dans notre lit »

Han Renard

A force de critiquer l’Union européenne, on oublierait parfois que l’Europe assure également une bonne protection de ses consommateurs, impose des règles strictes en matière de sécurité alimentaire et fixe des objectifs climatiques ambitieux. À l’approche des élections européennes, Knack éclaire une série de mesures européennes qui exercent un impact positif sur notre vie quotidienne.

Nous n’en sommes souvent pas suffisamment conscients, mais l’influence de l’Union européenne sur la vie de l’Européen ordinaire est énorme. L’Europe réglemente la qualité de notre eau potable, la publicité lors d’émissions pour enfants, la gestion de nos réserves de poissons, le bien-être animal et les cosmétiques vendus dans l’UE. La sécurité alimentaire fait l’objet d’une surveillance continue. Il existe une carte européenne d’assurance maladie, qui facilite l’accès des Européens aux soins médicaux à l’étranger. L’Europe exige un label de consommation d’énergie sur tous les appareils électroménagers vendus dans l’Union et garantit que vous pouvez conserver votre numéro de téléphone portable si vous changez de fournisseur. Il existe un soutien financier pour la distribution de films européens, des normes européennes de sécurité pour les sièges d’enfant dans les voitures et l’affichage obligatoire d’images choquantes sur les paquets de cigarettes. Le marquage CE que l’on retrouve sur de nombreux produits, des téléviseurs aux préservatifs, indique qu’un produit est conforme à la réglementation européenne.

« Nous n’avons peut-être pas suffisamment souligné l’importance de l’Europe, mais l’Europe est partout. L’UE détermine la qualité de votre alimentation, la sécurité de votre voiture, l’isolation de votre maison et même les dimensions standard de vos draps. L’Europe est, pour ainsi dire, même dans votre lit », déclare Rolf Falter, directeur du Bureau du Parlement européen en Belgique. « 50 à 70% de nos lois belges découlent du niveau européen. L’Europe est donc notre législateur le plus important ». Il faut dire que la plupart des lois européennes sont des « directives », que les États membres de l’UE doivent transposer en droit national et où l’Europe définit les grandes lignes politiques ou les exigences minimales.

Une grande partie de la législation européenne concerne l’élimination des obstacles à la création d’un marché intérieur unique et libre. Les pouvoirs sociaux de l’UE sont plutôt limités, mais il existe tout de même des règles relatives à la sécurité, à la santé et à la protection des travailleurs. Cependant, les États membres ne veulent pas que l’Europe dispose de pouvoirs sociaux plus étendus. C’est pourquoi le professeur de politique européenne Hendrik Vos (Université de Gand) n’estime pas entièrement justifiée l’accusation souvent entendue que l’Europe n’est pas assez sociale. « Par exemple, il y a un très bel objectif européen en matière de lutte contre la pauvreté. Mais les États membres refusent de légiférer sur ces objectifs de pauvreté, contrairement aux normes budgétaires, qui sont contraignantes. Du coup, il est inévitable que l’Europe donne la priorité à cette dernière. »

La critique selon laquelle l’Europe est un projet purement libéral ou néolibéral est également trop facile pour le professeur Vos. « Pour la troisième fois consécutive, la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a infligé une amende de plusieurs milliards à Google. Je ne connais aucun autre gouvernement qui réussisse à le faire. Même les plus grandes entreprises du monde doivent se conformer à certaines règles au sein de l’UE. Elles ne sont peut-être pas assez strictes, mais au moins, elles sont beaucoup plus strictes que dans le reste du monde ».

Une autre idée reçue tenace est de croire que l’Europe est un gouffre financier. « Le budget européen, d’environ 135 milliards d’euros, est dérisoire par rapport aux budgets des États membres nationaux », déclare Vos.

Dans ce budget européen, un peu moins de 40% sont consacrés à l’agriculture et au développement rural, près de 50% à l’économie et à la politique du marché du travail (y compris les grands budgets de développement régional), 4% au rôle de l’Europe dans le monde et 6% à l’administration – les bâtiments et les infrastructures, ainsi que les salaires des quelque 35.000 fonctionnaires européens.

« L’Europe ne nous coûte presque rien », poursuit Hendrik Vos. « Le budget belge s’élève à 230 milliards d’euros, soit près de 20.000 euros par Belge et par an. En 2017, la contribution de la Belgique à l’UE s’élevait à un peu moins de 3 milliards d’euros, soit environ 250 euros par Belge par an – moins d’un euro par jour – et, grâce aux subventions européennes, la Belgique a reçu 2,5 milliards d’euros supplémentaires en retour. En Belgique, le Tax Liberation Day européen, le moment où vous ne travaillez plus pour l’Europe, mais pour vous, tombe le 3 janvier à midi. Le Tax Liberation Day belge tombe quelque part au début du mois d’août.

Bouc émissaire

Mais on n’aime que ce qu’on connaît. De nombreux Belges ne se sentent pas concernés par le niveau politique européen. C’est également lié au processus décisionnel européen complexe où la Commission fait des propositions approuvées par le Conseil des ministres et le Parlement européen. Rolf Falter est conscient du problème. « Il s’agit de l’absence de ce que Joris Luyendijk (NDLR : un journaliste et anthropologue néerlandais) appelle un démos européen, une opinion publique européenne nécessaire pour faire de l’Europe un véritable projet démocratique. Mais le citoyen lui-même pourrait aussi faire un effort supplémentaire pour s’informer », estime Falter. À cette fin, les institutions européennes disposent déjà de sites web et de brochures extrêmement accessibles dans toutes les langues de l’UE.

Ce qui n’aide pas évidemment, c’est que les règles que l’Europe adopte soient souvent des compromis très techniques et durement gagnés, qui, malgré leurs conséquences concrètes, ne frappent pas l’imagination. Depuis les années 1990, le volume de la législation européenne et son impact sur notre législation nationale ont augmenté de manière exponentielle. « Jusqu’au début des années 1990, l’Europe était à peine présente », explique le professeur Vos. Sur les 100 000 pages de la législation européenne, 90 à 95 % datent des 30 dernières années. Selon Vos, tout cela n’a pas encore été inclus dans notre éducation, ce qui explique en partie l’ignorance et peut-être aussi la méfiance envers l’Europe.

La manière ambiguë dont les responsables politiques nationaux traitent l’Europe n’est pas non plus propice à l’amour entre l’Europe et ses citoyens. Il n’est pas rare que l’Europe serve de bouc émissaire, sauf lorsqu’il s’agit de bonnes nouvelles, car alors les politiciens nationaux aiment s’en vanter. Il serait utile d’avoir plus d’explications au niveau national sur la manière dont on fait de la politique en Europe et la façon dont les décisions sont prises. « Les responsables politiques nationaux devraient expliquer que lors des réunions européennes, ils rencontrent des Grecs, des Allemands, des Irlandais ou des Bulgares, qui ont aussi de bons arguments, et finalement, on se retrouve quelque part entre les deux », dit Vos. « Mais souvent, nos politiciens reviennent de ces réunions avec le message qu’ils ont décidé telle ou telle chose en Europe, comme s’ils ne participaient pas eux-mêmes. »

Toutes les crises qui ont mis l’Europe à l’épreuve ces dernières années – de la crise financière et de la menace terroriste à la question des migrations et aux succès électoraux des populistes eurosceptiques – ont révélé que l’absence d’une approche commune a souvent été un obstacle à de véritables solutions. Il n’était pas rare que certains états-membres récalcitrants finissent par accepter quelques petits pas difficiles vers une coopération accrue. « L’UE est également devenue bien plus qu’un projet socio-économique », conclut l’historien Rolf Falter. « D’importantes règles européennes de ces dernières années ont trait au climat, aux migrations et à la sécurité. Les grandes questions de notre époque ne peuvent plus être résolues par les seuls États membres. Bien qu’il faudra encore beaucoup de temps avant que tout le monde en soit convaincu. »

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