© AFP

Déjà chancelante, l’économie italienne vacille encore plus depuis la crise politique

Le Vif

Au grand dam de ses partenaires européens.

L’ivresse des sondages n’a pas profité à Matteo Salvini. Fort de ses 34,2 % aux élections européennes du printemps et des 36 à 38 % d’intentions de vote dans les enquêtes d’opinion, le ministre de l’Intérieur et vice-président du Conseil se voyait déjà à la tête du pays. Le chef de la Ligue (extrême droite) n’imaginait pas, en déposant une motion de censure contre son propre gouvernement, que son geste amènerait la majeure partie de la classe politique à former une sorte de  » front républicain  » pour lui barrer la route, au moins provisoirement. En raison du danger que représentent les accents mussoliniens de son appel aux  » pleins pouvoirs « , mais aussi au regard du péril, pour la troisième économie de la zone euro, d’un Salvini aux commandes s’il emportait des élections anticipées. Le danger était d’autant plus pressant que l’Italie doit présenter, d’ici à la fin de septembre, son budget pour 2020 à la Commission européenne.

L’attelage politique mal appareillé que vient de briser Salvini a fragilisé plus encore l’économie de la péninsule.

Sans surprise, l’un des principaux indicateurs de la nervosité des marchés, le spread sur la dette souveraine – la différence entre les taux d’intérêt payés par l’Italie et l’Allemagne lorsqu’ils empruntent -, a bondi de plus de 30 points au moment du coup de force de Salvini pour s’établir à 241 points, une valeur cinq fois supérieure au spread entre la France et l’Allemagne.

Cette énième crise politique italienne survient en effet dans un contexte de marasme économique prolongé. Après une récession  » technique  » au second semestre 2018 (deux trimestres consécutifs de recul du PIB), le pays a enchaîné avec une croissance nulle lors du premier semestre 2019.

Les difficultés de la Botte viennent de loin et elles expliquent en partie le succès des formations populistes aux dernières élections.  » Le PIB par habitant a chuté de 7 % en 2007 et n’est jamais remonté depuis « , souligne Sergio De Nardis, professeur d’économie à l’université Luiss de Rome. L’écart entre le revenu moyen des Italiens et celui de leurs voisins s’est creusé, non seulement depuis la crise de 2008 mais depuis l’adoption de l’euro, il y a vingt ans. Plombée par une dette colossale, à plus de 130 % du PIB, l’Italie a eu le plus faible taux de croissance de l’Union européenne au cours des deux décennies passées – seule la Grèce fait moins bien dans l’UE. Le taux de chômage est certes repassé sous la barre des 10 % en mai, pour la première fois depuis sept ans, mais le chômage des jeunes, lui, reste élevé, à 28,1 %, contre 15,4 % en moyenne pour la zone euro.

La balle est désormais dans le camp du président de la République, Sergio Mattarella, qui doit nommer un nouveau Premier ministre ou organiser des élections anticipées.
La balle est désormais dans le camp du président de la République, Sergio Mattarella, qui doit nommer un nouveau Premier ministre ou organiser des élections anticipées.© m. rossi/reuters

Une industrie délocalisée

Les raisons de la panne ?  » Depuis deux ou trois décennies, l’Italie n’a pas fait les réformes structurelles rendues nécessaires par la transformation de l’économie mondiale, diagnostique Riccardo Perissich, ancien directeur général Industrie à la Commission européenne. Les gouvernements précédents ont certes entamé des réformes, celle des retraites, sous le gouvernement de Mario Monti (2011-2013), ou du marché du travail sous celui de Matteo Renzi (2014-2016), mais, interrompues par l’instabilité politique chronique de la péninsule, elles n’ont pas eu le temps de porter leurs fruits.  » Les autres maux du pays – évasion fiscale, corruption, bureaucratie, lenteur de la justice, panne démographique (voir l’encadré page 68) ou fossé Nord-Sud – constituent autant de freins à la relance.

L’Italie subit aussi les effets de l’environnement international morose : la concurrence de la Chine dans le secteur manufacturier, notamment depuis l’entrée de Pékin dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001, et, plus récemment, le ralentissement du moteur allemand de l’économie européenne ainsi que les tensions commerciales avec les Etats-Unis.

Longtemps réputée pour ses PME, souvent familiales, l’Italie pâtit d’un déficit d’investissement dans la recherche et l’innovation. Son industrie a par ailleurs beaucoup délocalisé dans les pays voisins, comme la Hongrie, la Roumanie ou la Bulgarie, attractifs avec leurs salaires bas et leurs taxes indolores.  » Elle garde pourtant des atouts, nuance l’économiste Alberto Quadrio Curzio. En 2018, l’excédent commercial de l’industrie manufacturière italienne s’élevait à 100 milliards d’euros.  »

L’attelage politique mal appareillé que vient de briser Salvini a fragilisé plus encore l’économie de la péninsule. Le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) avait promis des programmes sociaux à ses électeurs alors que la Ligue s’était engagée à baisser les impôts et à multiplier les grands travaux.  » La Ligue est un parti populiste de droite tandis que le M5S est bien plus ambigu. Il a une composante de gauche dans son ADN « , relève le politologue et historien Giovanni Orsina. En quatorze mois de mariage, le duo populiste a engagé un bras de fer avec Bruxelles, en particulier sur les projets de revenu universel, sujet cher au parti de Luigi Di Maio, et la remise en question de la réforme des retraites adoptée par le gouvernement précédent.

Après plusieurs mois de tiraillements avec l’UE, qui réclame plus d’efforts de réduction du déficit public, le cabinet sortant a finalement cédé, acceptant de le faire passer à 2,04 % du PIB – au lieu de 2,4 %. La présence de pragmatiques au gouvernement, comme le président du Conseil, Giuseppe Conte, ou le ministre des Finances, Giovanni Tria, a sans doute contribué à l’apaisement. Rome a différé la possibilité de départs anticipés à la retraite et revu à la baisse le  » revenu de citoyenneté « , réduisant son montant ainsi que le nombre de bénéficiaires.

Pour sa part, la Commission européenne a, elle aussi, composé. En juillet dernier, elle a renoncé à lancer une procédure pour déficit excessif à l’encontre de l’Italie. Pour autant, les quatorze mois de pouvoir de cette coalition n’ont fait que retarder le redressement de l’économie italienne.

Déjà chancelante, l'économie italienne vacille encore plus depuis la crise politique
© s. rellandini/reuters

Débat au parti démocrate

Après plusieurs semaines de crise politique, l’Italie va peut-être sortir un peu la tête de l’eau, après l’annonce ce mercredi d’un accord entre le PD et le M5S.

Un gouvernement entre ces deux formations devrait conduire à une baisse des tensions avec l’UE.  » Le M5S est en mode survie. Il pourrait se contenter de mesures symboliques pour satisfaire son électorat, comme la promesse de réduire le nombre de parlementaires ou la réforme de la justice, et ne pas se montrer trop exigeant sur les mesures économiques. Cela dépendra beaucoup du débat interne au PD entre son aile gauche, actuellement majoritaire dans le parti, et celle plus modérée, proche de l’ex-président du Conseil Matteo Renzi, majoritaire dans le groupe parlementaire « , avance Riccardo Perissich.

Quant à la Ligue, avec ou sans élections immédiates, son chef, désormais dans l’opposition, va sans nul doute continuer à ferrailler contre le  » diktat  » de Bruxelles, comme il le fait depuis des mois, et plus encore depuis le succès de son parti au scrutin européen du printemps.

Une éventuelle victoire de la Ligue à des élections anticipées, à l’automne ou plus tard, donnerait des sueurs froides aux économistes.  » Le programme de Salvini n’aborde aucun des problèmes structurels de l’Italie, tranche Riccardo Perissich. Et, à ce jour, aucun pays ayant tenté de financer la relance par la dette n’a réussi. La baisse drastique des impôts (qu’il n’a pas eu le temps de mettre en oeuvre jusqu’à présent), couplée aux vastes investissements publics promis, est estimée à quelque 50 milliards d’euros. Cela mènerait l’Italie droit dans le mur.  »

Difficile de savoir jusqu’où le Lombard est prêt à aller pour défier la Commission européenne. Un  » Italexit  » ?  » La sortie de l’Italie de l’UE est impensable, observe Giovanni Orsina. Ce serait une catastrophe pour l’électorat de la Ligue, surtout composé d’épargnants et d’entrepreneurs du nord de l’Italie. « 

Par Catherine Gouëset.

L’effondrement démographique

Le vieillissement de la population s’accélère, selon le dernier rapport de l’Institut de la statistique italien. Le taux de fécondité a encore reculé, de 1,45 il y a dix ans à 1,32 en 2017. Le phénomène est aggravé par le recul de la population féminine en âge d’avoir des enfants : à la même période, l’Italie comptait 900 000 femmes âgées de 15 à 45 ans en moins qu’en 2008. Au cours de la décennie écoulée, la morosité économique et les bas salaires ont en effet poussé plus de deux millions d’Italiens, dont la moitié ont entre 20 et 34 ans, à quitter leur pays. Ce défi démographique fait courir plusieurs risques à l’économie du second pays le plus âgé au monde (derrière le Japon). Outre la question du financement des retraites, le départ des jeunes, souvent qualifiés, contribue au recul de la productivité. L’émigration de cette population dont l’éducation a été payée par la péninsule représente de fait un transfert de richesse vers les pays du Nord. Cela explique que, malgré le discours hostile aux migrants de Salvini, les Italiens, selon un sondage commandé au printemps dernier par le Conseil européen pour les relations internationales, sont plus préoccupés par l’exode de leur jeunesse que par l’immigration.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire