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« Un arbre ne voterait pas à droite, car ces partis sont d’une façon ou d’une autre pour l’égoïsme »

Entre ouvrage de vulgarisation scientifique et feel good book, La vie secrète des arbres (1) de Peter Wohlleben est un succès phénoménal : 700 000 exemplaires vendus depuis sa parution en Allemagne en 2015. Sorti en mars dernier aux éditions Les Arènes, il cartonne aussi en français. Le Vif/L’Express a rencontré l’écrivain-forestier à Hümmel, dans l’Eifel. Très grand, très souriant, il communique sa passion des arbres et sa confiance dans l’avenir.

Epargner les forêts, est-ce mettre fin à la valorisation économique du bois ?

C’est un malentendu fréquent. Je ne suis pas contre l’utilisation du bois. Je vois les choses de manière plus équilibrée. On peut produire du bois, mais à partir de l’arbre mûr uniquement. Ensuite, il nous faut des zones protégées où l’homme n’intervient pas du tout, des Schutzgebiete. Il en manque dans toute l’Europe. Les forestiers et les administrations affirment qu’en décapant les forêts, ils servent l’environnement. Foutaises ! C’est comme un producteur de maïs qui prétendrait qu’il protège l’environnement ! Travailler plus écologiquement dans la forêt, nous le faisons avec des hommes et des chevaux, pas avec des machines.

Y a-t-il beaucoup de sites protégés en Allemagne ?

Ils représentent 1,9 % des forêts allemandes qui, elles-mêmes, occupent un tiers du territoire. Un consensus entre tous les partis politiques fixe pourtant l’objectif à un minimum de 5 %. De toute manière, pour moi, 5 %, c’est beaucoup trop peu. On doit trouver un compromis tenant compte de notre densité de population et de nos besoins en bois. Un processus scientifique et non pas économique devrait permettre de fixer le seuil de forêts protégées à 10 ou 15 % de l’ensemble. L’objectif européen d’une gestion durable doit être le mélange de feuillus autochtones de tous âges et de toutes tailles, sans épicéas ni pins.

Les promeneurs sont-ils les bienvenus dans une forêt protégée ?

Oui, pas de souci. L’homme ne dérange pas la forêt. Plus vous y faites du bruit, moins vous la dérangez. Les meilleures observations animalières sont possibles sur des aires d’exercices militaires pendant les tirs d’artillerie. Les animaux savent très bien que les chasseurs ne sont pas là. La nature et l’homme ne s’excluent pas, au contraire de la tronçonneuse et de l’abattage.

Un mètre carré de forêt protégée capte autant de carbone qu’une voiture n’en émet sur un trajet de 500 km »

Comment les zones protégées contribuent-elles à l’environnement global ?

Les forêts captent et emmagasinent durablement les émissions de CO2. Elles font office d’aspirateur. Un mètre carré de forêt protégée capte autant de carbone qu’une voiture n’en émet sur un trajet de 500 kilomètres grâce notamment à ses arbres vieillards, qui en retiennent plus que les arbres plus jeunes. Toutefois, ces espaces protégés ne sont pas assez nombreux, vu la population européenne, pour avoir un impact déterminant. La protection de l’environnement n’est pas un but en soi : la nature se remet de tout. Combien de glaciations ont détruit les forêts avant qu’elles ne renaissent ? La nature intacte doit surtout servir l’avenir humain et notre équilibre intérieur.

La forêt peut-elle résister aux changements climatiques ?

Les arbres d’Allemagne et de Belgique, principalement les hêtres et les chênes, n’ont aucun problème avec le changement climatique. En été, une forêt de hêtres intacte peut se refroidir de trois degrés en moyenne par rapport à une forêt exploitée. La différence est encore plus grande avec les épicéas. Un réchauffement climatique de un ou deux degrés n’aura pas d’incidence sur les arbres autochtones mais pour les épicéas, c’est dramatique : déjà affaiblis, ils vont subir les attaques de coléoptères.

Faut-il introduire d’autres espèces chez nous ?

Non. Ce sont des expériences qui confinent à la roulette russe. On ne sait pas quelles maladies vont encore apparaître, on ne sait pas comment ces espèces se comportent sous notre climat. Nos arbres produisent du bon bois, s’adaptent au climat, sont très résistants et sont importants pour nos espèces animales. Ils n’ont que faire des douglas et des épicéas. La France, l’Espagne et le Portugal étaient jadis des forêts de feuillus. Les incendies de forêts sont dûs aux plantations de pins et d’eucalyptus qui contiennent beaucoup d’huiles essentielles. Des fûts d’essence vivants !

Les champignons, meilleurs alliés des arbres, forment un Internet des bois.
Les champignons, meilleurs alliés des arbres, forment un Internet des bois.© PIERRE PAUQUAY

A quoi attribuez-vous la crise du hêtre ?

Elle est typique des forêts exploitées, spécialement les plus vieilles. Quand la couronne du hêtre diminue, c’est le signe qu’il est en train de mourir. Lors des tempêtes, les arbres peuvent se soutenir mutuellement par leurs couronnes mais, isolés de leurs voisins, ils vont tomber. Quand on coupe un arbre, les autres deviennent malades, celui qui était fort devient faible. C’est comme si on vous déposait seul au Sahara, vous allez rapidement devenir malade ou mourir de soif. En groupe et avec des provisions, on peut vivre au Sahara.

Votre livre présente les arbres comme des êtres sociaux extrêmement attachants…

Le savoir forestier traditionnel nous a appris que les arbres se battent entre eux pour la lumière et, donc, qu’il faut leur faire de la place. C’est faux. Les hêtres et les chênes, spécialement dans des forêts primaires, forment des communautés sociales où chacun soutient l’autre. Inconditionnellement. Lorsque l’un d’eux faiblit, les voisins lui transfusent des substances sucrées par les racines. En été, c’est ensemble que les arbres se protègent contre la chaleur. Plus ils sont à condenser de l’eau, plus ils refroidissent le lieu. Un beau climat forestier n’est possible que par la présence de beaucoup d’arbres.

Vous les décrivez aussi comme doués pour la communication…

Ils communiquent en effet grâce, notamment, aux champignons qui forment un Internet des bois, un véritable wood wide web. Leurvaste réseau de filaments enfouis dans le solet les racines connectées véhiculent des informations, par exemple, sur des attaques d’insectes ou des périodes de sécheresse, et cela non seulement de manière chimique mais aussi électrique. Ces champignons, des êtres tout à fait étranges et largement méconnus, sont plus proches des animaux que des plantes. Ils sont les meilleurs alliés des arbres.

Les arbres se parlent-ils ?

On sait depuis les années 1970 que les arbres s’avertissent de dangers imminents, de la présence d’herbivores, de tel ou tel coléoptère. Ils demandent à leurs voisins de réduire leur consommation d’eau quand elle vient à manquer aux uns. Ils reconnaissent les animaux à leur salive et y adaptent leur réaction. Idem lorsqu’un homme leur arrache une branche. Une étude de l’université de Vancouver montre que les arbres peuvent aussi se transmettre du savoir de génération en génération.

Vous avez déclaré que les arbres ne voteraient jamais à droite parce qu’ils sont solidaires mais que leur entraide se limite aux individus de la même espèce. Seraient-ils racistes ?

On est raciste au sein de la même espèce. Un hêtre et un sapin se combattent, c’est vrai. Ce sont des espèces différentes, plus éloignées l’une de l’autre que les hommes le sont du poisson rouge. Si un homme n’aime pas les poissons rouges, il n’est pas raciste pour autant. Il l’est s’il n’aime pas un Noir alors qu’il est Blanc. Un hêtre est solidaire de tous ses congénères. Il serait raciste si, dans la même forêt, et cela resterait à démontrer, étant d’origine bourguignonne par exemple, il s’opposait à d’autres d’origine bavaroise. Si j’ai pu dire qu’un arbre ne voterait pas à droite, c’est parce que les partis de droite sont d’une façon ou d’une autre pour l’égoïsme, d’Etat ou de Région. L’observation forestière enseigne que l’égoïsme est toujours préjudiciable à la communauté et menace le système.

Peut-on objectiver l’impact d’une forêt sur la santé humaine ?

Dans des forêts intactes, donc heureuses, la pression sanguine descend, on se relaxe. Dans les bois d’épicéas, la pression artérielle monte. L’homme vit avec la forêt depuis un million d’années. Il a développé un instinct lui indiquant qu’un bois est accueillant ou instable. Cela fait partie de notre inconscient et ça se répercute sur notre système immunitaire et notre pression artérielle.

Vous plaidez en faveur d’une forme de personnalité juridique de l’arbre. Pourquoi ?

La Constitution fédérale suisse veut que les animaux, les plantes et tout organisme vivant soient traités dans le respect  » de la dignité de la créature « . Pourquoi catégorisons-nous, dans un ordre décroissant d’importance, les hommes, les animaux et les plantes ? Les arbres se comportent comme des éléphants : ils ont la mémoire longue et la peau dure, s’occupent de leur descendance, sont très sociaux, deviennent très grands et très vieux. Mais ils sont beaucoup plus lents, donc on ne les comprend pas très bien et on ne les protège pas, contrairement aux éléphants. Tout le monde est contre l’élevage massif, en batterie. Dans les grandes plantations d’épicéas comme en Ardenne, on pratique pourtant l’élevage massif, il n’y a plus de contacts sociaux entre les arbres, ils sont tous du même âge, ils grandissent sans leurs parents et sont abattus très jeunes, en moyenne au bout de septante ans. Est-ce juste de traiter les arbres comme de la matière première ?

Comment faire la transition ?

A Hümmel, on fait en sorte que les oiseaux sèment du hêtre entre les épicéas. Cela prendra cent à deux cents ans avant que les hêtres ne s’élèvent. Pour nous, c’est long, pas pour la nature. Patience… L’avenir sera vert.

(1) La vie secrète des arbres, par Peter Wohlleben, éd. Les Arènes, 272 p.

Propos recueillis par Marie-Cécile Royen – Traduction : Pierre Schöffers.

Bio Express

1964 : Naissance à Bonn.

1983 : Diplôme d’économie forestière à Rottenburg am Neckar, Baden-Württemberg.

1983-2006 : Fonctionnaire de l’administration forestière du Land de

Rhénanie-Palatinat.

2006 : Employé des communes de Hümmel et Wershofen, Rhénanie-Palatinat (Eifel) où il crée un domaine protégé.

2013 : Mein Wald (éd. Ulmer).

2015 : Das geheime Leben der Bäume (éd. Ludwig).

2016 : Fonde l’Académie forestière à Hümmel.

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