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Ce référendum illégal du 1er octobre 2017 qui a changé la Catalogne…

Le Vif

Pour Jaume Casamitjana, ce fut un point de non-retour avec l’Espagne, pour Alexandra Lopez-Liz, le début d’une opposition active au projet indépendantiste: un an après le référendum illégal du 1er octobre, l’écart continue de se creuser dans la société catalane.

Le petit village de Sant Julia de Ramis, 3.500 habitants, se prépare à commémorer l’anniversaire du référendum, interrompu chez lui par la violente intervention de dizaines de policiers peu avant que Carlos Puigdemont, alors président de la région catalane, aille y voter.

« Pour beaucoup, ça a été un point de non-retour », explique Jaume Casamitjana. « Ils ont voulu nous faire peur mais ça s’est retourné contre eux. Avant, les opinions divergaient beaucoup ici, mais aujourd’hui nous sommes plus unis et plus convaincus que jamais », affirme ce fonctionnaire de 58 ans.

Lors du référendum interdit par la justice, M. Casamitjana était responsable d’un bureau de vote aménagé dans un centre sportif. L’une des urnes trône aujourd’hui dans la vitrine du pavillon, comme un trophée.

Aidé par des voisins, il a décoré la place faisant face au centre sportif, rebaptisée « Place du 1er octobre », avec des drapeaux indépendantistes et des pancartes réclamant la libération des dirigeants séparatistes emprisonnés.

Il y a un an, plusieurs d’entre eux ont occupé les bureaux de vote pour empêcher les policiers de les fermer et caché les urnes qu’ils avaient ordre de saisir.

Le scrutin n’avait rien de régulier, mais 2,3 millions d’électeurs y ont participé, sur un total de 5,5 millions, 90% d’entre eux votant pour la sécession, selon le gouvernement régional, qui avait promis de déclarer l’indépendance dans les 48 heures.

Mais lorsque cette déclaration fut proclamée avec quatre semaines de retard le 27 octobre, elle ne fut pas mise en oeuvre: le gouvernement régional fut destitué par Madrid, certains de ses membres, dont Puigdemont, s’enfuyant à l’étranger, les autres étant emprisonnés quelques jours plus tard.

« Les gens étaient très en colère, on s’est senti trompé » par des leaders indépendantistes pas assez préparés pour faire face aux conséquences du référendum, affirme M. Casamitjana. « Certains, qui paraissaient modérés, me disent aujourd’hui: +s’ils libèrent les (chefs indépendantistes) emprisonnés, nous devrions les enfermer nous-mêmes pour trahison+ ».

Le successeur de Puigdemont, Quim Torra, se rendra lundi à Sant Julia de Ramis, profitant de la commémoration pour prôner l’indépendance au lieu de négocier avec le nouveau gouvernement espagnol socialiste de Pedro Sanchez.

Carles Puigdemont, destitué de son poste à la tête de la Catalogne, fuit ses détracteurs et arrive à Bruxelles le 30 octobre 2017.
Carles Puigdemont, destitué de son poste à la tête de la Catalogne, fuit ses détracteurs et arrive à Bruxelles le 30 octobre 2017.© AFP

« Il y a un an, nous pouvions négocier une solution, plus aujourd’hui », assure Santi Anglada, plombier de 54 ans. « Il y a un avant et un après le 1er octobre. »

– « Ils ont réveillé la bête » –

Pour Alexandra Lopez-Lis aussi, tout a changé le 1er octobre. Il y a un an, elle regardait avec désolation des dizaines de personnes occuper un bureau de vote dans un quartier riche de Barcelone: « Ca fait beaucoup de peine d’en être arrivé là », disait-elle alors à l’AFP.

Mais comme beaucoup, la menace de la sédition redoutée par près de la moitié des Catalans l’a fait réagir après des années de passivité. Les anti-indépendantistes sont descendus en masse dans les rues de Barcelone le 8 et le 29 octobre.

Mme Lopez-Lis a fondé en novembre l’association « Aixeca’t/Levantante » (Lève-toi) qui compte environ 500 membres.

« Ils nous ont ignorés pendant longtemps, aujourd’hui nous voulons qu’ils se rendent compte que nous sommes ici et que nous n’avons pas peur », dit-elle.

Dénoncer la présence de symboles indépendantistes dans les bâtiments publics ou les églises, l’endoctrinement dans les écoles ou encore organiser des campagnes pour nettoyer les rues de la propagande indépendantiste… l’activisme de Mme Lopez-Lis est frénétique.

« On ne va pas s’arrêter. On enlèvera chaque symbole, chaque pancarte » aux couleurs de l’indépendantisme, insiste-t-elle.

La lutte vise également la priorisation du catalan à l’école, dans les administrations et dans les médias publics, qui a pourtant fait l’objet d’un consensus pendant des décennies, même parmi les nombreux catalans originaires d’autres régions d’Espagne.

« On n’en veut plus. Pendant longtemps, nous avons accepté l’enseignement en catalan, la discrimination positive pour la culture catalane. Mais ils nous ont tant dénigré qu’ils ont réveillé la bête », affirme Pedro Gomez, éditeur de 52 ans.

« Avant, les gens avalaient tout mais aujourd’hui, c’est terminé. Je pourrais parler catalan mais je ne veux plus », lance-t-il.

Les grandes dates de la montée de l’indépendantisme

Voici les grandes dates de la montée de l’indépendantisme en Catalogne, théâtre l’automne dernier de la plus grande crise politique qu’ait connu l’Espagne depuis son retour à la démocratie en 1977.

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– Statut plus autonome en 2006, en partie annulé en 2010 –

En mars 2006, le Parlement espagnol, alors dominé par les socialistes, adopte un nouveau statut renforçant l’autonomie de la Catalogne, définie comme « nation » à l’intérieur de l’Etat espagnol.

En juillet, le Parti populaire (PP) du conservateur Mariano Rajoy, alors dans l’opposition, conteste ce statut devant la Cour constitutionnelle, le qualifiant d' »antichambre du démembrement de l’Espagne ».

En juin 2010, la Cour constitutionnelle annule une partie du statut, estimant que la référence à la Catalogne comme « nation » n’a « aucune valeur juridique ». Après cette décision, des centaines de milliers de Catalans descendent dans les rues.

– De 2012 à 2016: montée en puissance des séparatistes –

Le 11 septembre 2012, jour de la fête de la Catalogne, plus d’un million de personnes manifestent à Barcelone en faveur de l’indépendance.

Le 20 septembre, M. Rajoy, Premier ministre depuis 2011, refuse de négocier avec le président catalan Artur Mas une plus grande autonomie budgétaire de la région. Converti au séparatisme, M. Mas, qui remporte en novembre les élections régionales, promet un référendum d’autodétermination.

Le 9 novembre 2014, la Catalogne se prononce à 80% pour l’indépendance lors d’une consultation symbolique, déclarée anticonstitutionnelle, avec une participation estimée à 35% de l’électorat.

Le 27 septembre 2015, les partis indépendantistes obtiennent la majorité des sièges au Parlement régional, lequel adopte le 9 novembre une résolution sur un processus devant aboutir à « un Etat catalan indépendant prenant la forme d’une république » au plus tard en 2017. La Cour constitutionnelle annule cette résolution.

Afin d’obtenir le soutien de la gauche radicale, Mas cède la présidence de l’exécutif régional au séparatiste de longue date Carles Puigdemont, investi le 10 janvier 2016.

– 2017-2018: référendum contesté, indépendance annulée –

En juin 2017, M. Puigdemont annonce un référendum d’autodétermination pour octobre, mais la loi régionale qui permet d’organiser la consultation est suspendue par la Cour constitutionnelle en septembre.

Le 1er octobre, jour du référendum, les forces de l’ordre interviennent pour saisir des urnes dans au moins une centaine de bureaux de vote. Des images de violences policières font le tour du monde.

Le gouvernement séparatiste catalan annonce la victoire du « oui » à l’indépendance à 90%, avec une participation de 43%, selon des résultats non vérifiés de façon indépendante.

Le 27 octobre, après des semaines de tensions et de manifestations pro et anti-indépendance, le Parlement de Catalogne vote, par 70 voix sur 135, une déclaration d’indépendance unilatérale.

Madrid suspend de facto l’autonomie régionale, destitue l’exécutif séparatiste de Carles Puigdemont, dissout le Parlement régional et convoque des élections en Catalogne pour la fin de l’année.

Le 21 décembre, les partis indépendantistes, dont plusieurs dirigeants sont emprisonnés ou en exil comme Carles Puigdemont, remportent les élections avec une majorité absolue de sièges, 70 sur 135, avec Puigdemont en tête de liste.

Puigdemont ne pouvant être investi, Quim Torra devient président de l’exécutif régional le 15 mai 2018.

Le 1er juin, Mariano Rajoy est renversé par le Parlement et le socialiste Pedro Sanchez, qui prône un apaisement des tensions sur le dossier catalan, est porté au pouvoir grâce notamment aux voix des séparatistes catalans.

Le 11 septembre, près d’un million d’indépendantistes se massent à Barcelone pour la « Diada », la « fête nationale » catalane, démontrant une capacité de mobilisation intacte.

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