Alexis Tsipras © AFP

L’état de la Grèce est une honte pour l’Europe

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

Pour le professeur Jonathan Holslag, la situation actuelle de la Grèce est une honte pour toute la région européenne, quelles qu’aient été les causes de la crise grecque. « L’économie se remet à peine. »

« C’est la naissance d’une nouvelle ère », annonçait le Premier ministre grec Alexis Tsipras depuis l’île d’Ithaque. Selon la légende, le héros Ulysse y aurait abordé, après une longue errance ponctuée de brigands, de cyclopes et de monstres marins. En tenant son discours à Ithaque, Tspiras voulait renforcer l’idée que les Grecs reprennent enfin pied, à présent que le programme de crédits d’urgence touche à sa fin. Le Premier ministre associe certainement les créanciers à l’un ou l’autre monstre marin, mais il ne fait pas de doute qu’il connaît suffisamment l’histoire d’Homère pour savoir que les problèmes d’Ulysse n’ont vraiment commencé qu’après son retour à Ithaque – et quelles difficultés il a eues pour regagner la confiance de son peuple.

La Grèce d’aujourd’hui non plus n’est pas au bout de ses misères. Il suffit de demander aux Grecs. Lors d’un voyage au mois mai, j’ai constaté que chacun avait une vision sombre de l’avenir. Les jeunes avec qui je parlais voulaient partir le plus rapidement possible, hormis quelques idéalistes. J’ai entendu les récits de retraités ayant eu leur pension réduite de moitié, des changements de loi qui obligeaient les gens à vendre leur maison. Plus de 90% de la population trouve que l’économie est en (très) mauvais état, et la grande majorité est d’avis que la situation ne s’améliorera pas. C’est du moins ce que rapporte l’Eurobaromètre. Le pays est réellement en piteux état : 20% de chômage et un pouvoir d’achat qui a baissé d’un tiers depuis 2009.

Dix ans de restriction ont tout sauf stimulé l’économie. L’année dernière, le nombre d’exportations grecques vers le reste de l’Europe était moins élevé qu’avant la crise. Les investissements dans l’industrie et les services professionnels sont réduits d’un tiers par rapport à 2008. Pour l’instant, la sobriété grecque n’a pas été récompensée et cela entraîne des désillusions. Pour beaucoup de citoyens, le Premier ministre leur débitait des sornettes. La confiance en Tsipras et son parti radical de gauche Syriza s’est effritée, d’environ 48% en 2015 à environ 26% aujourd’hui. Les jeunes passent surtout à un nouveau petit « mouvement pour le changement », les plus âgés aux conservateurs de Nea Dimokratia. Mais beaucoup d’habitants votent avec leurs pieds : ils émigrent. Depuis 2008, au moins 900 000 Grecs sont partis, soit 8% de la population.

C’est une mauvaise nouvelle pour l’Europe, car le malaise persistant confirme que l’approche européenne des problèmes économiques ne fonctionne pas: malgré les coupes et l’accès aux fonds européens, l’économie se rétablit à peine. Il faut absolument des remèdes alternatifs, mais les discussions à Bruxelles restent polarisées entre les vautours de l’austérité et les défenseurs de la souplesse. « Les Grecs doivent cueillir les fruits de leurs sacrifices », déclarait, conciliant, le commissaire européen Pierre Moscovici. Comment, on l’ignore. Quelles qu’aient été les causes de la crise grecque, la situation actuelle demeure une honte pour toute la région européenne.

Au niveau géopolitique aussi, la tragédie grecque a des conséquences, pas le moins pour les tentatives européennes pour maintenir la stabilité dans les Balkans. Il y a des développements positifs, tels que l’accord entre la Grèce et la Macédoine sur le changement de nom de cette dernière en « République de Macédoine du Nord ». Cependant, la situation demeure fragile dans la plupart des pays. Pour l’Europe, c’est un peu comme éteindre un incendie de tourbière : chaque fois qu’on maîtrise un foyer, les flammes reprennent ailleurs. L’adhésion possible de la République de Macédoine du Nord à l’OTAN, certainement depuis l’entrée du Monténégro plus tôt cette année, ravivera inévitablement la méfiance des Russes et les encouragera à semer la zizanie dans les Balkans.

Et puis il y a la Turquie. Grâce à la Turquie, le flux de réfugiés vers la Grèce a fort baissé, bien qu’en 2017 la Grèce ait reçu près de deux fois plus de demandes d’asile que la Belgique et les Pays-Bas réunis. Mais à présent qu’Erdogan est en mauvaise posture, la mer Égée offre suffisamment d’opportunités pour s’en prendre à l’Occident. La faiblesse grecque est caractéristique de l’impuissance européenne : pourquoi une société qui n’est plus capable de renforcer ses frontières extérieures, serait-elle capable de maintenir son centre lors d’une prochaine crise ?

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