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A la Comédie-Française, les femmes prennent le pouvoir

Le Vif

Le théâtre politique est notoirement dominé par des rôles d’hommes mais pour la première fois, la Comédie-Française décline au féminin l’une des pièces les plus « masculines » de Shakespeare.

Contrairement aux théâtres outre-manche, les femmes en France jouent rarement de grands rôles classiques réservés aux acteurs – Maria Casarès dans le rôle-titre du Roi Lear en 1993, trois ans avant sa mort, fait partie des exceptions.

Dans « Jules César » (Théâtre du Vieux-Colombier, jusqu’au 3 novembre), pièce qui incarne au mieux les ambitions des hommes au pouvoir, Martine Chevallier fait face au « Cassius » de Clothilde de Bayser, ou encore au « Marc Antoine » de Georgia Scalliet.

« C’est une occasion pour offrir aux actrices une partition à laquelle elles n’ont généralement pas accès », explique à l’AFP Rodolphe Dana, qui signe sa première mise en scène pour la « maison de Molière ».

Au temps de Shakespeare, les femmes n’avaient pas le droit de jouer sur scène et les hommes jouaient même des rôles de femmes (le nombre de rôles masculins shakespeariens est sept fois supérieur à celui des femmes).

Réduisant le nombre de personnages de cette tragédie publiée en 1623 de 40 à dix rôles, répartis à égalité entre acteurs et actrices, Rodolphe Dana, qui a opté pour une mise en scène très épurée sans décor ni costumes, assume « l’écho contemporain » qu’il a voulu donner à la pièce en raison du nombre croissant de femmes au pouvoir.

– « Moins convoquées sur le répertoire » –

Mais au départ, un « Jules César » féminin n’est pas pour lui une question de parité.

« La tyrannie, le despotisme, les intrigues politiques ne sont pas forcément des questions sexuées. Quand on met le pied dans une affaire politique, le genre devient secondaire », dit-il.

La question que pose Jules César, qui finit historiquement, et dans la pièce, assassiné par un groupe de conjurés dont son fils Brutus, c’est « jusqu’où a-t-on besoin d’un homme ou d’une femme +providentielle+ à l’heure on l’on assiste à un retour du populisme », explique le metteur en scène.

Le « travestissement » dans cette pièce n’a pas manqué de provoquer à la fois l’admiration et l’irritation.

« J’ai entendu des commentaires de spectatrices qui disaient qu’elles voulaient voir des hommes dans ces rôles », affirme M. Dana.

Martine Chevallier, elle, a reçu des félicitations de la part de femmes dans le public. « On m’a dit: +grâce à vous, des rôles d’hommes magnifiques peuvent être joués par des femmes », dit-elle à l’AFP.

A la question de savoir si endosser un rôle d’homme était une difficulté supplémentaire, elle martèle: « Pas du tout! C’est ça le théâtre. C’est ça l’exigence du théâtre. Ne pas avoir peur ».

Pour Eric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française, il s’agit en premier « de donner des rôles intéressants et complexes à des femmes qui sont moins convoquées sur le répertoire », bien que dans l’apparence, les grands rôles-titres féminins comme Bérénice, Phèdre, Andromaque ou Iphigénie ne manquent pas.

« Au-delà de la parité, c’est théâtralement très fertile. Cela révèle quelque chose d’autre chez les acteurs et les actrices », dit-il. « Chez Clothilde par exemple, j’ai vu se développer chez elle une sorte de rage que je ne lui connaissais pas; elle s’était probablement libérée de la représentation féminine au théâtre ».

« Certaines gens se demandent ça sert à quoi. Si le rôle est magnifiquement interprété par un homme ou une femme, c’est suffisant », assure M. Ruf.

L’administrateur général de l’une des plus prestigieuses troupes de théâtre au monde, qui a été formé surtout par des professeures comme Madeleine Marion, Catherine Hiegel et Joséphine Derenne, tente de bouger les lignes depuis le début de son mandat en 2014, avec un très grand nombre de metteures en scène engagées sous son mandat, comme Julie Deliquet, Chloé Dabert ou Maëlle Poésy.

Mais il entend poursuivre ce changement de manière organique.

« Dans les pays anglo-saxons, il y a cette volonté de quotas plus grande qu’en France », dit-il.

« Il y a 10 ans, je ne me serais pas posé la question de la parité. Dans 10 ans, je ne me la poserais peut-être plus. Je suis de mon époque et on est obligé d’y penser ».

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