Franklin Dehousse

« Dix leçons du Brexit pour l’Union »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Beaucoup a déjà été écrit sur les conséquences du Brexit pour les gens, l’économie et les institutions. Mais on doit aussi se soucier de son impact politique à long terme pour l’Europe. Que dira-t-on dans dix, vingt ou trente ans ?

1. L’Union européenne a changé de nature. Il est désormais possible d’en sortir. Cette révolution résulte du traité de Lisbonne.

2. L’article 50 du traité de l’Union sur le retrait fonctionne. Des modalités pourraient être améliorées, mais le texte a subi l’épreuve du feu.

3. Le référendum a été un instrument radical. Cela va provoquer une réflexion importante sur sa légitimité comme sur ses modalités. Peut-être faudrait-il renforcer ses conditions, car l’expérience a révélé la sortie de l’Union européenne comme une réforme constitutionnelle majeure.

4. Le Brexit a provoqué des tensions constitutionnelles importantes : entre gouvernement et Parlement, entre gouvernement et pouvoir judiciaire, et aussi entre les régions. A cet égard, il a fortement accru les chances d’une indépendance de l’Ecosse.

5. La sortie de l’Union constitue un processus long. Cela a une importance politique car elle peut aisément réclamer plusieurs élections. Or, le monde politique ne sait plus gérer le long terme.

6. Les gouvernements britanniques ont souvent négocié de façon pitoyable, sans définition préalable des objectifs, avec une communication faible et souvent mensongère, et en poussant les alternatives économiques les plus coûteuses. Les gouvernements européens ont négocié de façon solide sur le plan technique, et myope sur le plan stratégique. Il n’existe toujours pas de réflexion sur les implications du Brexit pour la politique de voisinage, déjà sinistrée. Toutes ces carences pèseront sur l’avenir.

7. La plupart des prévisions économiques, souvent catastrophistes, se sont révélées fausses. Cela aura des retombées importantes dans de futurs débats.

8. Le public britannique a voté pour de multiples considérations, où l’économie ne figurait que de façon partielle.

9. Avec une intensité variable, la classe politique britannique a entretenu pendant des décennies une vision négative de l’Europe. Au moment du référendum, il était trop tard pour la modifier.

10. Finalement, l’Union européenne reste souvent perçue, qu’on le veuille ou non, comme un système élitaire, dépourvu de responsabilité politique et servant seulement une partie de la population.

Pour le reste, il demeure impossible de tirer des conclusions définitives du Brexit. Notre société veut toujours des changements et analyses instantanés. Toutefois, notre monde complexe ne les permet pas, spécialement au niveau européen. L’exit, comme l’adhésion à l’Union, sont des processus longs. Les implications économico-sociales, qui auront des retombées politiques lourdes, ne viendront que bien plus tard. Entre-temps, malgré des discours larmoyants, le Brexit n’a pas été la catastrophe annoncée pour l’Union européenne. Beaucoup de ses dirigeants tendent à magnifier les événements politiques (qu’ils contrôlent mieux) et négliger les autres (souvent plus fondamentaux). Pour l’Union, les vraies menaces sont autre part : les dysfonctionnements de l’euro, des migrations non maîtrisées, le retard numérique, et la crise de l’Etat de droit. Là réside la dernière leçon : seule une Union qui fonctionne mieux peut être plus attractive. Pour ceux qui veulent éviter d’autres exits, la voie est claire.

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