Thierry Fiorilli

« Gilets jaunes »: Les plumes et le goudron

Thierry Fiorilli Journaliste

On vit une époque formidable. Soit on est de la tribu, de préférence petit doigt sur la couture du pantalon, soit on dégage.

Un réseau social en vrai : on s’abonne à qui nous plaît, on like qui pense comme nous, on  » trolle  » qui on n’aime pas et on bloque qui pense autrement. C’est la France on l’aime ou on la quitte. C’est CNN qui défie Trump, donc méprise le peuple, donc retrait d’accréditation à la Maison-Blanche. C’est une majorité de Belges opposés à l’immigration, mais aucun éditorial de la presse démocratique ne leur emboîte le pas, donc presse trop à gauche, méfiez-vous. Ce sont des gens en gilet jaune qui piquent une grosse colère , parce qu’ils en ont marre un peu de tout, parce que les mois avec les débuts aussi difficiles que les fins ça commence à faire trop longtemps, qu’on ne voit pas le bout, mais les autres n’y voient que manipulés par les extrêmes, donc, comme dans tout ce qui est excessif, que de l’insignifiant (au sens premier du terme : dénué de signification).

Formidable. Un monde parfaitement réparti. Toujours en deux camps. Avec ou contre. Allié ou adversaire. Follower ou banni. Tout bon ou tout faux. A garder, à rejeter. Les gentils et les salauds.

Une distinction fruste, dont usent et abusent les actuels dirigeants politiques, que l’air du temps leur soit favorable ou non. Une distinction fruste, qui va s’imposer davantage encore en Belgique à mesure que se rapprochera le scrutin fédéral, régional et européen. Une distinction fruste, qu’on opère volontiers dans la plupart des partis mais qui, dans les six prochains mois, devrait voir MR et N-VA intensifier les opérations de discrédit à l’encontre de ceux qui ne marchent pas dans leurs pas. Ces deux-là sont en effet, pour l’heure, chez nous, les maîtres incontestés en la matière, répartissant allègrement journalistes et médias, par exemple, en deux catégories :

Dans six mois, réformateurs et nationalistes ne seront peut-être pas les instigateurs de ce très vieux supplice. Mais, cette fois, les victimes

– les convenables, ceux avec lesquels on peut  » collaborer  » (comme n’hésite pas à clamer le parti nationaliste). Nous revient en mémoire cette réunion avec les rédacteurs en chef de la presse francophone belge, organisée par le Centre de crise national et la communication du Premier ministre, et au cours de laquelle son porte-parole estimait que, autour de la table, nous étions tous  » des partenaires  » ;

– et les autres, plutôt  » gauchistes « , voire carrément  » communistes  » (comme la plupart des syndicats, des ONG, des associations professionnelles, etc.).

Ce qui en dit long sur la conception du pluralisme, du contre-pouvoir et des actions citoyennes – y compris le choix posé lors d’un scrutin – qu’ont ces deux grands partis depuis qu’ils se partagent le pouvoir fédéral, il y a un peu plus de quatre ans. Jamais, à aucun moment, MR ou N-VA n’ont officiellement remis en cause l’une de leurs décisions, l’un de leurs projets. Toujours, ils clament avoir raison, mais soit on ne les comprend pas, soit on ment, soit on instrumentalise, soit on est en service commandé d’une opposition bête et méchante.

Ces six prochains mois, donc, sous la pression du calendrier, de la campagne et du traitement qu’en fera la presse, on va voir s’empiler barils de goudron et piles de plumes dans les entrepôts de nos sphères dirigeantes. Et s’allonger la liste de ceux qu’on souhaite rouler dans le mélange puis exhiber dans toute la ville. Pour mieux les humilier. Et surtout les forcer à déguerpir.

Sauf que, réformateurs et nationalistes ne seront peut-être pas les instigateurs de ce très vieux supplice. Mais, cette fois, les victimes.

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