Gérald Papy

Brexit: « La résistance au leader providentiel »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La saga du Brexit, qui a connu au Parlement britannique un développement shakespearien promis à ne pas être le dernier, fournit une belle illustration de l’instrumentalisation contemporaine de la notion de peuple.

Pour justifier le nécessaire recours à des élections anticipées, le leader du Parti travailliste et chef de file de l’opposition Jeremy Corbyn a expliqué que, par ce biais, son parti  » donnera au peuple une chance de reprendre le contrôle et d’avoir le dernier mot  » sur ce dossier crucial pour l’avenir du Royaume-Uni. Or, pour convaincre de la pertinence de la position exactement opposée, le Premier ministre Boris Johnson en avait appelé, lui, à  » mettre en oeuvre le programme du peuple « . Que tu sois peuple électeur ou peuple acteur de référendum, toujours de toi je me revendiquerai pour servir mes intérêts.

L’ambiguïté que met en exergue cette difficulté d’identification de ce qu’est le peuple résulte de l’impossible interprétation du vote référendaire du 23 juin 2016 qui acta le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Quel exact message les votants britanniques ont-ils délivré ce jeudi-là ? La volonté d’une sortie de l’Union européenne à tout prix ? Un retrait ordonné suspendu à un accord avec les partenaires européens ? Ou l’instantané d’une prise de position susceptible de révision le moment venu ? En fonction de l’interprétation que privilégie chaque citoyen, une de ces trois issues – un Brexit sans accord, une ultime véritable tentative de négociations ou un nouveau référendum – répondrait aux attentes des uns tout en mécontentant les autres. Excluant la troisième, le Premier ministre conservateur Boris Johnson croit pouvoir jouer sur les deux autres pour sortir de l’impasse. Mais il feint d’oublier que la légitimité démocratique du référendum de 2016 se heurte à la légitimité démocratique des représentants élus du peuple. En imposant une période de congé parlementaire plus longue que de coutume, il a voulu la mettre entre parenthèses pour s’épargner des blocages intempestifs. Ce n’était pas illégal. Mais ce n’était ni très moral ni très courageux. Il en a perdu sa majorité absolue.

Il n’est donc pas exclu que sa manoeuvre soit totalement contre-productive. Car, à partir des travées des parlements, émerge comme un vent de révolte contre les aspirants leaders providentiels. L’ex-ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini s’est dangereusement avancé lorsqu’il a appelé le peuple italien à lui octroyer les pleins pouvoirs à la faveur d’élections qu’il escomptait inéluctables après le retrait de son parti, la Ligue, du gouvernement. C’est depuis le palais Montecitorio à Rome que le Premier ministre, Giuseppe Conte, a sonné l’heure de la revanche. C’est là aussi qu’il signera l’échec de la tentative de coup de force de son ancien partenaire, fort d’un accord de gouvernement, presque aussi contre nature que le précédent, entre sa formation, le Mouvement 5 étoiles, et le Parti démocrate.

Boris Johnson a-t-il, lui aussi, préjugé de ses forces ? Il n’échappe en tout cas pas au soupçon de tromperie. L’Union européenne ne voit toujours pas venir l’alternative au backstop (le  » filet de sécurité  » pour éviter le rétablissement d’une frontière entre l’Irlande du Nord britannique et la République d’Irlande) accepté par Theresa May qui autoriserait une sortie de crise ; ce qui accrédite l’option choisie d’un Brexit dur. S’interroger sur la bonne foi d’un Boris Johnson qui n’a pas hésité à recourir en 2016 aux mensonges pour faire triompher le vote pro-Brexit n’a décidément rien de shocking.

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