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« Nous travaillons à édifier notre propre bûcher »

Le Vif

Il n’est pas enclin à l’alarmisme. Pourtant, le physicien allemand Hans Joachim Schellnhuber, de l’Institut für Klimafolgenforschung, avertit que l’état du climat est plus dramatique qu’il y a cinq ou dix ans. Si on continue à brûler autant de charbon, de pétrole et de gaz, la terre se réchauffera de 4 à 8 degrés et on se retrouvera dans un monde explosif.

Monsieur Schellnhuber, vous êtes l’inventeur de la limite de deux degrés. Est-ce vraiment la fin de l’humanité si l’atmosphère terrestre se réchauffe encore plus ?

HANS JOACHIM SCHELLNHUBER: Il est évidemment que le monde ne sombrera pas totalement si les températures augmentent de 2,1 ou 2,2 degrés. Le principal, c’est que nous limitions le rythme du réchauffement global. Si on continue à brûler autant de charbon, de pétrole et de gaz, la terre se réchauffera de 4 à 8 degrés. On se retrouverait dans un monde explosif dans lequel 11 milliards de personnes ne pourraient plus vivre en paix.

Vous faites confiance au sommet du climat début décembre à Paris pour ralentir ce processus?

Les mauvais jours, je me sens vraiment déprimé. Mais les bons jours, je pense, pour reprendre les paroles d’Angela Merkel : « Wir schaffen das. »On assistera en tout cas à une course palpitante. Notre tacot planétaire, la Terre, sera sans doute salement abîmé, mais on peut encore éviter la perte totale. Quoi qu’il en soit, je vois de minces lueurs d’espoir.

D’où vient cet optimisme?

Nous passons notre temps à encoder des baisses de gaz à effets de serre directs et indirects dans le superordinateur de notre institut : des valeurs plus économes, promises par les états séparés avant le début du sommet parisien. Un pays aussi important que la Chine a promis de réduire les émissions à partir de 2030. Début octobre, l’Inde a annoncé un gigantesque programme d’énergie solaire et éolienne. À partir de toutes ces données, un modèle informatisé assez intelligent calcule les dernières valeurs pour le réchauffement de la planète en l’an 2100. Jusqu’à présent, il nous donnait des hausses de température de près de 4 degrés. Mais avec les promesses actuelles, on atteint une valeur moyenne de 2,7 degrés. D’où mon espoir.

Cependant, dans votre nouveau livre consacré au changement climatique vous estimez les chances que nous arrivions à enrayer le réchauffement de la planète à moins de 20%. Pourquoi êtes-vous aussi pessimiste ?

Cette estimation pragmatique a trait à la diplomatie du climat existante. J’ai participé à la plupart des sommets sur le climat. Pour un chercheur qui quitte sa tour d’ivoire, il n’y a pas de pire punition. Des milliers de diplomates du climat se rendent dans les endroits les plus isolés du monde et se querellent des nuits entières pour chaque mot. Le tout dans une atmosphère d’ennui nerveux. On quitte la réunion kafkaïenne en se demandant s’il existe de la vie intelligente sur Terre.

Faut-il mettre un terme à ce cirque et abolir les conférences du climat?

Je trouve qu’il faut attendre les résultats de Paris. Si les 200 pays représentés là-bas ne réussissent pas à trouver un accord, les états d’individuels n’auront qu’à prendre l’initiative, comme l’Allemagne qui stimule les énergies renouvelables. Sans les initiatives allemandes, les Chinois ne seraient pas lancés aussi drastiquement dans la production de cellules solaires. Grâce à cette initiative, les tarifs ont baissé de 80%. Les innovations sont souvent enclenchées par des interventions d’état.

Mais il y a déjà presque un degré de plus qu’au début de l’ère industrielle. Les gaz à effets de serre émis jusqu’à présent chaufferont l’atmosphère d’encore 0,6 degré. N’est-il pas beaucoup trop tard pour encore atteindre l’objectif des deux degrés ?

Le revirement est improbable, mais il reste réalisable. Peut-être que la fin de l’ère fossile arrivera plus vite que ce qu’on espère. S’il y a encore plus d’investisseurs influents qui retirent leurs moyens financiers de l’industrie du charbon, du pétrole et du gaz, parce qu’ils trouvent que ces combustibles n’ont plus d’avenir, vous aurez un effet boule de neige qui fera rapidement disparaître le vieux système. Qui aurait pensé il y a dix ans que des géants de l’énergie comme Eon ou RWE devraient se battre pour survivre et qu’à présent ils veulent se sauver en misant sur l’énergie renouvelable ?

Cette année, nous allons droit vers un nouveau record de chaleur.

En effet, en 2015, nous atteindrons probablement la température moyenne enregistrée la plus élevée qu’on n’ait jamais eue. Nous continuons donc à édifier notre propre bûcher.

Comment la vie humaine sur la planète changera-t-elle s’il n’y a jamais de frein au réchauffement?

Si la température devait augmenter de 7 ou 8 degrés, on aurait les premières îles de chaleur sur terre, qui rendraient impossible l’évacuation de la chaleur corporelle. En cas de réchauffement régional et saisonnier de 11 à 12 degrés, ces zones mortelles comprendraient une zone géographique considérable. Il y a seulement quelques jours, une étude est sortie qui affirme que les états pétroliers seraient les premiers touchés – une ironie amère.

À moment donné, la planète deviendrait inhabitable?

Du moins côté des pôles. Évidemment, on pourrait toujours s’amuser dans les espaces protégés artificiellement. Mais, on habiterait des stations lunaires sur Terre. On peut déjà visiter ce genre de précurseurs technologiques qui consomment beaucoup d’énergie. Les gens là-bas vivent dans des zones urbanisées climatisées avec de bizarres conséquences médicales. Bien qu’à Abou Dhabi, le soleil brille toute l’année, les habitants souffrent d’un manque de lumière important. Nulle part ailleurs, les déficits de vitamines D ne sont aussi importants.

Olaf Stampf

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