Benjamin Griveaux © AFP

Affaire Griveaux: « Les prémices d’un abaissement généralisé de l’exercice démocratique? »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Prenant la parole en 2013 devant la Federal Trade Commission, le gendarme américain de la concurrence, le « chef évangéliste » de Google Vincent Cerf prédisait qu' » il serait de plus en plus difficile pour nous de garantir le respect de la vie privée « .

Il en appelait dès lors  » à développer des conventions sociales qui seraient plus respectueuses de la vie privée des gens « . Le coinventeur d’Arpanet, l’ancêtre d’Internet, ne dérogeait pas de la sorte au mantra des dirigeants des entreprises géantes du Net rompus à se défausser sur la société pour les dérives auxquelles leurs technologies contribuent.

Candidat du parti La République en marche pour la mairie de Paris, Benjamin Griveaux a pâti de la dilution de la première, la vie privée, sans pouvoir déjà compter sur une – illusoire – transformation des secondes, les conventions sociales. La diffusion sur un site d’une vidéo sexuelle le concernant, censée s’autodétruire, l’a forcé à abandonner le combat politique pour Paris et a ravivé en France le débat sur la frontière entre exposition publique et déballage privé. La restauration d’un semblant de respect de l’intimité d’une femme ou d’un homme public passe par une réglementation – ou une autorégulation – des plateformes, par une réelle application de la réponse pénale prévue, voire son renforcement, et par une conscientisation aux bienfaits et aux risques des réseaux sociaux, à l’école pour les jeunes, en tablant sur un sursaut d’intelligence pour les adultes naïfs comme Benjamin Griveaux.

La diffusion de la sextape d’un des ténors de la macronie interroge aussi et surtout le tournant éventuellement pris par les moeurs politiques dans l’Hexagone. Dérapage inacceptable et circonstanciel mais sans lendemain ou prémices d’un abaissement généralisé de l’exercice démocratique ? La réponse dépend beaucoup de la nature du guet-apens tendu à Benjamin Griveaux. A ce stade, trois acteurs sont connus pour y avoir participé. Par ordre d’apparition, l’étudiante Alexandra de Taddeo, destinatrice de la vidéo filmée au printemps 2018 à une époque où l’homme politique était membre du gouvernement d’Edouard Philippe et où elle-même ne connaissait pas encore le second protagoniste du scénario. Elle reconnaît la relation avec le macroniste ; elle se dit étrangère à la mise en ligne de la vidéo ; mais elle semble responsable de sa sauvegarde. Deuxième acteur, l’artiste russe Piotr Pavlenski, spécialiste des happenings provocateurs, qui a donné toute sa résonance médiatique à la séquence privée. Connu à l’origine comme un pourfendeur de la politique de Vladimir Poutine, il ne répond pas aux critères de l’agent russe. Pas de complot international, une petite barbouzerie franco-française tout de même ? Troisième intervenant, l’avocat Juan Branco, conseiller du second avant la diffusion de la vidéo et candidat avorté à sa défense. Ce dernier, qui n’a pas été mis en examen contrairement à ses deux comparses, présente pourtant un profil politique plus identifié sur la scène politique locale. Il a entretenu la défiance des gilets jaunes à l’égard d’Emmanuel Macron en publiant en pleine crise des ronds-points un pamphlet, Crépuscule (Au diable vauvert, 2019, 220 p.), dans lequel il soutenait que le président, plutôt que d’avoir été élu, avait été  » placé  » à son poste par les capitaines d’industrie Bernard Arnault, Xavier Niel et Arnaud Lagardère. Cet engagement et sa proximité avec le duo de Taddeo-Pavlenski ne font pas de lui le grand ordonnateur d’une déstabilisation de Benjamin Griveaux. Mais dans la république monarchique française, ils installent Juan Branco dans le rôle qu’il a lui-même attribué dans son dernier livre (Cerf, 494 p.) à son mentor Julian Assange : l’antisouverain.

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