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Gilets jaunes et Macron: l’assiette de la discorde

Muriel Lefevre

La légende prête à Marie-Antoinette d’avoir dit « s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche! » Une phrase à ce point incendiaire qu’elle va lancer la Révolution française. Macron pourrait bien se retrouver dans une situation similaire. Il est possible que le soulèvement des gilets jaunes ait commencé avec le nouveau service en porcelaine de l’Élysée.

L’Élysée avait honte de sa vieille vaisselle quelque peu disparate, alors l’Élysée a décidé d’investir dans un nouveau service en porcelaine. Et puisqu’il ne pouvait pas dignement se procurer ce dernier dans une grande enseigne suédoise, il a commandé pas moins de 1200 assiettes (900 assiettes de présentation et 300 assiettes à pain) à la prestigieuse manufacture nationale de Sèvres. C’était une chose heureuse pour tout le monde. Cela permettait de garder vivant un savoir ancestral tout en faisant la promotion de la gastronomie et de la création artistique françaises. La manufacture ayant été créé par Madame de Pompadour en 1740, celle-ci est effectivement fournisseur officiel de l’Élysée depuis 1872. Un comité d’experts composé de représentants de quelques grands musées sera mis sur pied pour choisir le candidat idéal pour créer ces nouvelles assiettes. Ce sera Evariste Richer, 49 ans, et sa série « Bleu Élysée » qui aura l’honneur de créer le nouveau service en porcelaine. Une première livraison étant prévue pour Noël pour un budget global de 50.000 euros.

L’histoire en serait probablement restée là, si l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné découvre, et publie trois jours plus tard, qu’il fallait en réalité ajouter un zéro, at minima, à cette somme. Rajoutant, perfidement, que, s’il y avait bien eu un comité d’expert, c’était Brigitte Macron, et personne d’autre, qui avait choisi le nouveau design des futures assiettes.

Gilets jaunes et Macron: l'assiette de la discorde
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Une telle note pour de la vaisselle commandée par madame Macron passe mal. On tente bien, depuis l’Élysée, une contextualisation à travers un communiqué: « Le nouveau service, pour les grands dîners d’État d’environ 300 convives, est nécessaire puisque le dernier date des années 1950, sous la présidence de René Coty. » C’est effectivement un service qui a vécu. Sauf que ceci n’est pas l’exacte vérité de l’aveu même de la manufacture. Celle-ci, souhaitant montrer que cette commande n’avait rien de particulièrement remarquable, publie dans le même temps un communiqué. On peut y lire que le service avait été renouvelé sous Georges Pompidou, président français de 1969 à 1974, mais aussi en 2002 sous Jacques Chirac. L’entreprise va pousser la délicatesse jusqu’à publier une liste des 51 livraisons à l’Élysée, dont la dernière aura lieu en 2014. Il s’agissait, à l’époque, de 189 assiettes dorées du modèle « Blue agate ». En faisant les comptes, on arrive à 6.262 assiettes exactement depuis 1958 précise De Morgen.

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La poisse étant rarement un être solitaire, le même jour, soit le 13 juin 2018, Sibeth Ndiaye, qui travaille au service de presse de l’Élysée, publie une vidéo de son patron, Emmanuel Macron, assis à une table en train de répéter un discours qu’il allait prononcer à l’occasion du congrès annuel des mutuelles françaises. Il y dit, en substance,: « Dans tout le système social, on met trop de pognon. On déresponsabilise et on est dans le curatif (…) On met un pognon de dingue dans les minimas sociaux, les gens restent quand même pauvres. »

La vaisselle payée rubis sur ongle et un discours pareil ne sont pas un enchaînement des plus heureux. Surtout quand on annonce, peu de temps après, la construction d’une piscine extérieure dans la résidence présidentielle du Fort de Brégançon, dans le sud de la France. Coût : 34.000 euros. La facture sera financée par les revenus de la boutique de souvenirs du fort. N’empêche, ce qui peut passer pour des caprices fait tache dans ce qu’on appelle parfois la « France d’en bas ».

Des évènements anecdotiques, mais pas moins révélateurs pour certains, qui vont souffler sur les premières braises de l’embrasement fluo que connaît aujourd’hui la France. « Que faites-vous de notre argent, à part acheter de la vaisselle neuve pour l’Élysée et construire des piscines ? » se demande alors Jacline Mouraud, l’accordéoniste et hypnothérapeute qui est devenue l’un des visages des « gilets jaunes ».

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Pourtant, dans un premier temps, personne, à Paris, ne semble renifler l’odeur de poudrière qui se cache dans ses propos. Dans une nouvelle tentative de justification, le service presse de l’Élysée maintiendra d’ailleurs qu’il avait effectivement dépensé 50 000 euros, mais pas pour la porcelaine. Ce budget a servi à rémunérer les artistes qui ont participé au concours lié à la création de ses assiettes. La manufacture de porcelaine de Sèvres a tout simplement fait don de ce nouveau service à l’Élysée, comme en 1872, lorsque le président Adolphe Thiers fut le premier à réjouir ses convives avec une authentique assiette en porcelaine de Sèvres. L’explication se tient sauf que ce n’est pas vraiment « offert » si on analyse les chiffres. Depuis 2010, l’État français est l’actionnaire majoritaire de l’usine de porcelaine de Sèvres, dont 60 % des revenus dépendent depuis lors de subventions du ministère de la Culture. Elle a perçu 3, 807 millions d’euros en 2016, 4,391 millions d’euros en 2017 et 4,448 millions d’euros en 2018. « Cela revient donc toujours à environ 500 euros par assiette » explique un gilet jaune la semaine dernière à la frontière franco-belge. « Et 300 euros rien que pour une assiette à pain qui fait un bref passage entre l’apéritif et le premier plat. »

La faute des chiens de Sarkozy ?

Le bilan publié par la manufacture de Sèvres montre que, depuis le Président Pompidou en 1969, chaque nouvelle commande importante est suivie, la même année, par une commande supplémentaire de 50, 80 et même 100 pièces. Il semble,si l’on observe le taux de renouvèlement des assiettes, qu’il ait donc aussi beaucoup de casse. C’est surprenant lorsqu’on sait qu’il n’y a pas plus de deux ou trois banquets d’État par mois et que ceux-ci rassemblent généralement des gens de bonne éducation qui savent se tenir à table.

Il y a quatre ans, le site Web de Mediapart accusait Clara, Dumbledore et Toumi, les trois chiens de Nicolas Sarkozy, président de 2007 à 2012, d’avoir fait des milliers d’euros de dégâts sur le mobilier et la vaisselle.

Mais tout de même, des chiens dans la cuisine de l’Élysée ou durant un dîner d’État ? La raison la plus probable serait moins rocambolesque. Elle serait même franchement gagne-petit puisqu’il s’agirait de simple grappille. Il existerait une tradition qui voudrait que les visiteurs aiment ramener un petit souvenir d’un banquet. Un acte improvisé rendu possible par un service surveillance que l’on peut qualifier d’artisanal selon le Figaro. La Cour des comptes française a récemment fait état de la disparition de pas moins de 625 pièces,notamment de la vaisselle de Sèvres de l’Élysée, appartenant au patrimoine culturel national. Le ministère de la Culture a même lancé un site Web appelé  » Sherlock « , où les Français peuvent faire dans la délation mais qui est en actuellement en maintenance. Toute une série d’assiettes sont aussi disponible sur Ebay où pour 100 euros on peut avoir une véritable assiette de l’Élysée.

La tension monte chaque jour un peu plus en France

La polémique autour des assiettes n’aura au fond été que le symbole d’un rejet plus général d’Emmanuel Macron, perçu par une partie de la population comme un « président des riches », incapable de comprendre le quotidien de « la vraie France » qui vit à l’écart des grands centres urbains. Cette contestation née du refus de la hausse de la fiscalité sur les carburants pour financer la transition écologique a été exacerbée par la question du pouvoir d’achat, sur fond de mépris ressenti par des pans entiers d’habitants des zones rurales et périurbaines. « Les populations éloignées des grands centres urbains ou reléguées en bas de l’échelle sociale ont un sentiment d’injustice fiscale », estime Alexis Spire, directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique (CNRS). « C’est aussi un révélateur des fractures de la société française ».

Les gilets jaunes ne sont pas un mouvement marginal et isolé. Cette grogne s’appuie, selon les sondages, sur le soutien de 70 à 80% de l’opinion. C’est aussi un mouvement hétéroclite dont l’ampleur reste pour l’heure difficile à évaluer, mais qui gagne en force les semaines passant.

Après trois samedis émaillés de scènes d’émeutes et des blocages quotidiens un peu partout sur le territoire, la pression monte en même temps que l’extrême tension qui parcourt la France. Rien que ce week-end à Paris, l’Arc de Triomphe a été tagué et saccagé, des grilles du jardin des Tuileries arrachées, des véhicules incendiés, des magasins pillés… Il y a eu un chiffre record de 363 gardes à vue, dont 32 pour des mineurs, selon un nouveau bilan du parquet de Paris. Une nouveauté attendait encore le président ce lundi : plus d’une centaine de lycées étaient bloqués, partiellement ou totalement, par un mouvement de protestation contre les réformes dans l’Education, qui s’est inscrit parfois en soutien aux « gilets jaunes ».

Gilets jaunes et Macron: l'assiette de la discorde
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Le pouvoir, désormais acculé, est passé, dans l’urgence, ce lundi à l’initiative après avoir fait pendant des semaines la sourde oreille. L’exécutif a en effet engagé une course contre la montre pour tenter, par ses initiatives, d’apaiser la crise sociale et politique des « gilets jaunes », et éviter la répétition des violences de plus en plus graves qu’elle a déchaînées.

Le Premier ministre français Edouard Philippe a annoncé ce mardi que la hausse des taxes sur le carburant allait être suspendue 6 mois par le gouvernement français. L’annonce d’un moratoire sur la hausse des taxes sur le carburant, cette hausse à l’origine du mouvement des « gilets jaunes », était attendue. Après avoir confirmé en fin de matinée face au groupe parlementaire LREM que la décision d’un moratoire avait bien été prise par les ministres et le Président lors d’une réunion de crise la veille, le Premier ministre Edouard Philippe a détaillé la mesure à la mi-journée lors d’une allocution télévisée depuis Matignon.

Le gouvernement « suspend pour six mois » la hausse de la fiscalité sur le carburant et s’engage à ce qu’il n’y ait pas d’augmentation du tarif de l’électricité et du gaz d’ici à mai 2019, a précisé Édouard Philippe face aux téléspectateurs. « Aucune taxe ne mérite de mettre en danger l’unité de la Nation », a souligné le chef du gouvernement, ajoutant qu’il « faudrait être sourd » pour ne « pas entendre la colère » des Français. « Les Français qui ont enfilé un gilet jaune aiment leur pays. Ils veulent que les impôts baissent et que le travail paye. C’est aussi ce que nous voulons », a notamment estimé Edouard Philippe. Le moratoire de 6 mois concerne différentes mesures fiscales qui devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2019 en matière de carburant: la hausse de la taxe carbone, sur l’essence, le fioul et le diesel, la convergence de la fiscalité du diesel avec celle de l’essence et l’alignement sur la fiscalité des particuliers de la fiscalité du gazole des entrepreneurs non routiers. La même suspension de 6 mois vaut pour les mesures de la réforme du contrôle technique qui devaient entrer en vigueur début 2019. Les mesures ne sont pas annulées, ce qui devrait sans aucun doute alimenter une vive critique de la part de gilets jaunes qui s’étaient déjà dits dubitatifs mardi matin. Mais les 6 mois de suspension doivent permettre un travail parallèle et une concertation entre tous les acteurs, selon le premier ministre: « Nous voulons dans ce laps de temps identifier et mettre en oeuvre des mesures d’accompagnement justes et efficaces. Si nous ne les trouvons pas, nous en tirerons les conséquences », a-t-il développé. Un « large débat sur les impôts et les dépenses publiques » sera ainsi mené du 15 décembre au 1er mars, également à l’échelon local. « Le gouvernement a fait des propositions. Peut-être sont-elles insuffisantes, ou inadaptées. Les solutions doivent être différentes dans les grandes villes et les campagnes. Parlons-en, améliorons-les ». « C’est maintenant le temps du dialogue. J’ai la conviction profonde que quand on met des Français de volonté autour d’une table, on trouve des solutions », a conclu Edouard Philippe en fin d’allocution.

On notera, en guise de conclusion, que si l’histoire a fini par démontrer que la fameuse citation sur les brioches n’était pas de Marie-Antoinette, Macron a, lui, été filmé.

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