Meritxell Serret © Reuters

Début du procès des séparatistes catalans :  » Le résultat a déjà été décidé dans les coulisses « 

Muriel Lefevre

Ce mardi commence le procès des indépendantistes catalans devant la Cour suprême espagnole à Madrid. « L’indépendance reste notre objectif », déclare l’ex-ministre catalane Meritxell Serret.

Plus d’un an et demi après le référendum catalan, le procès historique de douze dirigeants indépendantistes catalans suite à leur rôle dans la tentative de sécession d’octobre 2017 s’ouvre mardi à Madrid, alors que la question catalane enflamme toujours autant les esprits en Espagne. Les dix-huit accusés, dont neuf anciens ministres, risquent jusqu’à 25 ans de prison pour rébellion, sédition et détournement de fonds publics. Ni l’ancien Premier ministre Carles Puigdemont, ni l’ancien ministre Meritxell Serret ne seront poursuivis. Ils sont en exil en Belgique et l’Espagne ne juge pas en absence pour les délits graves.

Début d’un procès historique

L’audience, qui se limitera à des questions de procédure, doit commencer à 10H00 (09H00 GMT) devant la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire du pays, autour de laquelle de nombreux policiers étaient déployés. Les neuf accusés en détention provisoire, incarcérés près de Madrid le temps du procès, ont été transférés vers le tribunal dans des fourgons des forces de l’ordre. Dans le même temps en Catalogne (nord-est), où une manifestation indépendantiste est prévue à 19H00 (18H00 GMT) à Barcelone, plusieurs routes ont été coupées par les militants radicaux des CDR, dont l’autoroute AP-7 en partie entre Gérone et Barcelone, selon les autorités régionales. Ce procès, retransmis en direct à la télévision et pour lequel plus de 600 journalistes espagnols et étrangers sont accrédités, doit durer environ trois mois. Le verdict ne devrait pas être rendu avant juillet. Des centaines de personnes vont être appelées à témoigner dont l’ancien chef de gouvernement conservateur Mariano Rajoy. Après avoir organisé le 1er octobre 2017 un référendum d’autodétermination interdit par la justice, les séparatistes avaient proclamé le 27 octobre une république catalane indépendante, déclenchant la plus grave crise politique que l’Espagne ait connu depuis la fin du franquisme.

Si l’Espagne a retiré le mandat d’arrêt européen à leur encontre l’été dernier, un mandat d’arrêt espagnol reste en vigueur. Cela signifie que dès qu’ils arriveront sur le sol espagnol, ils seront arrêtés. Serret, qui représente aujourd’hui le gouvernement catalan auprès de l’Union européenne à Bruxelles reste motivée :  » Nous n’abandonnerons pas le combat. » Rencontre.

Quel regard portez-vous sur le référendum sur l’indépendance ?

Meritxell Serret : Nous ignorions de quelle manière le gouvernement espagnol allait exactement réagir. Nous ne nous attendions certainement pas à autant de violence. Ceux qui sont au pouvoir à Madrid attaquent les droits politiques et civils. Après toutes ces années, le régime franquiste reste fermement ancré dans l’État espagnol.

Avez-vous déjà songé à retourner en Catalogne ?

Rester en Belgique a été une décision très difficile à prendre. J’ai dû laisser ma famille et mes amis derrière moi. Malheureusement, je n’ai pas eu le choix.

Qu’en est-il de l’indépendance catalane ?

Nous sommes toujours prêts à négocier avec Madrid. Mais il est très difficile d’entamer des pourparlers lorsque les figures clés de votre mouvement sont privées de leur liberté.

Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, et son gouvernement minoritaire doivent constamment chercher des partenaires. Le gouvernement de l’État catalan ne pourrait-il pas en profiter pour demander plus d’autonomie ?

Les élections régionales en Andalousie ont été remportées par trois partis opposés à l’indépendance catalane. Sanchez, lui aussi, sait que maintenir ce cap fait gagner des voix. Nous ne pouvons donc espérer aucune concession.

L’ancien Premier ministre catalan Carles Puigdemont voulait une indépendance totale. Est-ce toujours l’objectif ?

Oui, nous ne voulons pas être privés de notre droit à l’autodétermination.

Croyez-vous à un verdict favorable lors du procès des prisonniers catalans ?

Malheureusement, tout porte à croire que le verdict a déjà été rendu dans les coulisses. La Cour suprême espagnole a refusé d’entendre l’appel interjeté l’année dernière par les prisonniers contre leur détention. Quelle est la crédibilité d’une Cour suprême lorsqu’elle ne respecte pas la primauté du droit ?

– Qui sont les accusés ? –

Ils sont douze au total, dont neuf sont en détention provisoire. En l’absence de l’ex-président catalan Carles Puigdemont, exilé en Belgique, l’ancien vice-président et « ministre » de l’Economie au sein du gouvernement régional, Oriol Junqueras, 49 ans, est le principal accusé.

Le parquet réclame une peine de 25 ans de prison à l’encontre de cet historien et ancien professeur universitaire, président du parti indépendantiste ERC (Gauche républicaine catalane), incarcéré depuis novembre 2017.

Ancienne présidente du parlement catalan, Carme Forcadell, 63 ans, qui avait lu le 27 octobre 2017 la proclamation d’indépendance, risque, elle, 17 ans de prison.

Tout comme Jordi Sanchez, 54 ans, et Jordi Cuixart, 43 ans, respectivement ex-président et président des puissantes associations indépendantistes ANC et Omnium Cultural.

Ils avaient été les premiers à être placés en détention provisoire, dès le 16 octobre 2017, pour avoir convoqué le 20 septembre une manifestation devant un bâtiment officiel perquisitionné, marquée par la destruction de véhicules de la garde civile. Des peines de 16 ans de prison ont par ailleurs été requises par le parquet contre cinq anciens « ministres » du gouvernement régional catalan: Joaquim Forn, qui avait autorité sur la police régionale accusée d’avoir laissé faire le référendum interdit du 1er octobre, ainsi que Jordi Turull, Raul Romeva, Josep Rull et Dolors Bassa.

En outre, trois autres anciens « ministres » régionaux, en liberté conditionnelle, Santi Vila, Carles Mundo et Meritxell Borras, risquent, eux, 7 ans de prison et une amende.

Le parti de Puigdemont a été exclu du Parti libéral européen (ADLE) de Guy Verhofstadt en octobre.

Qu’est-ce que Verhofstadt pense être le plus important : les valeurs qu’il prêche continuellement ou le pouvoir politique ?

Les partisans de l’indépendance catalane n’ont guère pu compter sur du soutien venu de l’étranger. N’avez-vous pas sous-estimé le pouvoir diplomatique de l’Espagne ?

Il y a plus de 40 membres du Parlement européen qui appellent à une solution politique au problème. Les Nations unies critiquent également le fait que l’État espagnol a violé nos droits. Toutefois, de nombreux pays ne sont apparemment pas prêts à se heurter à Madrid par crainte de représailles.

Entre-temps, près de 5 000 entreprises ont quitté la Catalogne. Le référendum en valait-il la peine ?

Après le référendum, le secteur du tourisme a traversé une période difficile. Et sous la direction du roi d’Espagne Felipe, Madrid a lancé une campagne pour attirer les entreprises hors de Catalogne. Mais globalement, notre économie a continué de croître, tout comme le nombre d’investissements étrangers. Nous le devons à notre attitude conciliante : nous voulons renforcer les économies espagnole et catalane en travaillant ensemble.

Les Catalans restent profondément divisés sur la question de l’indépendance.

En effet, certains Catalans ont peur de l’indépendance. Nous devrions en tenir davantage compte à l’avenir. Mais 80 % des Catalans veulent que la Catalogne organise un nouveau référendum en consultation avec Madrid. Cette idée est soutenue même parmi les unionistes.

La N-VA a été l’un des rares partis au pouvoir dans l’Union européenne à soutenir le gouvernement catalan.

Nous sommes très reconnaissants à la N-VA pour son soutien. Mais nous ciblons tous les partis démocratiquement élus qui prônent une solution politique en Catalogne.

Le gouvernement catalan a récemment manifesté sa volonté d’accueillir 49 réfugiés venus par bateau, alors que l’Espagne a refusé de le faire.

La lutte catalane pour l’indépendance prône l’égalité entre les différents groupes de population, qu’ils soient nord-africains ou madrilènes.

La violence au centre du procès

Y a-t-il eu violence? C’est la question qui sera au centre du procès, le chef d’accusation contesté de rébellion supposant l’existence d’un soulèvement violent. Pour le parquet, la réponse est oui, les accusés ayant notamment « appelé les citoyens à participer au référendum du 1er octobre en étant conscients de (son) illégalité et du fait que des explosions de violence pouvaient se produire ». Les indépendantistes, qui dénoncent un procès politique, affirment pour leur part que la seule violence a été celle des policiers le jour du référendum, dont les images ont fait le tour du monde. « Le jugement qui commence montrera la vérité au monde » entier, indique un tweet publié sur le compte d’Oriol Junqueras. Les juristes sont eux divisés, au point que le représentant des intérêts de l’État lors du procès n’accuse les prévenus que de sédition et réclame des peines de 12 ans au maximum.

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