Une église près de Bergame © AFP

Coronavirus : « Le plus dur, c’est que nous n’avons pas pu voir son corps »

Le Vif

En Italie du Nord, le coronavirus fait des ravages. « C’est la maladie de la solitude. »

Plus de 6820 personnes sont déjà mortes du coronavirus en Italie. À Bergame, la ville la plus touchée, le crématorium travaille jour et nuit. Et malgré ça, l’armée a dû apporter des dizaines de cercueils à incinérer dans d’autres villes. Les funérailles sont devenues une habitude dans de nombreux endroits : le pasteur donne rapidement sa bénédiction avant de passer au suivant.

Les funérailles traditionnelles ont été interdites par le gouvernement. Parfois, la protection civile du cimetière surveille, afin que les membres de la famille ne se tiennent pas trop près les uns des autres pendant les funérailles ou ne s’embrassent pas. Cependant, ils ne peuvent généralement pas être présents aux funérailles car ils sont en quarantaine à la maison. Cinq personnes témoignent sur leur expérience de l’état d’urgence.

Michela Zanchi (34 ans) a perdu son oncle à cause du coronavirus. Dans son village de 9000 habitants, près de Bergame, environ sept personnes meurent chaque jour. Normalement, les cloches de l’église sonnent au moment du décès. Mais aujourd’hui, le prêtre ne sonne glas qu’une fois par jour. « Tout le monde ici a des amis et de la famille qui sont morts à cause du coronavirus. Moi aussi. Mon oncle est décédé. Il avait 80 ans et appartenait au groupe à risque. Nous sommes à la maison pendant que nos proches meurent. Nous n’avons pas pu rendre visite à mon oncle, ni l’aider. Le crématorium de Bergame est surchargé. Mon oncle a été incinéré à Padoue, à 200 kilomètres d’ici. C’est de la folie. Ils ont même emmené le meilleur ami de mon cousin au crématorium de Turin. Ensuite, les cendres sont renvoyées chez lui. Là, l’urne est inhumée en présence des proches, pendant qu’un prêtre donne la bénédiction finale. Il n’y a pas de funérailles dignes, pas de cortège funèbre.

La catastrophe ne s’arrête pas. Ma mère a une forte fièvre depuis une semaine et commence à tousser et à s’essouffler. À l’hôpital, ils lui ont dit de rester chez elle parce qu’il n’y a plus de lits. Les ambulanciers ont laissé un respirateur et des médicaments et ont imposé l’isolement complet à tout le monde à la maison. J’habite à deux kilomètres de ma mère, mais je n’ai pas le droit de lui rendre visite. Nous ne savons même pas si elle est positive au corona, elle n’a pas été testée. Cela n’arrive qu’en cas d’urgence. Les pharmaciens n’ont plus rien, ni masque, ni gants, ni alcool pour désinfecter. Toute la journée, nous entendons les sirènes des ambulances. Trois de nos cinq médecins généralistes sont eux-mêmes infectés. C’est pourquoi les médecins de l’armée sont venus à la rescousse. L’église publie chaque jour les noms des morts sur sa page Facebook. »

Cimetière de Grassobbio
Cimetière de Grassobbio© AFP

Giulio Dellavite est secrétaire général du diocèse de Bergame. Depuis le 1er mars, 16 prêtres sont morts de la corona dans son diocèse, 20 sont à l’hôpital. Les prêtres en bonne santé sont très occupés à accompagner les mourants et leurs familles.

« Quand quelqu’un meurt chez lui, un prêtre peut théoriquement lui administrer les derniers sacrements avec un masque buccal et des gants. Mais cela arrive rarement. Les prêtres ne peuvent pas être partout à la fois. C’est pourquoi les enfants et les petits-enfants sont désormais autorisés à bénir leurs parents et grands-parents malades à la maison. C’est ce qu’a proposé l’évêque. Et à l’hôpital ? Les mourants ne voient que les médecins et les soignants en tenue de protection. Dans leurs dernières heures, ils ne peuvent regarder personne dans les yeux ou en face, tout le monde est complètement masqué. Bien entendu, on ne peut pas passer d’appels téléphoniques en soins intensifs. C’est un drame terrible.

Lorsqu’on vient chercher un patient très gravement atteint, les proches ne sait souvent même pas dans quel hôpital on l’emmène. Ils ne peuvent même pas voir le défunt, mais à moment donné, ils apprennent dans quel crématorium leur père ou leur mère a été emmené. Les gens disparaissent soudainement. C’est terrible. Nous avons maintenant une ligne d’urgence au diocèse où 70 prêtres, soeurs, laïcs et psychologues offrent leur réconfort et leur soutien. Au cimetière, nos prêtres ne peuvent bénir le cercueil ou l’urne et prier brièvement avec la famille que si celle-ci n’est pas en quarantaine et doit rester à la maison. Alors, il n’y a personne de la famille présente. »

Le 4 mars, Guiseppe Acerboni (84 ans), qui vit dans un village de montagne près du lac de Côme, a appelé son médecin car il avait une forte fièvre depuis plusieurs jours. Il a été transporté à l’hôpital de Gravedona et est mort une semaine plus tard. Son neveu Fabio Landrini raconte à quel point l’adieu à son oncle a été difficile. « Pour moi, le coronavirus est la maladie de la solitude. Tant que mon oncle était à la maison, nous lui apportions de la nourriture à son chevet tous les jours. Nous l’avons vu un instant avant qu’il ne parte pour l’hôpital. Après cela, c’était fini. Il est mort tout seul. Le plus dur, c’est que nous n’avons pas pu voir son corps. Que nous n’étions pas autorisés à lui dire un au revoir en bonne et due forme. Il a été incinéré. Sans enterrement. Il n’a reçu que la dernière bénédiction. »

Vittorio Natangeli est entrepreneur de pompes funèbres à Rome. Il regarde avec anxiété ce que vivent ses collègues du nord de l’Italie. Mais pour lui aussi, la vie quotidienne a changé radicalement.

« Les cérémonies funéraires comme autrefois sont interdites. Inhumer le corps, aller à la messe et ensuite se rendre au cimetière – depuis trois semaines, ce n’est plus possible. Le gouvernement a imposé des règles strictes. Avant l’enterrement, nous conduisons toujours le corbillard directement à la morgue, d’où nous emmenons le cercueil à la tombe sans cérémonie, accompagnés de deux ou trois membres de la famille au maximum. Nous partons immédiatement après avoir mis le cercueil dans la tombe. Les cimetières sont d’ailleurs fermés dans toute l’Italie, même après l’enterrement les membres de la famille ne peuvent pas rendre visite à leurs morts. »

Il y a peu de morts du coronavirus à Rome pour l’instant. Des collègues du Nord m’ont appelé pour me demander si nous pouvons fournir des corbillards et des chauffeurs. Dans certains villages, ils ont autant de morts en une semaine qu’en une année entière en temps normal ».

Fabio Fancoli (62 ans) est décédé il y a quelques jours du coronavirus. Il vivait dans une petite ville de Lombardie, où il travaillait dans une exploitation agricole. Son collègue et ami Domenico Incondi se souvient de la dernière conversation téléphonique avec lui. « Nous avons travaillé ensemble pendant 35 ans, et bien sûr, après toutes ces années, nous étions de bons amis. Nous avons traversé tant de choses ensemble. Fabio était quelqu’un de bien. Il m’a beaucoup appris. Nous sommes souvent allés skier ou jouer au tennis ensemble. La veille de son hospitalisation, je l’ai appelé. Après, je n’ai plus eu de nouvelles. Malheureusement, c’est ainsi que les choses se passent : dès qu’un patient atteint du coronavirus est admis à l’hôpital, vous n’êtes plus autorisé à lui rendre visite. Pas même s’il meurt. C’est comme ça en Italie en ce moment, c’est terrible pour tout le monde. Fabio a passé dix jours à l’hôpital, tout seul. Il n’y aura pas de funérailles pour lui non plus. Il sera enterré samedi. Il est mort seul et sera enterré seul. »

Camions militaires transportant des cercueil de Bologne à Bergame
Camions militaires transportant des cercueil de Bologne à Bergame© AFP

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